« Chaque fois que je vois ce genre de nouvelles, je me repose la même question : coudonc, est-ce que le Québec est à vendre ?… Et si Lowe’s a fait un milliard de dollars de profit au dernier trimestre, ça va bien ou ça ne va pas bien ? »

La personne au bout du fil s’appelle Françoise David et nous parlons de Lowe’s, la société américaine mère de nos Rona depuis 2016, et qui a annoncé des coupes dans ses activités canadiennes mercredi.

Françoise David a longtemps été députée et co-porte-parole de Québec solidaire, mais je la connais depuis 30 ans, à l’époque où elle travaillait sur le terrain, dans un organisme d’aide pour des groupes de femmes. Je ne lui avais pas parlé depuis un moment avant de la croiser à Radio-Canada lundi, où nous avons discuté ensemble de grandes entreprises américaines et de terres agricoles. C’est probablement pour ça que j’ai eu envie de la rappeler hier : « Et alors, Françoise ? Rona ? Les Américains ? »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Confrontée à un déclin de ses ventes canadiennes, Lowe’s a annoncé mercredi une autre vague de fermetures de 34 magasins jugés « sous-performants » au Canada, dont 12 au Québec, dont un situé à Carignan (notre photo).


C’est comme si tout ce que nos commerces signifient, dans nos vies, dans notre histoire, dans nos communautés, comme si tout ça ne valait rien face aux actionnaires, m’a-t-elle répondu en substance.

Que faire alors ? 

« Je ne connais pas la réponse, m’a-t-elle dit. Mais il est temps qu’on commence à en parler. »

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Ce dont Françoise David veut parler, c’est du genre d’avenir commercial qu’on veut pour le Québec.

Veut-on que se produisent des situations comme celles qu’on observe dans la chaîne de quincailleries, où, même si les employés, gestionnaires, clients sont québécois, la prise de décisions ne l’est pas nécessairement ?

Veut-on un avenir rempli de grandes surfaces accessibles en voiture uniquement, remplies de produits à bas prix – fabriqués au bout du monde, dans des conditions pas assez connues, dans une logique pas nécessairement écologiquement intelligente – dont on ne connaît pas les propriétaires ni les vendeurs ? (Plutôt le modèle Lowe’s.)

Ou veut-on un avenir avec des commerces accessibles autrement, dans des quartiers accessibles ? Des magasins qui contribuent ensemble à bâtir, à créer des quartiers ? Qui emploient des gens qu’on connaît, qui s’approvisionnent auprès de fournisseurs qu’on connaît, qui participent eux aussi à cette économie d’ici ? (Plutôt le modèle des franchisés Rona, mais pas nécessairement la vache à lait des actionnaires.)

Ce que Françoise David veut, c’est que devant la situation actuelle, à la suite de la vente de cette institution québécoise, de ce constat de pertes d’emplois et de fermetures, on se pose des questions sur le modèle économique dominant.

« Est-ce qu’on veut continuer comme ça ? demande-t-elle. Est-on heureux de voir ça ? »

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La crise chez Rona était totalement prévisible et un peu emblématique.

Un géant américain, spécialiste de la grande surface de type power center, achète un réseau québécois de quincailleries dont la marque est solidement gravée dans la conscience collective – rappelez-vous la distribution gratuite de bois et de sel pendant le Grand Verglas –, mais qui a bâti un modèle compliqué. Il y a les très grandes surfaces – les Réno-Dépôt –, mais il y a aussi de grands magasins corporatifs et il y a en plus des franchisés, petits et grands. Un vrai méli-mélo.

Et c’est cette diversité qui ne colle pas avec la culture d’affaires de Lowe’s. 

Mais c’est peut-être aussi cette capacité de desservir tout le monde, tant le client à pied dans une rue de noyau villageois que le conducteur de camion dans un centre commercial de banlieue, qui permettait à Rona de maintenir sa marque et sa profitabilité… Parce que la chaîne, avant sa vente, n’était peut-être pas parfaite. Elle n’affichait peut-être pas une performance de niveau olympique. Mais ça roulait.

Aujourd’hui, il est trop tard pour revenir en arrière, pour défaire la transaction, pour corriger le tir, mais peut-on dire haut et fort qu’on aime et qu’on veut garder nos commerces de proximité ? demande l’ancienne femme politique. 

Peut-on dire, comme société, qu’on préférerait que des entreprises québécoises ne soient pas vendues à des géants qui voient la vie à travers la lorgnette du style de vie des banlieues américaines et ne peuvent penser à d’autres manières d’être profitables ? 

« Il faut se le demander collectivement, répète Françoise David. Veut-on continuer de vendre le Québec au plus offrant ? »

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« Il faut être réaliste », rétorque Jean-Pierre Léger, l’ancien président de St-Hubert, qui a lui aussi, en 2016, vendu son empire du poulet rôti à une entreprise hors Québec, installée en Ontario, et que j’ai aussi appelé hier.

Lui, il n’est pas surpris ni choqué de voir des commerces fermer.

Parfois, c’est inévitable.

Ce n’est pas facile à faire, admet celui qui a dû, dans le passé, mettre la clé dans la porte de restaurants non profitables. 

Mais parfois, il faut le faire. Les jeunes générations achètent sur le web. La nature même du commerce au détail change. « Tout un défi. »

Et chez St-Hubert, comment va le changement ? Doit-on s’inquiéter ?

« Ça va super bien. » La croissance est au rendez-vous, rassure-t-il. « Je n’ai aucune inquiétude. »