Après avoir angoissé bon nombre d’investisseurs depuis trois semaines, le producteur de cannabis de Gatineau Hexo n’a pas pu freiner sa descente boursière hier, en présentant sa performance de fin d’exercice.

L’action d’Hexo a clôturé en baisse de 3 % hier à 2,94 $, à Toronto. Le titre a maintenant perdu quelque 75 % de sa valeur depuis son sommet de 11,29 $ au printemps, au moment où il affichait le meilleur rendement de la Bourse de Toronto depuis le début de l’année.

Hexo était attendue de pied ferme par les analystes et investisseurs.

Le 10 octobre — six jours seulement après l’annonce de la démission de son chef de la direction financière —, Hexo avait flanqué la frousse aux investisseurs en retirant ses prévisions pour le prochain exercice tout en dévoilant des résultats préliminaires.

La direction avait expliqué la situation par des déploiements plus lents que prévu de produits dans les magasins de la SQDC, un retard marqué par le gouvernement dans l’approbation de produits dérivés et des signes précurseurs de pression sur les prix.

Dans ces résultats finaux publiés dans la nuit de lundi à hier, l’entreprise déclare des revenus de 15,4 millions pour les mois de mai, juin et juillet, ce qui est relativement conforme aux attentes du marché. Or, la perte d’exploitation ajustée a atteint entre 25 et 30 millions, selon les calculs de certains analystes, un niveau de beaucoup supérieur au consensus qui s’articulait autour d’une perte d’exploitation de 11 millions.

Les prévisions pour le trimestre actuel ont aussi suscité la déception. Pour le trimestre en cours, la direction d’Hexo s’attend à des ventes de 14 à 18 millions. Les analystes croyaient pour leur part que les ventes s’élèveraient à environ 20 millions.

Enfin, en raison de la pression à la baisse sur les prix, Hexo a enregistré une charge de dépréciation de 17 millions.

Bref, les commentaires des analystes n’étaient pas tendres : « trimestre difficile », « résultats négatifs », une « rentabilité pas à la hauteur des attentes ». 

Le PDG et cofondateur d’Hexo, Sébastien St-Louis, a répondu avec énergie aux questions des analystes pendant une téléconférence d’une heure, hier matin.

« Le défi pour les investisseurs n’est pas de savoir si l’industrie sera grosse ou non au pays. On le sait. Ce qui est moins clair est de savoir parmi les 150 entreprises au pays lesquelles seront des Amazon et lesquelles seront des Pets.com. »

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Sébastien St-Louis, PDG et cofondateur d’Hexo, a répondu aux questions des analystes pendant une téléconférence d’une heure hier.

Je suis plus confiant que jamais que nous serons un des survivants. Le marché traverse une période très difficile et c’est une bonne chose. Nous voyons la fin de la première bulle et on voit les véritables exploitants émerger.

Sébastien St-Louis, PDG et cofondateur d’Hexo

L’entreprise n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue.

Jeudi dernier, Hexo a annoncé l’élimination de 200 emplois, dont certains postes de direction pour ajuster la taille de l’entreprise aux revenus attendus en 2020. De plus, la culture a été suspendue à l’usine de Niagara et sur une superficie de 200 000 pieds carrés aux installations principales à Gatineau.

L’annonce la semaine dernière d’un placement privé de 70 millions de dollars de débentures convertibles en actions au prix unitaire de 3,16 $ a aussi pu soulever des interrogations sur la santé financière de l’entreprise.

« Un pétard mouillé »

Un an après la légalisation du cannabis, le rêve des investisseurs s’avère un pétard mouillé, souligne le gestionnaire de portefeuille Philippe Le Blanc, de la firme Cote 100, dans sa lettre financière publiée au cours du week-end.

« Il faut dire que les attentes étaient particulièrement élevées. Compte tenu des évaluations très généreuses de nombreuses sociétés du secteur, on pouvait s’attendre à des déceptions. »

Pour se faire une idée de la performance des titres du secteur, Philippe Le Blanc utilise le fonds négocié en Bourse Horizons Marijuana Life Sciences Index (HMMJ). « Après avoir atteint un sommet historique de plus de 24 $ en septembre 2018, quelques semaines avant la légalisation officielle du cannabis, l’indice a depuis perdu près de 55 % de sa valeur. »

Le chef des placements chez Cote 100 rappelle au passage que la majorité des entreprises du secteur ne font pas d’argent. « Encore aujourd’hui, leur évaluation est fondée sur des rêves, sur des espoirs d’éventuels bénéfices. »

À son avis, le marché canadien ne peut justifier les évaluations actuelles et si les marchés internationaux renferment certainement un potentiel, la concurrence y sera sans doute « féroce ».

Le quatrième trimestre d’Hexo en bref
T4 2019 contre T4 2018 Revenus : 15,4 millions contre 1,4 million
Perte nette : 56,7 millions contre 10,5 millions

Trois réactions d’analystes

Charge de dépréciation

Il y a plusieurs points négatifs dans les résultats dévoilés. Notamment, la charge de dépréciation de stocks de 17 millions prise en raison de “pression” sur les prix, ce qui est troublant considérant l’importante accumulation de stocks par les producteurs licenciés (339 000 kilogrammes en date d’août, selon Santé Canada).

Tamy Chen, BMO

Signe avant-coureur

Ce fut un trimestre difficile pour Hexo. Je demeure dans le noir sur quelques points, notamment sur ce qu’est Hexo aujourd’hui. J’estime qu’Hexo vient de suspendre environ 30 % de sa capacité de culture, ce qui est susceptible d’être un signe précurseur de choses à venir pour l’ensemble du secteur. Je m’attends à ce que d’autres ajustent aussi leur capacité et suivent l’exemple d’Hexo qui cible le marché du pot à prix plus abordable dans un effort pour préserver les liquidités et prendre des parts de marché.

 Brett Hundley, Seaport Global

Déception

Dans l’ensemble, il s’agit de résultats mitigés. La rentabilité n’est pas à la hauteur des attentes.

David Kideckel, AltaCorp Capital

Quatre bouées de sauvetage pour Hexo

Malmenée en Bourse, la société québécoise Hexo mise sur quatre facteurs qui pourraient être déterminants pour sa croissance et sa position dans le marché encore très incertain du cannabis canadien.

Plus de succursales de la SQDC

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

« L’ouverture plus lente que prévu » des magasins de vente au détail de cannabis a eu un impact direct sur la croissance de Hexo. 

Parmi les facteurs qu’elle évoque pour expliquer ses revenus largement sous les attentes, Hexo met au premier rang « l’ouverture plus lente que prévu » des magasins de vente au détail de cannabis, notamment ceux de la Société québécoise du cannabis (SQDC). La société d’État québécoise, dont Hexo est le « fournisseur privilégié », compte pour l’instant une vingtaine de lieux de vente. Ce nombre devrait grimper à plus de 40 d’ici la fin de 2020. La croissance des ventes de cannabis sur le marché légal est étroitement liée à l’ouverture de ces commerces, où se réalisent entre 80 et 90 % des ventes de marijuana légale. La SQDC affirme que son plan de déploiement est connu depuis longtemps, mais qu’en raison des ruptures de stock qui ont marqué la première année de la légalisation, elle a dû « ralentir la cadence » expressément pour permettre aux producteurs de s’adapter au marché.

Boisson au cannabis

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Hexo et Molson-Coors développent ensemble une boisson non alcoolique infusée au cannabis qui aura un effet similaire à celui d’une bière légère.

Hexo mise gros sur son alliance avec la brasserie Molson-Coors, qui a donné naissance à la coentreprise Truss. Les deux partenaires ont investi à travers cette entreprise énormément de ressources dans la recherche et le développement pour créer une boisson non alcoolique infusée au cannabis qui aurait un effet similaire à celui d’une bière légère. « Leur capacité à créer un breuvage dont l’effet se fait rapidement ressentir et dont la concentration n’est pas trop élevée afin que les consommateurs puissent en consommer plus qu’un, c’est le nerf de la guerre, dit la consultante en cannabis Caroline Lavoie. Personnellement, j’y crois, ça peut vraiment favoriser l’acceptabilité sociale du cannabis, mais il faudra voir si ça plaît aux consommateurs. » Ces boissons pourront en théorie être commercialisées à partir de la mi-décembre, mais avec l’interdiction totale de faire de la publicité entourant les produits de cannabis, leur mise en marché est laborieuse.

L’arrivée des vapoteuses

PHOTO NAM Y. HUH, ASSOCIATED PRESS

Hexo souhaite commercialiser des vapoteuses jetables contenant des extraits de cannabis.

Comme tous les producteurs de cannabis au pays, Hexo souhaite profiter de la deuxième phase de la légalisation pour commercialiser des vapoteuses jetables contenant des extraits de cannabis. Ces produits, faciles d’usage, discrets et pratiquement sans odeur, ont connu une explosion de popularité aux États-Unis depuis deux ans. Ils plaisent à un marché d’utilisateurs moins aguerris. « C’est du côté des produits innovants comme ceux-là qu’on trouve beaucoup de valeur ajoutée », affirme Michel Timperio, président de l’Association québécoise de l’industrie du cannabis. Les cas de maladie pulmonaire aiguë apparus l’été dernier au sud de la frontière, vraisemblablement liés à l’utilisation de vapoteuses au cannabis provenant du marché noir, pourraient mettre un frein à leur mise en marché au Québec. La SQDC dit être « en réflexion » à leur égard. La décision de Québec d’interdire les extraits dont la concentration dépasse 30 % de THC rend aussi difficile la mise en marché de ces vapoteuses au Québec, puisqu’elles contiennent typiquement des extraits beaucoup plus concentrés.

Produits à bas prix

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Hexo est le seul fournisseur de la SQDC qui vend un produit en format d’une once (28 grammes), équivalant à 4,49 $ le gramme.

Malgré l’attrait pour les produits transformés qui ont une plus grande valeur ajoutée, Hexo est le seul fournisseur de la SQDC qui vend un produit en format d’une once (28 grammes), équivalant à 4,49 $ le gramme. Ce format a été expressément mis en marché pour atteindre les gros consommateurs et faire mal au marché noir. Michel Timperio y voit cependant une stratégie risquée. « Quand tu entres dans une spirale de compression des marges de profit, ça devient difficile de tirer ton épingle du jeu », estime-t-il.