Le groupe américain Lowe’s a eu beau dévoiler hier des résultats financiers supérieurs aux attentes du marché, sa haute direction est restée insatisfaite de la rentabilité de ses activités canadiennes et a donc décidé de poursuivre le travail de démembrement de son réseau de magasins. Une stratégie qui ne fait que démontrer l’incapacité persistante de Lowe’s à gérer le modèle Rona, un modèle qu’elle ne comprend toujours pas trois ans après en avoir fait l’acquisition.

Après avoir fermé 27 établissements l’an dernier au Canada, dont 9 au Québec, voilà que Lowe’s en remet et confirme la fermeture dans les trois prochains mois de 34 magasins canadiens additionnels, dont 11 Rona et 1 Réno-Dépôt au Québec, et le licenciement d’une centaine d’employés.

Il s’agit ici d’une nouvelle illustration de l’inaptitude du quincaillier américain à réaliser l’intégration du réseau de magasins Rona chèrement acquis au prix de 3,2 milliards en 2016.

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

Lowe’s a payé 3,2 milliards en 2016 pour acheter Rona.

D’autant que pour espérer obtenir la rentabilité souhaitée, Lowe’s se voit contrainte de fermer beaucoup de magasins d’entreprise à grande surface, ceux-là mêmes qui étaient censés s’intégrer le plus à son modèle d’affaires.

Joint hier matin, Robert Dutton, ex-PDG de Rona, était estomaqué d’apprendre la fermeture prochaine des magasins Rona de Trois-Rivières, Granby, Saint-Tite ou Saint-Hyacinthe.

Ces magasins affichaient tous des résultats solides durant son règne de plus de 20 ans, jusqu’en 2012.

« Trois-Rivières ou Granby, ça générait des profits nets de 4 millions par année. Ces magasins-là étaient rentables parce qu’ils étaient opérés par leur propriétaire et qu’ils avaient une forte clientèle d’entrepreneurs. Lowe’s a détruit cette relation », déplore Robert Dutton.

Un constat que partagent plusieurs ex-marchands Rona qui s’étaient lancés dans l’aventure des grandes surfaces et qui ont été rachetés lorsque la nouvelle direction de Rona a voulu rendre l’entreprise plus facilement achetable par Lowe’s en 2015.

« On avait une marge de manœuvre, m’explique l’un de ces ex-marchands, qui a demandé à ne pas être identifié pour ne pas nuire à ses relations d’affaires. Sur les 35 000 produits que l’on offrait, on avait un pouvoir discrétionnaire sur les prix d’au moins 10 000 produits que l’on pouvait ajuster pour nos gros clients. Dès que Lowe’s a pris le contrôle, ils ont aboli ces pratiques. »

La direction américaine de Lowe’s ne se préoccupe que du bénéfice d’exploitation que dégagent ses magasins. C’est une gestion de financier, pas d’opérateur. On n’hésite pas à augmenter les prix des produits pour atteindre les objectifs financiers sans égard aux effets que cela produit sur les clients.

Des magasins autrefois hyper rentables ont ainsi enregistré une réduction de 30 % de leurs revenus depuis que Lowe’s est aux commandes. La clientèle des entrepreneurs, très sensible aux prix, a déserté l’enseigne Rona.

Et, pire encore, la direction de Lowe’s a annoncé hier qu’elle entendait réduire le nombre de produits dans ses magasins afin de baisser la valeur des stocks, ce qui est un non-sens pour le modèle des grandes surfaces.

« Dans nos magasins, on essayait d’avoir de 35 000 à 45 000 produits pour offrir une véritable variété à nos clients. Cela a baissé aujourd’hui à 28 000 produits et là, Lowe’s annonce que le nombre va baisser encore. Le concept d’une grande surface, c’est la variété et moins de services. Là, ça va être moins de produits et moins de services », observe un autre ex-propriétaire de Rona, toujours en affaires dans un autre domaine et qui a accepté de nous parler à la condition de ne pas être nommé.

Une transaction mal avisée

On le rappelle, Lowe’s a préparé l’acquisition de Rona dès 2012 dans le but d’accélérer son implantation dans le marché canadien, où sa rivale Home Depot était déjà confortablement installée.

Pourtant, dès que le bruit d’une telle transaction s’est répandu, plusieurs spécialistes ont fortement contesté la pertinence de la démarche stratégique et commerciale du groupe américain.

Le réseau de 500 magasins Rona – composé de magasins appartenant à des marchands affiliés, de magasins de proximité et de commerces à grande surface – n’était pas compatible avec le modèle d’affaires de Lowe’s qui reposait uniquement sur des mégamagasins.

Depuis trois ans, Lowe’s est incapable de générer la rentabilité voulue sur son investissement canadien. 

Après avoir changé toute la haute direction au siège social canadien de Boucherville, fermé près de 30 magasins en novembre dernier et dévalué de 1,25 milliard la valeur de ses actifs canadiens en début d’année, Lowe’s est toujours incapable d’atteindre ses objectifs.

Il y a un mois, l’entreprise américaine a remercié son PDG canadien Sylvain Prud’homme et annoncé le licenciement de 60 employés à Boucherville, dont le travail a été rapatrié au siège social américain.

Les nouvelles coupes annoncées hier ne permettent même pas d’entrevoir un redressement de situation chez Lowe’s. Pendant ce temps, d’autres acteurs québécois comme BMR, Canac et Patrick Morin ou la chaîne canadienne Home Hardware bénéficient d’un marché de la rénovation qui leur est favorable et surtout profitable.