Cet été La Presse fait un retour aux sources en compagnie de grands entrepreneurs québécois en re-visitant les lieux où leur entreprise a débuté, pour revivre l’époque de leur démarrage. Aujourd’hui, Aldo Bensadoun, fondateur du Groupe Aldo.

Lorsque Aldo Bensadoun a décidé de se lancer en affaires à Montréal, en 1972, il avait une seule ambition. « Je voulais faire quelque chose de nouveau, créer une entreprise modèle, construite autour de valeurs fortes : l’amour, le respect et l’intégrité, trois valeurs qui sont encore aujourd’hui au cœur de notre mission », expose le fondateur du Groupe Aldo.

C’est au premier magasin Aldo, situé au 1320, rue Sainte-Catherine Ouest, qu’Aldo Bensadoun me reçoit. Le but de la rencontre est de revenir dans le temps et dans les lieux qui ont vu naître ce qui est devenu aujourd’hui l’une des plus grandes chaînes de magasins de chaussures du monde, sinon la plus grande.

« Notre premier magasin se trouvait en fait dans l’édifice voisin parce que, au départ, je n’avais pas les capitaux pour payer un loyer. On louait un espace dans le magasin Le Château. »

« On avait trois tablettes de six pieds de long sur lesquelles on pouvait exposer une vingtaine de nos modèles de souliers. On a utilisé le même concept dans les magasins Le Château à Québec, Winnipeg et Ottawa. D’un point de vue stratégique, c’était une erreur d’avoir quatre magasins aussi éloignés, mais on a réussi à passer au travers », précise Aldo Bensadoun.

Le succès de la formule Aldo a été instantané. L’entreprise est devenue profitable dès ses premiers jours d’activité et l’a toujours été par la suite, une rentabilité nourrie principalement par l’innovation.

Aldo a été le premier détaillant de chaussures au Canada à ne pas être approvisionné par des grossistes. Aldo Bensadoun dessinait ses modèles de souliers et les faisait fabriquer par des artisans en Italie. En évitant les intermédiaires, on réduisait les coûts pour l’entreprise et les prix pour les clients.

« J’avais un capital de base de 1000 $. J’ai dû réhypothéquer ma maison pour pouvoir payer mes fournisseurs. Mais on a créé une marque. On a eu un succès monstre avec un sabot suédois en bois qu’on a modifié. De 1972 à 1980, on en a vendu des tonnes et on pense d’ailleurs le réintroduire l’année prochaine », explique le président du conseil du Groupe Aldo.

Des valeurs qui transcendent les époques

Lorsque l’entreprise Aldo est née, en 1972, le contexte sociopolitique était effervescent. Les États-Unis étaient encore engagés dans la guerre du Viêtnam et le mouvement hippie remettait en question quantité de valeurs traditionnelles.

C’est ce qui a inspiré Aldo Bensadoun à promouvoir l’amour, la confiance et l’inclusion comme valeurs cardinales de l’entreprise.

On ne voulait pas juste faire de l’argent, on voulait créer une communauté autour de principes de fraternité et de partage. Donner la chance à nos employés de rayonner. Ces valeurs sont encore bien vivantes dans l’entreprise aujourd’hui.

Aldo Bensadoun

C’est toutefois son bagage génétique qui l’a amené à se lancer dans le secteur de la chaussure : son grand-père avait été cordonnier en Algérie et son père avait eu des magasins de souliers au Maroc.

De 1972 à 1979, les chaussures Aldo étaient seulement offertes dans les magasins Le Château. En 1979, Le Château de la rue Sainte-Catherine ferme ses portes et Aldo ouvre son premier magasin dans le commerce attenant. Ç’a été le premier Aldo d’un réseau qui comprend aujourd’hui plus de 3000 points de vente dans 102 pays.

PHOTO FOURNIE PAR ALDO BENSADOUN

Aldo Bensadoun dans son bureau à la fin des années 70

La progression s’est d’abord faite sur le territoire canadien. En 1982, Aldo décide de tester le marché américain en ouvrant un magasin à Plattsburgh, à proximité du centre de distribution de Montréal. Il a fallu attendre quelques années avant d’entreprendre l’expansion internationale, d’abord en Angleterre et en France.

« À quel moment vous êtes-vous dit : “Ça y est, j’ai réussi” ? », lui ai-je demandé lors de notre rencontre.

« Jamais. Je n’ai jamais dit cela. On doit constamment s’adapter. C’est le client qui est notre patron et le concept évolue continuellement. Aujourd’hui, les clients choisissent leurs chaussures à partir de leur téléphone, leur iPad, leur ordinateur, c’est le cas de 80 % des chaussures que l’on vend chez Aldo. »

« Le magasin est devenu une salle d’exposition, un lieu qui renforce la marque Aldo. Depuis les cinq dernières années, notre marque représente pour les consommateurs la mode à un prix raisonnable et des produits fabriqués dans une perspective de développement durable. Tous nos fournisseurs opèrent avec des codes d’éthique », précise Aldo Bensadoun.

Depuis cinq ans, le Groupe Aldo a réduit de 37 % ses émissions de gaz à effet de serre et rachète des crédits de carbone pour compenser l’empreinte environnementale des nombreux déplacements en avion que les employés doivent réaliser.

« Jamais je n’ai pensé qu’on deviendrait un jour aussi gros. La taille du Groupe Aldo n’a jamais été un enjeu, ça s’est fait de façon normale », insiste le fondateur. »

À 80 ans, Aldo Bensadoun est toujours très présent au siège social du Groupe à Saint-Laurent. Il rencontre encore régulièrement des fournisseurs partout dans le monde. Pour lui, la retraite est un concept qui n’existe pas.

« Aujourd’hui, c’est David Bensadoun, mon fils, qui est le PDG d’Aldo, c’est lui qui règle les problèmes. Moi, je peux donner des conseils. Cet après-midi, j’ai des rendez-vous, mais mon petit-fils m’a demandé d’assister à une représentation à son école. Je vais annuler mes rendez-vous. Je n’ai plus de responsabilités », résume-t-il avec un large sourire de contentement.

Aldo en quelques chiffres  1100 employés au siège social, à Saint-Laurent 900 magasins d’entreprise au Canada, aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni 2100 points de vente franchisés dans 102 pays 20 000 employés dans le monde Provenance des revenus 50 % Magasins d’entreprise 20 % Franchises 20 % Activités de grossiste 10 % Ventes en ligne

Quatre questions à Aldo Bensadoun

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Aldo Bensadoun cite son bagage génétique lorsqu’il explique pourquoi il s’est lancé dans le secteur de la chaussure : son grand-père avait été cordonnier en Algérie et son père avait eu des magasins de souliers au Maroc.

Quel a été le pire moment ou le plus éprouvant que vous avez vécu au cours de votre cheminement ?

Je pense que c’est lorsqu’on a décidé, à la fin des années 90, de cesser de vendre les bottes Dr. Martens dans nos magasins. Ça représentait un très gros volume de ventes pour nous, mais ils voulaient qu’on augmente les prix de façon démesurée. On a mis fin à notre association et on a développé nos propres bottes.

Quelle a été la meilleure décision que vous avez prise ?

C’est encore à la fin des années 90. En 1999, plus précisément, quand on s’est posé la question : « Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » C’est là qu’on a pris la décision de s’ouvrir sur le monde en développant des franchises. On a commencé par Israël et on est maintenant présents dans 102 pays.

Vous avez été à l’époque une entreprise en démarrage et vous êtes devenu, 47 ans plus tard, une multinationale. Comment expliquez-vous votre longévité par rapport à celle qu’on observe dans les jeunes sociétés d’aujourd’hui qui sont vendues rapidement par leurs fondateurs ?

C’est qu’on avait une mission, pas juste une entreprise pour faire de l’argent pour pouvoir s’installer en Floride. Ce n’est pas moi qui ai fait le succès que l’on a connu, c’est l’ensemble de l’équipe de direction qui partageait les mêmes principes et les mêmes valeurs.

Si vous aviez un conseil à donner aux jeunes entrepreneurs, quel serait-il ?

Soyez honnêtes, travaillez fort et faites ce que vous aimez.