(New York) Boeing a écorné davantage son image en raison d’une communication mouvante qui était pourtant destinée à minimiser sa responsabilité dans les deux tragédies du 737 MAX qui ont tué 346 personnes, estiment des experts.

Depuis l’immobilisation au sol mi-mars de son avion phare à travers le monde, le constructeur aéronautique américain a présenté deux lignes de défense opposées.

Dans les premières semaines suivant l’accident d’un 737 MAX 8 d’Ethiopian Airlines le 10 mars au sud-est d’Addis Abeba (157 morts) qui a plongé Boeing dans une crise sans précédent, le mot d’ordre était clair : assumer sa part de responsabilités.  

« On en prend la responsabilité », a lui-même répété le PDG Dennis Muilenburg, affirmant qu’il n’y avait pas de défaut de conception de l’avion bien que l’avionneur travaille à des changements pour faire lever l’interdiction de voler.

Mais fin avril, M. Muilenburg a changé son fusil d’épaule, expliquant que le drame d’Ethiopian et celui de Lion Air d’octobre 2018 (189 morts) étaient la conséquence d’une « chaîne d’événements » et que les deux tragédies n’avaient pas de cause unique.

« Il est difficile de suivre les informations venant de Chicago », le quartier général de Boeing, estime Jim Hall, ancien patron du NTSB, un des régulateurs du transport aérien aux États-Unis. « Je ne pense pas qu’ils soient crédibles dans les informations qu’ils fournissent », ajoute M. Hall, reprochant un manque de « transparence » à l’entreprise.

« Défensive »

Boeing a été jusqu’à présent « sur la défensive », renchérit Richard Aboulafia chez Teal Group. « Ils devraient revenir à la ligne consistant à reconnaître une part de responsabilité » dans ces accidents.

Gordon Johndroe, un porte-parole de Boeing, argue que l’avionneur est limité dans sa communication par les enquêtes en cours.

« Il nous faut être transparent le plus possible au fur et à mesure que nous apprenons des choses nouvelles », avance-t-il, soulignant l’immense tâche « pour regagner la confiance des pilotes, des personnels navigants, des régulateurs internationaux et des passagers ».

Selon les enquêtes préliminaires, le système anti-décrochage du 737 MAX, le MCAS, n’a pas fonctionné correctement, ce qui a conduit la FAA, l’autre régulateur aérien américain, à demander des modifications de ce logiciel.

S’il loue les efforts de Boeing, Dennis Tajer, porte-parole du syndicat des pilotes Allied Pilots, fustige l’explication selon laquelle les accidents sont dus à une « série d’événements ».

« Tout allait bien quand ils disaient assumer leurs responsabilités […] mais quand vous parlez de chaîne d’événements c’est un peu une façon de rejeter la faute sur les pilotes », estime M. Tajer.

Dilemme

Pour Scott Hamilton chez Leeham, le simple fait d’évoquer une mise à jour du logiciel alors qu’il s’agit de le modifier ou le réparer est une façon de se déresponsabiliser.

« Ils ne peuvent même pas admettre qu’il y a un défaut de conception » parce qu’ils redoutent les conséquences judiciaires d’une telle déclaration, opine-t-il.

« Je comprends totalement les raisons pour lesquelles ils s’entêtent […] mais ça ne signifie pas que je cautionne leur attitude », développe M. Hamilton.

Boeing explique que « mise à jour » et « modification » sont « interchangeables » : « Le but est que des changements sont en train d’être apportés au logiciel pour faire de cet avion le plus sûr en service », avance Gordon Johndroe.

Michel Merluzeau chez AirInsight research appelle, lui, à mettre fin aux spéculations.

Il préconise de laisser « les enquêtes suivre leur cours de sorte qu’on puisse avoir une vision complète des tragédies ».

Pour Scott Farrell du cabinet de communication Golin, Boeing se trouve face au dilemme de toute communication de crise avec des implications juridiques.

Le constructeur « doit gérer une communication de crise en faisant attention entre le tribunal judiciaire et le tribunal de l’opinion publique parce que les règles sont très différentes », dit M. Farrell.

Côté opinion publique, Boeing a perdu beaucoup de points.

Près d’un passager sur deux indique qu’il attendra un peu plus d’un an avant de monter à bord d’un 737 MAX après son retour en service, selon une étude de la banque Barclays, qui décommande par conséquent aux investisseurs d’acheter des actions Boeing.