Quand le coronavirus se pointe dans un supermarché, une pharmacie ou un entrepôt alimentaire, il n’y a pas une minute à perdre. Il faut fermer les portes et appeler une entreprise de décontamination. C’est là qu’entrent en scène des experts vêtus de combinaisons contre les matières dangereuses (hazmat suit) et armés de désinfectant. Comment ces « ghostbusters » des temps modernes s’attaquent-ils au nouveau coronavirus ?

D’abord, ils arrivent en groupe de 5, de 20 ou de 50 selon la taille de l’endroit. Et ils arrivent rapidement. En deux heures, le plus souvent.

« Ce qu’on a trouvé de mieux, c’est l’électrostatique. Ça fait le tour des objets, de tout ce qui est solide. Ça va dans les recoins. C’est très efficace, très sécurisant. C’est supérieur à quand on frotte », rapporte Annie Laplante, propriétaire et présidente de Groupe MMI, spécialisé dans l’entretien ménager commercial.

Cette méthode « utilisée dans les blocs opératoires a été adaptée au commerce de détail », poursuit la dirigeante, qui compte Pharmaprix, Dollarama et la SAQ parmi ses clients. Elle vient aussi d’avoir le feu vert pour décontaminer des supermarchés Maxi et Provigo.

Pour tuer le virus qui tue, les employés de Groupe MMI utilisent des « fusils » qui pulvérisent des microgouttelettes sur tous les produits de toutes les tablettes. Celles-ci sèchent en moins de 15 minutes. « Ça fait une bruine électrostatique qui adhère vraiment partout », résume Mme Laplante.

PHOTO FOURNIE PAR GROUPE MMI

Annie Laplante. propriétaire de Groupe MMI

Une fois le travail terminé, les clients peuvent rentrer immédiatement dans le commerce faire leurs courses. « On est sûrs que le virus est mort. » Dans le cas d’une pharmacie, le processus en entier a été fait pendant l’heure du dîner. Pour un Maxi & Cie, Mme Laplante évalue qu’il faudrait que six à dix personnes travaillent pendant environ trois heures avec cinq ou six fusils.

Nettoyer les endroits touchés

Les supermarchés Metro, Super C, Provigo et Maxi font pour leur part appel aux services de l’entreprise torontoise United.

« On ne nettoie pas chaque produit dans les magasins, précise le vice-président aux opérations, Tony Farias. Juste les high touch points », ces endroits que les clients et les employés touchent. La liste de ce qui doit être nettoyé – fournie par le client – compte généralement une centaine de lignes.

Chariots, bords de tablettes où se trouvent les étiquettes de prix, caisses et poignées de congélateurs sont vaporisés puis frottés avec des linges en microfibre. « Ça nous prend quelques centaines de linges par magasin », révèle M. Farias. Autrement, le virus ne ferait que s’étendre.

Au rayon des fruits, légumes et pains frais, tout est recouvert afin de ne pas être en contact avec le produit désinfectant (United a préféré ne pas le nommer, n’ayant pas l’accord de son fournisseur pour le faire).

« De trois à cinq magasins par nuit »

United mentionne que faire le tour d’un supermarché Metro de taille moyenne requiert les services d’environ 10 personnes pendant 10 heures. L’efficacité est de mise, car chaque opération de nettoyage force la fermeture du supermarché pendant une journée, avec les pertes d’aliments et les pertes de ventes qu’on imagine.

« Ils veulent qu’on rentre et qu’on sorte au plus vite. Mais on prend le temps qu’il faut. Si j’arrive à midi, le magasin va juste rouvrir le lendemain matin », dit M. Farias, qui reçoit des appels à 23 h et s’empresse alors de déplacer des équipes afin de minimiser les impacts sur les commerces essentiels qu’il dessert.

On fait de trois à cinq magasins par nuit depuis quatre semaines. On a beaucoup d’appels. Présentement, c’est du sept jours sur sept. On est débordés !

Tony Farias, vice-président aux opérations chez United

Tant chez Groupe MMI que United, les employés portent des combinaisons jetables (hazmat suit) qui les recouvrent de la tête aux pieds, avec un masque, des lunettes et des gants. « Ces kits-là coûtent une fortune et il faut les mettre aux vidanges après », relate M. Farias.

Une présence entrepôt 24/7

Le téléphone d’Entretien S.N.C ne dérougit pas davantage. L’entreprise de 200 employés décontamine les entrepôts des trois grandes chaînes de supermarchés présentes au Québec : IGA, Metro/Super C et Provigo/Maxi.

Quand Provigo a découvert qu’un employé de son entrepôt de Boucherville avait contracté la COVID-19, c’est Entretien S.N.C qui est venu à la rescousse. C’était le 25 mars et c’était la première fois qu’un détaillant en alimentation faisait face à une telle situation.

Depuis, tous les autres grands entrepôts alimentaires du Québec ont fait appel à ses services. Dans un cas, il a fallu que 50 personnes travaillent pendant six heures pour faire le tour.

« Metro met le paquet. On a du monde qui est là tout le temps. Deux personnes 24 heures par jour qui passent 8 fois par jour », confie le propriétaire José Franco. Ses troupes sont aussi présentes chez Provigo et dans l’entrepôt robotisé d’IGA à Terrebonne.

L’entreprise décontamine des cafétérias, des toilettes, des bureaux, des rampes d’escalier, des tables, des machines à café, des chariots élévateurs. Avec un germicide appelé ES15, les employés se promènent et nettoient quelques fois par jour tout ce que les employés peuvent avoir touché. Ils « vaporisent, essuient et en remettent ».

« Pas de l’argent agréable à faire »

« Dans l’alimentation, ils prennent ça au sérieux. Fermer un centre de distribution, ça a de grosses conséquences », raconte celui qui pensait seulement avoir « deux ou trois appels ». Finalement, « le téléphone s’est mis à sonner, c’était effrayant ». Et il a « entendu la détresse » de ceux qui étaient au bout du fil. Alors il a décidé de réduire ses prix « pour ne pas saigner ses clients » qui ont besoin de lui à temps plein.

Même s’il s’estime chanceux d’avoir encore des revenus, M.  Franco n’est pas à l’aise avec la situation. Il stresse.

« Quand le téléphone sonne le soir, ce n’est pas l’fun. Pas parce que ça me réveille. Mais parce que mes gens s’en vont là. Je leur fais un speech. Je leur répète 50 fois de faire attention. Ce n’est pas de l’argent qui est agréable à faire parce que mes gars sont à risque d’être contaminés. »

Face à ce virus « qui saute sur le monde », il faut être sérieux, insiste M.  Franco. « Ce n’est pas le temps de rire comme si c’était un costume d’Halloween qu’on porte. Il faut expliquer que ça peut aller loin. » Le message a passé, aucun de ses employés n’a contracté la COVID-19, un bilan similaire à ceux de Groupe MMI et United.