Quand la crise a frappé, Nancy Minner pensait que la fermeture de sa boutique serait définitive. Mais les ventes en ligne ont explosé. Le 11 mai, le Bouton jaune va s’ouvrir, rouvrir. À nouveau. Et autrement.

Le printemps balbutiant était maussade. Le moral était au plus bas. Nancy Minner n’avait pas attendu l’appel du 23 mars pour fermer sa boutique-atelier.

Sa fille avait accouché quelques mois plus tôt. « On a un petit bébé qui vient d’arriver dans la famille, mon petit-fils, et je me disais que ça n’a pas d’allure que je sois en contact avec les gens », explique-t-elle.

Elle était d’autant plus sensible au risque que le Bouton jaune fabrique, vend et distribue de la literie et de petits articles en tissu pour bébés. Elle conçoit elle-même ses produits et les fabrique en bonne partie, dans des tissus d’importation qu’elle choisit avec autant de goût que de minutie. « Du haut de gamme », qualifie-t-elle, avant de préciser : « Abordable, quand même. »

Son entreprise avait déjà compté jusqu’à une douzaine d’employés, du temps où elle s’affichait avenue Laurier, mais Nancy Minner avait transporté ses pénates rue Fullum, en 2013, pour réduire son personnel et ses tâches administratives. Elle voulait se concentrer sur ce qui la faisait véritablement vibrer : « Se lever le matin et me dire : wow, ce que je fais est magnifique. »

« C’est gratifiant de faire ce que je fais, ajoute-t-elle, c’est ça qui me nourrit. » Mais il fallait manger, aussi.

Le dilemme lui pesait : « Si tu grossis, ça t’amène autre chose et tu perds un peu le fil de ce que tu fais », exprime la couturière. « Si tu restes petit comme moi, tu es toujours entre deux : est-ce que ça vaut la peine que je continue ou pas ? »

Elle s’est délestée de sa dernière couturière en 2017. Un travailleur autonome lui donne encore un coup de main à temps partiel et elle a confié la confection des articles pour bébés à un sous-traitant. Elle se réserve la fabrication de la literie, qui fait sa réputation depuis plus de 20 ans. « Les jeunes femmes dont j’ai fait le lit à 6 ou 7 ans sont maintenant enceintes et elles viennent me voir », se réjouit la femme de 54 ans.

Son atelier-boutique de la rue Fullum est ouvert du lundi au samedi. Était, plutôt. Quand elle l’a fermé, à la mi-mars, elle pensait qu’elle mettait la clé sous la porte.

Un peu de découragement. Beaucoup de lassitude à tenir bon six jours par semaine, alors qu’elle pourrait consacrer du temps à un certain bébé.

Justement, avant d’accoucher, sa fille, graphiste de profession, avait reconstruit le site transactionnel du Bouton jaune.

Les ventes en ligne demeuraient néanmoins anémiques quand la crise a frappé.

« Ma distribution a coupé radicalement, relate l’entrepreneure. Je me suis retrouvée avec rien. Et mon site ne roulait pas tant que ça. J’ai paniqué un petit peu. »

Elle s’est vite reprise. « J’ai toujours eu de la chance dans la vie. Je me suis dit : il va se passer quelque chose. Et de toute façon, on est tous dans le même pétrin. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Sa fille avait déjà multiplié les interventions sur Instagram et Facebook quand une chose étonnante s’est produite : François Legault a demandé d’encourager l’achat local. « C’est là que ça a monté d’un coup. Les gens l’ont vraiment écouté. »

Elle peine à chiffrer la progression, mais elle estime que les ventes ont été multipliées par vingt.

« C’était fou. Ma fille m’a mis une cloche sur mon cellulaire. Chaque fois que j’ai une vente, j’ai un son de caisse enregistreuse qui part. Il y a des journées où la caisse n’arrêtait pas de sonner. C’est un fou rire chaque fois. »

Bon, la logistique demeure quelque peu artisanale. « Je me rends faire la file au bureau de poste avec mes colis, décrit-elle. Je n’ai pas eu le temps d’organiser le ramassage à l’atelier. »

Elle travaille 50 heures par semaine, mais peu importe. Le printemps s’est installé.

Elle va rouvrir son commerce le 11 mai. « Demain, j’ai une rencontre avec ma fille, on prépare tout le nouvel horaire. »

Le changement est radical : la boutique sera ouverte du mardi au jeudi, trois jours par semaine plutôt que six. Autant de temps libéré pour la création et la recherche.

Sans la crise et l’éclosion de ventes en ligne, elle n’aurait jamais cru pouvoir faire ce pas. « Ça a été une prise de conscience que oui, c’était possible. Parce que dans le fond, c’est ce que je voulais, avoir plus de liberté. »

Elle ne craint rien. Sa clientèle va la suivre – son succès en ligne le lui a prouvé. « Ce qui va faire que ça va marcher, c’est d’être en contact avec ma clientèle sur Instagram », soutient-elle.

Et puis la rareté ajoute de la valeur.

« En faisant ça, ça va être encore plus précieux comme endroit. »

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