Les ventes de frites fraîches précuites montent en flèche. Le manque de personnel et d’espace dans les cuisines des restaurants contraint plusieurs établissements à faire préparer leurs pommes de terre à l’extérieur de leurs murs.

« Les frites prédominent dans le menu. Ça prend pratiquement une personne à 40 heures/semaine pour faire ça », lance sans détour Gérôme Paquette, copropriétaire du restaurant L’Gros Luxe à Longueuil. Pour gagner du temps et « épargner » du personnel, les neuf succursales du groupe achètent depuis quelques années des frites fraîches précuites préparées à l’extérieur de leurs cuisines.

Ainsi, au lieu d’avoir des employés qui se consacrent essentiellement au lavage, à l’épluchage et à la coupe des pommes de terre, ces établissements peuvent affecter le personnel – difficile à trouver – à d’autres tâches en cuisine. « Ça permet d’économiser du temps, ajoute M. Paquette. Ça épargne deux heures de cuisson [par jour]. »

À l’instar d’autres restaurants, L’Gros Luxe s’approvisionne auprès de Saint-Arneault, la seule entreprise en Amérique du Nord à produire la fameuse pomme de terre fraîche, mais précuite. « Au Québec, les gens adorent le goût de la fraîche », affirme sans détour Marc Dumas, directeur principal des ventes de la société, située à Saint-Hubert.

Et les chiffres lui donnent visiblement raison. De mai 2018 à avril 2019, les ventes de qualifraîches – nom donné aux pommes de terre pelées, taillées et précuites produites par l’entreprise – ont augmenté de 25 %. L’année précédente, elles avaient fait un bond de 13,5 %. Le directeur des ventes de l’entreprise attribue cette popularité grandissante à la pénurie de main-d’œuvre qui frappe les cuisines des restaurants. « Les gens cherchent une option de rechange », indique-t-il.

M. Dumas vante les mérites de son produit en faisant mention de sa fraîcheur et de sa coupe régulière. Il rappelle également que le temps de cuisson – qui varie entre une minute et deux minutes et demie – est plus rapide que celui des frites congelées, ce qui permet aux restaurateurs d’économiser du temps et de l’huile.

Au Casino

Depuis quelques années, les différents restaurants du Casino de Montréal servent également les frites fraîches de Saint-Arneault. S’il n’associe pas cette décision à la pénurie de main-d’œuvre, le directeur corporatif Affaires publiques de Loto-Québec, Patrice Lavoie, a tout de même souligné par courriel que « c’est plutôt par souci d’efficacité opérationnelle que [le Casino procède] de la sorte, permettant ainsi [au] personnel des cuisines de se concentrer sur d’autres tâches à valeur ajoutée ».

Également géré par la société d’État, le Casino du Lac-Leamy, qui compte cinq restaurants, songe également à se tourner vers cette option, confirme M. Lavoie.

Les clients qui s’attablent à La Cage brasserie sportive retrouvent aussi dans leur assiette des frites préparées par Saint-Arneault.

« Ça nous permet d’économiser quelques heures en cuisine. » — Jean Bédard, président du groupe Sportscene, qui possède la chaîne de restos-bars La Cage

Curieusement, lorsqu’il a décidé de servir la qualifraîche il y a cinq ans, M. Bédard ne faisait pas face à des problèmes de recrutement de personnel. Force est de constater que cette décision lui rend service aujourd’hui, alors que l’entreprise fait des pieds et des mains pour attirer des employés.

Au départ, c’est plutôt l’espace exigu des cuisines qui l’a convaincu de faire préparer ses pommes de terre à l’extérieur des murs des 45 établissements de la chaîne. « Dans ma première job, j’épluchais des patates au sous-sol d’un restaurant, raconte Jean Bédard. Ça prenait beaucoup d’espace. On n’a pas la place en cuisine pour s’installer et faire de la frite fraîche. »

Auparavant, le groupe affichait sur son menu des pommes de terre surgelées. Mais lorsque l’entreprise, il y a quelques années, a revu son image de marque notamment en modifiant son offre alimentaire, on a décidé de se tourner vers un produit frais 100 % québécois. « On jugeait que c’était de la meilleure qualité. »

La fraîcheur du produit a également été un argument de taille du côté de L’Gros Luxe. « Je ne serais pas à l’aise de servir du congelé à des gens, confie Gérôme Paquette. J’ai jamais osé aller vers ces qualités de frites là. La fraîcheur, ça se voit. »

Mets préparés ailleurs

En plus des frites, des restaurants en manque de personnel font de plus en plus appel à des cuisines extérieures, constate François Meunier, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association restauration Québec (ARQ). Carottes pelées et coupées, joue de bœuf cuite sous vide, osso buco de porc, certaines entreprises se spécialisent dans la préparation de nourriture destinée aux restaurants.

L’Gros Luxe utilise d’ailleurs cette formule. Les recettes de burgers végétariens, de côtes levées et de fish and chips ont toutes été créées à l’interne, mais elles sont préparées à l’extérieur des cuisines des restaurants.

« Ces services existent depuis longtemps, souligne François Meunier, mais la pénurie de main-d’œuvre contribue certainement à accentuer ce besoin. »