Ils sont une douzaine sur mon écran Zoom, tous aux quatre coins du Québec.

Il y a un entrepreneur de machinerie lourde en Gaspésie, une spécialiste des toutous anti-anxiété à Longueuil, un fabricant de sacs d’épicerie en tissu à Carignan, le propriétaire d’une chaîne de cliniques de physiothérapie à Québec, la dirigeante d’une entreprise de pièces en bois pour la construction de maisons à Rouyn…

Et je les écoute. On est en table ronde virtuelle. Et une seule chose me vient à l’esprit : quel casse-tête ! La reconstruction de l’économie se fera avec eux. Ce sont elles aussi, ces PME, qui tiennent l’économie du Québec, partout, à bout de bras.

Mais aucune ne voit la crise de la même façon. Personne n’a les mêmes défis.

Leur point en commun ? Mis à part qu’ils sont tous membres du Groupement des chefs d’entreprise ? Et que leur vie est chamboulée ?

Une volonté d’échanger sur leurs défis et difficultés respectives. Pour certains, la crise veut dire l’arrêt total, pour d’autres, le débordement de commandes, pour d’autres encore, des défis techniques posés par la distanciation sociale. Tout le monde est affecté.

Une consultation en ligne réalisée le 24 mars 2020 par le groupement, auprès de 1700 entrepreneurs, a permis de mesurer de grands points communs : les deux tiers des entrepreneurs sondés ont dû fermer leurs portes en attendant le feu vert du gouvernement du Québec, les deux tiers croient pouvoir « survivre » avec leurs liquidités jusqu’à 15 semaines. Mais un autre tiers ne pense pas pouvoir finir le mois.

CAPTURE D’ÉCRAN FOURNIE PAR MARIE-CLAUDE LORTIE

Pas simple d'organiser une table ronde sur l’entrepreneuriat en temps de pandémie.

Mais au-delà de ces chiffres qui tracent un portrait très général, toutes sortes de scénarios se présentent.

Il y a FDMT, entreprise spécialisée en matériel pédagogique et sensoriel pour aider notamment les enfants à gérer l’anxiété, qui a vu toutes ses commandes scolaires disparaître, mais qui cartonne, notamment en raison d’une forte demande américaine, explique sa propriétaire et présidente Karine Gagner.

Il y a Chevrons Rouyn Noranda, dont les activités sont suspendues puisque les chantiers sont arrêtés, confie Benedict L. Deschamps, copropriétaire. Tout le monde a été mis à pied. Ce qui la sauve, dit-elle : « Aucune dette, même pas de marge de crédit. » Ouf. Surtout que les mesures fédérales, croit-elle, « n’auront aucun impact ». Mais combien de temps pourra-t-on durer ? Et comment sera la post-crise ? Le débordement ? Et la main-d’œuvre dans tout ça ?

Il y a Dominic Demers, de la société Tout un sac, de Carignan, qui a fait un virage à 180 degrés après une semaine de crise et la « mise sur la glace » de son carnet de commandes, et qui est totalement sorti de sa zone de confort pour transformer son entreprise de fabricant de sacs à fabricant d’équipement médical, puisque la manufacture utilise un type de tissu utile pour les jaquettes du personnel soignant. Depuis, il n’arrête pas.

Mais il y a aussi Anne-Catherine Ménard, coprésidente de Topring, à Granby, une entreprise de solutions en air comprimé, jugée essentielle par le gouvernement, mais fonctionnant néanmoins avec une chute de 60 % des ventes et donc obligée de mettre 70 % de ses employés à pied.

Sean Arani, à Montréal, de la société du même nom, a vu quant à lui la croissance de son entreprise de matériaux d’éclairage chuter dramatiquement. « J’ai dû mettre deux personnes à pied, dit-il, et la subvention fédérale ne nous aide pas. »

Mais Stéphanie Poitras, directrice générale d’Aliments Asta, à Saint-Alexandre de Kamouraska, une transformatrice de porc, roule à plein régime. « Avec 500 employés et la nécessité de la distanciation sociale, c’est tout un défi à gérer au quotidien », dit-elle. Mais COVID-19 ou pas, quelque 4000 porcs passent par l’usine chaque jour. Et la demande sur tous les marchés demeure forte. Asta n’est pas affectée par la fermeture des restaurants, explique Mme Poitras. Ce sont les épiceries qui veulent du porc.

Nathalie Ashby, elle, dirige Cible, une entreprise à cheval entre Sherbrooke et la France, offrant des services de communication, notamment dans les campagnes de financement. Ce n’est pas considéré comme un service essentiel, mais il y a néanmoins de grands besoins en gestion de crise, explique-t-elle. Tout le monde est en télétravail, une façon de travailler de l’entreprise, virus ou pas.

Partout, chacun s’adapte.

Guy Cayouette continue de déneiger, mais son défi, c’est gérer Anticosti, où son entreprise travaille, mais où on ne veut pas faire entrer le virus. Pierre Lévesque de Vitre Expert ? Il est en train de devenir, en plus de réparateur de vitres d’auto, décontaminateur de véhicules. Pour tous les professionnels, c’est un service en demande. Mais Marc-André La Barre, dont la société Lib offre des services d’aménagement de bureaux, fait une pause. La grande inconnue ? La santé financière de ceux qui sont derrière ses comptes clients.

Et c’est là le nerf de la guerre, disent les entrepreneurs : les liquidités, l’accès à des fonds.

Cadleen Désir, qui préside le conseil d’administration du groupement, note qu’il y a beaucoup d’incompréhension face aux différentes aides financières offertes par les gouvernements et qui évoluent rapidement.

C’est un peu le chaos.

Mais il y a aussi beaucoup de bonne volonté. Et la compréhension que l’agilité et l’adaptation ne sont pas optionnelles.

« C’est un gros reset, résume Anne-Catherine Ménard. C’est le temps d’avoir le courage de poser les gestes qu’on n’osait pas poser. »

Précision

Pour terminer, un dernier mot sur le Panier bleu. Dans mon texte de lundi, après avoir rouspété sur la façon dont le projet a été présenté durant le point de presse du premier ministre, où on a fait état de cette initiative en mentionnant le travail de quatre hommes, j’aurais pu préciser plus clairement que le conseil d’administration du Panier bleu, dont il n’a pas été question durant ledit point de presse, est néanmoins paritaire, avec trois femmes d’affaires et une représentante du ministère de l’Économie et de l’innovation.