Il suffit de passer quelques minutes à l’accueil de la firme EY pour arriver à un constat : les tailleurs et complets se font rares. Même réflexion chez Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT). Le jean et les baskets propres sont portés par plusieurs employés, comme s’ils évoluaient dans une agence de pub.

La cravate ? Les souliers à talons hauts ? Plusieurs de ces accessoires attendent sagement dans l’armoire des VP.

« Je travaille ici depuis 22 ans et à mes 10 premières années, jamais on ne se présentait sans veston-cravate au bureau ou chez un client, se remémore Yann Lavallée, associé en certification d’EY. Tranquillement, on a vu un relâchement de la cravate. Et même chez certains clients, on a vu qu’elle disparaissait. »

En 2017, quelques années après l’instauration de vendredis « jean », les 6000 employés d’EY au Canada ont reçu une vidéo du président et chef de la direction de l’époque : « Il n’y aura plus de vendredis jean… maintenant, ce sera tous les jours en jean ! »

On ne s’est pas fait prier pour bénir la parole du patron, même si certains préfèrent encore une tenue traditionnelle. « Chacun a adopté le code vestimentaire à son rythme, estime Yann Lavallée. Même moi, au départ, avec le vendredi jean, j’ai eu l’impression d’être moins efficace. Mais rapidement, j’ai trouvé ça plus confortable et agréable. »

Tous les grands

À Montréal, EY s’ajoutait ainsi aux grands cabinets de comptabilité et de fiscalité ayant adopté le « suit & jeans » ou le « business casual » au travail. « La première qui est arrivée avec le concept de s’habiller selon son jugement est PwC, note Marie-Claude Pelletier, présidente et styliste des Effrontés. Pour une raison de recrutement. Les cabinets doivent user de beaucoup de stratagèmes pour attirer les jeunes générations, pour lesquelles conserver leur propre identité est plus important. »

Des employés dans la vingtaine et la jeune trentaine le confirment : « C’est quelque chose d’intéressant et d’attirant, dit Oussama Abbes, analyste de données sénior, service de certification, d’EY. Pour moi qui viens du domaine bancaire, c’est un plus. On est plus à l’aise. »

« Je ne choisirai pas une entreprise par rapport à ça, mais c’est un avantage de m’habiller comme je veux. Je suis plus moi-même. » — Ariane McKay-Hamelin, responsable du recrutement universitaire, est du Canada, d’EY

La rétention n’a cependant pas été une motivation calculée quand RCGT a favorisé la tenue décontractée, indique la direction. « C’est une solution plus évolutive qu’un mémo du lundi matin, estime son président Emilio B. Imbriglio. On a vécu l’évolution des services, des clients, des mentalités. Puis, on s’est ajustés. C’est devenu plus contagieux qu’une décision corporative. Et ça ne s’est pas fait avec cette pensée d’acquisition ou de rétention. On s’adapte aux réalités. »

La diversification des services et de la clientèle est en grande partie responsable de cette transition vestimentaire. « On est plus qu’un cabinet de fiscalité et de comptabilité, explique Emilio B. Imbriglio. La firme a évolué vers des services professionnels autres. On s’habille maintenant en fonction de ce qu’on va faire dans la journée et des clients rencontrés. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Emilio B. Imbriglio, président de RCGT, et Macha Pohu, vice-présidente, talent et culture, de RCGT

« Les sociétés très innovantes, les technos, ont un code plus décontracté, remarque Yann Lavallée. Régulièrement, on s’est fait dire : “Vous êtes overdressed.” Ça fait évoluer la façon de penser. »

De son côté, ces dernières années, Deloitte parle davantage d’attitude globale « authentique » que de tenue décontractée. « Il y a trois ans, en changeant nos bureaux, on a fait une étude sur le travail de demain, la façon d’interagir avec nos clients et le personnel, sur l’inclusion, explique Amir Belkhelladi, associé et leader d’une ligne de services en gestion de risque de Deloitte. Dans le but d’aller chercher de l’authenticité. Par conséquent, les gens travaillent comme ils se sentent à l’aise. On leur permet de s’exprimer par la façon de s’habiller, de travailler… On est convaincus qu’on performe mieux quand on est authentique. »

Une mode, le décontracté ?

Marie-Claude Pelletier se demande si cet avantage social dans les grandes firmes va bien vieillir.

« L’habillement a quand même des répercussions sur la façon avec laquelle on est perçu, juge-t-elle. L’employé qui doit travailler chez un client représente la marque. Avec de tels codes, certains ont beaucoup de discernement et d’autres ne comprennent pas qu’ils représentent quelque chose de plus grand qu’eux, soit l’entreprise qui les embauche. Il faut certaines règles de base. »

Ce que les EY, RCGT et Deloitte assurent avoir. Des visuels et courriels ont été envoyés aux employés, question d’éviter les trous dans les jeans, les bretelles spaghettis ou les gougounes aux pieds. « On redonne l’intelligence à nos employés d’appliquer le code, dit Macha Pohu, vice-présidente, talent et culture, de RCGT. C’est ce qu’ils apprécient le plus. S’ils ont un événement ou un rendez-vous qui l’exige, ils s’habillent en conséquence. »

« Le jugement est le critère à mettre de l’avant, dit Amir Belkhelladi. Faites la bonne chose pour vous et votre client. »

Plus ou moins cher, s’habiller décontracté ?

Ça peut être plus cher, selon Emilio B. Imbriglio, de RCGT. « Une belle paire de jeans peut être très chère », dit-il. « Les souliers que je porte présentement m’ont coûté plus cher que la majorité de mes talons hauts », renchérit Macha Pohu.

Moins cher, selon Yann Lavallée, d’EY. « Achetez un complet veston-cravate est plus dispendieux », dit-il.

Laissons Les Effrontés trancher ! « Évidemment, ça dépend où on magasine, répond Marie-Claude Pelletier. On a plus de choix dans le décontracté. Dans le formel, ça va dépendre de la qualité. Chez Simons, une tenue peut coûter 200 $, mais ne durera pas. Un complet de haut dirigeant peut se détailler 1000 $ et plus. »