L’ancien président du géant québécois de l’ingénierie WSP Global, Pierre Shoiry, a plaidé coupable vendredi à deux infractions déontologiques devant le comité de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec en lien avec le système de collusion et de financement politique à la Ville de Montréal dans les années 2000. Malgré cet aveu de culpabilité et l’abandon de son titre d’ingénieur, l’actuel vice-président du C.A. conserve la confiance de l’entreprise.

Sous sa gouverne, des employés de Genivar – devenue WSP Global en 2014 – ont commis des « actes de malversation » en participant à un système de partage de contrats entre des firmes d’ingénierie et à un stratagème de financement politique. S’il n’a pas participé aux malversations, Pierre Shoiry a reconnu qu’il aurait pu en faire davantage pour les empêcher alors qu’il dirigeait l’entreprise. C’est le premier président d’une firme d’ingénierie à faire un tel aveu.

Surveillance déficiente

Le grand patron de l’ex-Genivar a admis ne pas avoir mis en place les mesures nécessaires entre 2003 et 2010 pour « surveiller l’application des directives internes au niveau des processus d’appels d’offres afin de prévenir, d’arrêter, de mettre fin ou d’éliminer des procédés malhonnêtes et douteux ayant cours au sein de Genivar », selon l’énoncé commun des faits.

Le bâtisseur de ce fleuron québécois a également reconnu avoir failli à déployer les mesures adéquates pour surveiller les directives internes sur le plan du financement politique, « ce qui aurait pu prévenir que soit versé, directement ou indirectement, à un parti politique ou ses représentants, un avantage, une ristourne ou une commission en vue d’obtenir un contrat ».

Il s’agit de deux infractions au Code des professions pour avoir posé un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession. Il faisait initialement face à cinq infractions, dont celles de s’être prêté à des procédés malhonnêtes et d’avoir versé un montant en vue d’obtenir un contrat.

Toute la confiance du C.A.

Le haut dirigeant de WSP Global conserve « toute la confiance du conseil d’administration » de l’entreprise en dépit de sa reconnaissance de culpabilité, a indiqué à La Presse la porte-parole de WSP Global, Isabelle Adjahi. « M. Shoiry n’a pas été accusé d’avoir participé aux gestes visés ni d’en avoir eu connaissance », explique-t-elle.

Je n’ai jamais participé à des gestes de partage de contrats,
de la corruption ou à des contributions politiques illégales.
L’Ordre des ingénieurs ne me reproche d’ailleurs aucunement d’y avoir pris part ou d’en avoir eu connaissance en temps utile. Il n’en demeure pas moins, cependant, que ces gestes se sont déroulés alors que je dirigeais l’entreprise. À ce titre, j’en prends la responsabilité.

Pierre Shoiry, dans un courriel transmis à La Presse

«  Une peine sévère et exemplaire »

Les parties ont suggéré au conseil de discipline d’imposer une amende de 75 000 $ pour les deux chefs. Dans le cadre de l’entente, Pierre Shoiry s’engage à abandonner de façon « irrévocable » son titre d’ingénieur qu’il détient depuis 1982. Il a d’ailleurs déjà renoncé à son titre jeudi, a indiqué son avocat Me Charles B. Côté.

« C’est une peine sévère et exemplaire. Renoncer à son titre, c’est tout un engagement. Aussi, c’est la deuxième plus grande amende de l’Ordre », a fait valoir Me Marie-France Perras, du syndic de l’Ordre. Comme ingénieur d’expérience et leader hiérarchique de l’entreprise, Pierre Shoiry « se devait d’assurer un suivi au niveau de l’attribution des contrats. Il avait un rôle de gardien », a plaidé l’avocate du syndic.

La firme d’ingénierie a versé des centaines de milliers de dollars au parti de l’ex-maire Gérald Tremblay en échange de contrats publics dans les années 2000. Genivar a été mentionnée plus de 140 fois dans le rapport de la commission Charbonneau.

Pierre Shoiry a demandé de resserrer les règles internes en matière de financement politique à la suite de la découverte de contributions politiques illégales de certains ingénieurs de l’entreprise, relève-t-on dans l’énoncé des faits.

C’est également M. Shoiry qui a mené Genivar à participer au Programme de remboursement volontaire du gouvernement. L’entreprise s’est d’ailleurs engagée à verser 4 millions de dollars en mars dernier pour son rôle dans cette affaire.

Le conseil de discipline a pris sa décision en délibéré.

Nommé dans l’enquête Fronde

Pierre Shoiry ne fait face à aucune accusation criminelle. Son nom se retrouve cependant dans le mandat d’arrêt déposé en 2017 dans le cadre de l’enquête Fronde de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) sur un stratagème de répartition de contrats en échange de financement politique qui aurait été en vigueur entre 2004 et 2009 à Montréal.

Les cinq accusés restants dans cette affaire sont soupçonnés d’avoir comploté avec une dizaine de personnes, dont Pierre Shoiry, entre novembre 2001 et novembre 2009 pour commettre une fraude dans le cadre de l’attribution de contrats de services professionnels sur appels d’offres publics. Leur procès devait s’amorcer cet automne, mais les accusés réclament maintenant l’arrêt du processus judiciaire. Leur requête doit être débattue mardi prochain. L’ex-numéro deux de la Ville de Montréal Frank Zampino a déjà bénéficié d’un tel arrêt.

En septembre dernier, Pierre Shoiry a exercé des options pour ensuite vendre 307 184 actions pour 24 millions de dollars.