La tourmente dans laquelle se trouve SNC-Lavalin préoccupe son plus important actionnaire, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), qui est sortie de sa réserve habituelle pour exiger des «actions décisives».

Il s’agit d’un changement de ton marqué alors que le bas de laine des Québécois a épaulé la firme dans sa croissance au cours des dernières années tout en se portant à la défense de cette dernière en dépit des accusations criminelles qui pèsent sur elle depuis 2015.

Lundi, la CDPQ a toutefois signalé que sa patience avait des limites quelques heures après l’annonce d’une autre restructuration chez SNC-Lavalin, qui comptabilisera une charge de 1,9 milliard en plus de retirer ses prévisions pour l’exercice puisque l’entreprise devrait afficher des résultats «nettement inférieurs» à ce qui était attendu. La firme abandonnera également les contrats à prix forfaitaire et pourrait se départir de ses activités dans le domaine des hydrocarbures.

«La situation dans laquelle se trouve la société exige des actions décisives, sans délai, de la part de son conseil d’administration», a fait valoir le gestionnaire de régimes de retraite, dans un communiqué.

Les mauvaises nouvelles dévoilées par SNC-Lavalin ont aussi déplu aux investisseurs, puisqu’à la Bourse de Toronto, l’action de la firme a abandonné 6,7%, ou 1,71 $, pour clôturer à 23,80 $.

La Caisse, qui détient une participation d’environ 20% dans l’entreprise, a qualifié la tendance actuelle d’«inacceptable», ajoutant qu’elle comptait suivre la situation «de près» dans les «prochaines semaines», sans toutefois commenter davantage.

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La Caisse de dépôt et placement du Québec détient une participation d’environ 20% dans SNC-Lavalin.

Pourtant, pas plus tard qu’en février, en marge du dévoilement des résultats annuels de l’institution, son président et chef de la direction, Michael Sabia, avait estimé que le potentiel de la firme québécoise demeurait «impressionnant». Il avait également rappelé que la société avait apporté d’importants changements au sein de sa gouvernance et de son équipe de direction depuis 2012, lorsque les scandales ayant entaché sa réputation ont éclaté.

S’il ne s’attendait pas à ce que la CDPQ reste les bras croisés, Chris Murray, d’Altacorp Capital, s’est montré étonné de la sortie effectuée par l’institution.

«Il est quelque peu inhabituel de voir de tels commentaires en public, a expliqué l’analyste, au cours d’une entrevue téléphonique. Généralement, de telles discussions se tiennent derrière des portes closes.»

En plus de son bloc d’actions, la Caisse avait également prêté 1,5 milliard à SNC-Lavalin afin de l’aider à acquérir la firme londonienne WS Atkins en 2017 pour 3,6 milliards.

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Le président et chef de la direction par intérim de SNC-Lavalin, Ian Edwards

Un virage

Dans un effort visant à s’éloigner de la vision de son prédécesseur, où les activités de construction ainsi que le secteur pétrolier et gazier jouaient un rôle important, le président et chef de la direction par intérim de la société, Ian Edwards, a opté pour un virage vers les services d’ingénierie, de conception ainsi que vers le secteur nucléaire.

En plus de cesser de soumissionner sur des contrats à prix fixe, qui font souvent l’objet d’importants dépassements de coûts, SNC-Lavalin regroupera ses activités liées aux ressources et à la construction — deux segments où la performance est loin d’être au rendez-vous — dans une entité distincte.

Nommé en juin en remplacement de Neil Bruce, M. Edwards a estimé qu’il s’agissait d’une «première étape» afin de réduire le niveau de risque.

«Les projets clé en main à prix forfaitaire sont la cause première des problèmes de rendement, a-t-il estimé, dans un communiqué. En abandonnant ce type de contrats […] nous nous attaquons à la source du problème.»

La firme explorera aussi «toutes les options» pour son secteur des ressources, y compris la vente de ses activités pétrolières et gazières, où l’on comptabilisera une charge de dépréciation supplémentaire de 1,9 milliard. SNC-Lavalin devrait dévoiler, le 1er août, une perte d’exploitation ajustée liée aux activités d’ingénierie et de construction oscillant entre 150 millions à 175 millions pour le deuxième trimestre.

SNC-Lavalin avait déjà sabré ses prévisions pour 2018 à deux reprises en trois semaines plus tôt cette année en plus d’annoncer, en mai, un plan visant à réduire son empreinte dans 15 pays.

Ces nouvelles financières ont été qualifiées de négatives par les analystes financiers, certains estimant également que la compagnie avait du pain sur la planche au cours des mois à venir.

«Le nouveau président doit redresser la barre dans un climat d’instabilité juridique, au moment où le contexte politique nuit à l’entreprise, que les risques d’exécution demeurent élevés et que le moral des employés est au plus bas», a indiqué Frederic Bastien, de Raymond James, dans une note.

Visage différent

L’an dernier, le secteur pétrolier et gazier a représenté environ le quart des revenus totaux de 10,08 milliards. Cette division n’a toutefois généré que 3,8% des bénéfices avant intérêts et impôts, soit le pourcentage le plus faible de ses quatre principales divisions de la firme. De son côté, la parte du secteur mines et métallurgie été 345,6 millions.

Les activités liées aux contrats à prix fixe seront regroupées sous l’entité SNCL. Ces contrats, dont celui du Réseau express métropolitain, représentent 3,2 milliards du carnet de commandes de SNC-Lavalin. L’entreprise se retirera également des projets où elle a été sélectionnée pour soumissionner, comme pour la réfection du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine — un chantier estimé de plus de 500 millions. Les activités jugées plus profitables se retrouveront sous l’égide de SNCL Services d’ingénierie.

SNC-Lavalin est également au cœur d’une tempête politique qui continue d’ébranler le gouvernement Trudeau en raison de pressions indues qui auraient été effectuées auprès de l’ex-procureure Jody Wilson-Raybould afin qu’elle négocie une entente à l’amiable avec la compagnie pour lui éviter un procès criminel.