Ça bouge chez Lolë. La marque montréalaise de vêtements change de président, rajuste sa stratégie et ses manteaux.

Nouveau président, nouvelles priorités 

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le changement de garde chez Lolë, qui survient au moment où l’entreprise s’apprête à « passer de l’adolescence à l’âge adulte », s’accompagne de 30 licenciements.

Le président des 10 dernières années, Bernard Mariette, passe le flambeau pour se concentrer « sur l’exécution de la stratégie à long terme » de la marque. Le changement de garde, qui survient au moment où l’entreprise s’apprête à « passer de l’adolescence à l’âge adulte », s’accompagne de 30 licenciements.

Actionnaire de Coalision, l’entreprise qui possède les marques Lolë et Paradox, Bernard Mariette occupe désormais le poste de président du conseil d’administration. « Je sors du quotidien », a résumé le principal intéressé au cours d’un entretien avec La Presse, hier.

La nouvelle a été annoncée aux employés la semaine dernière, en même temps que les coupes qui touchent majoritairement les employés du siège social établi dans l’ancienne gare Viger, à Montréal. Il s’agit « principalement de gens des ventes et du marketing ». Il reste désormais 80 personnes.

Même si ce n’est pas de gaieté de cœur que le dirigeant laisse partir ces personnes, il fait valoir que c’était nécessaire.

« Pour réussir notre vision, il faut des gens qui comprennent les outils d’aujourd’hui. » — Bernard Mariette

Ainsi, des personnes aux qualifications différentes, notamment des analystes de données, seront embauchées, promet-il en expliquant que les États-Unis et le numérique (les médias sociaux) sont les nouvelles priorités de l’entreprise.

Les futurs employés « ne seront pas des spécialistes canadiens, mais nord-américains », note M.Mariette. Tout porte à croire que la plupart travailleront dans les bureaux de Los Angeles ouverts l’an dernier. « Pour le numérique et les médias sociaux, Los Angeles va être le hub. »

PDG américain

Le nouveau PDG de Coalision, une entreprise fondée à Longueuil en 2002, est un certain Todd Steele. Cet Américain travaille pour le fonds d’investissement Simon Equity Partners depuis 2006, selon son profil LinkedIn. Il y occupe la fonction d’associé-directeur général dans la région de la baie de San Francisco. Auparavant, il a travaillé pour WPT Enterprises (secteur du jeu) et Sony Pictures.

Ensemble, Bernard Mariette et Simon Equity Partners possèdent 85 % des actions de Coalision. L’entreprise réalise un chiffre d’affaires de quelque 100 millions de dollars, dont la moitié provient des ventes de gros à divers détaillants.

Malgré la volonté de croissance aux États-Unis et l’arrivée de Todd Steele, il n’est pas question de déménager le siège social au pays de Donald Trump, jure M. Mariette. « Le cœur de Lolë est à Montréal et il restera à Montréal. »

Nouvelle phase, nouvelles priorités

Bernard Mariette explique que ces changements marquent l’entrée de l’entreprise dans sa « troisième phase » ; la première était celle des fondateurs Évelyne Trempe et Eric d’Anjou (créer les bases d’une entreprise québécoise), et la deuxième, la sienne à titre de PDG (amener Lolë à l’international).

Cette troisième phase sera marquée par « des changements structurels » afin de développer davantage le marché américain et de miser sur les médias sociaux pour faire rayonner la marque Lolë et ses valeurs. Concrètement, le « nouveau système plus américain » signifiera des ajustements dans « les tailles, les couleurs et les styles ».

Et en ce qui concerne le numérique, quelles seront les initiatives mises de l’avant ? « Puma ne s’est pas réinventée en faisant d’autres chaussures, mais en s’associant avec Rihanna », répond Bernard Mariette pour illustrer sa vision.

Changement de stratégie

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Au cours de l’hiver, des clientes de Sports Experts ont douté de l’efficacité de l’isolation des manteaux Lolë, si bien que beaucoup se sont rabattues sur d’autres marques après avoir essayé des modèles de la marque montréalaise.

Une fausse perception tenace, quelques décisions prises par un client, une communication lacunaire. Parfois, c’est comme si les astres étaient parfaitement alignés pour nuire aux ventes d’une gamme de produits, a appris Lolë ces derniers mois. La marque montréalaise se prépare maintenant à ajuster le tir.

Un manteau doit-il être lourd et épais pour être chaud ? Notre instinct nous fait dire oui. Or, les manteaux compressibles Lolë, isolés avec du duvet, sont minces et très légers. Mais quand même capables d’affronter nos rudes hivers québécois, jurent Fabrice Durand* et Caroline Couture, respectivement vice-président aux produits et chef de produit pour l’entreprise établie dans la gare Viger, à Montréal.

Pourtant, au cours de l’hiver, des clientes de Sports Experts en ont douté. Si bien que beaucoup se sont rabattues sur d’autres marques après avoir essayé des modèles Lolë, a-t-on appris. Nous n’avons pu obtenir de statistiques de ventes, mais la situation a été assez sérieuse pour qu’un représentant du plus important détaillant d’articles de sports au Québec rencontre Lolë à ce sujet.

La mode aussi aurait joué. Car depuis quelques années, le volume a la cote.

« J’ai pris la couette de la maison et j’ai mis deux bras. On est arrivés à des extrêmes, vraiment ! Ce n’est pas plus chaud finalement. Mais c’est une perception. » — Fabrice Durand, vice-président aux produits pour Lolë

« Si on a une qualité de la plume plus grande, on n’a pas besoin d’en avoir autant dans un manteau », explique Caroline Couture. Une membrane qui coupe le vent permet aussi de réduire la quantité de plumes nécessaire. Le ratio plumes/duvet et la conception du manteau pèsent aussi dans la balance.

Mais tout cela nécessite des explications qui ne se rendent pas nécessairement aux clients. « Sports Experts, ce sont de grands magasins. C’est souvent du self-service, tout le monde n’achète pas avec un vendeur, note Fabrice Durand. Dans ce type de magasin, souvent les matières épaisses et les produits lourds rassurent les gens. »

Nouveaux modèles, nouvel index de chaleur

Les clientes de Sports Experts ne sont pas les seules à avoir des doutes ou des a priori face à la minceur des manteaux modernes. « Depuis les dernières années, on entend beaucoup de questions de perception, confie Caroline Couture. […] C’est quelque chose qu’il faut prendre en compte. »

Résultat, la prochaine collection intégrera de nouveaux modèles de manteaux plus volumineux, moins près du corps. « Côté perception, dit-elle, ça va être accrocheur pour ceux qui ont besoin de se faire rassurer, si on peut dire. »

« Il faut atteindre la perfection. C’est-à-dire faire le plus léger possible pour le plus chaud possible. Mais après ça, il faut trouver le meilleur moyen de le communiquer au consommateur sans se fier aux vendeurs. » — Caroline Couture, chef de produit pour Lolë

Lolë fabriquera aussi deux modèles de manteaux exclusifs à Sports Experts qui auront la particularité d’être plus épais et relativement moins chers. Le détaillant n’avait pas acheté les deux styles les plus chauds (protection jusqu’à -30˚C) car il jugeait que ceux-ci étaient trop chers, rapporte Fabrice Durand.

« Pour eux, le prix est très important […] C’est le facteur d’achat numéro un […] Et ils imaginent que Lolë, c’est comme Columbia, ce qui n’est pas le cas du tout. [Ils font] de l’entrée de gamme à bas prix. » La marque québécoise qui fabrique des vêtements « techniques » devrait plutôt être comparée à Arc’teryx, « qui ne fera jamais de manteaux très épais ».

Nos demandes d’entrevue auprès de la direction de Sports Experts à ce sujet sont demeurées lettre morte.

Autre changement significatif : les étiquettes de la prochaine collection de manteaux Lolë préciseront pour la toute première fois « un index de chaleur ». Les clients pourront ainsi savoir facilement à quel type de protection s’attendre. « Ça faisait très longtemps qu’on y pensait, mais c’est délicat, car ce n’est pas une donnée précise », explique Caroline Couture.

« [On a compris] l’intérêt de savoir passer nos messages. La communication, c’est le nerf de la guerre dans les entreprises. » — Fabrice Durand

Du sac à la boîte chez Altitude Sports

L’entreprise Coalision, qui fabrique la marque Lolë, n’est pas la seule à devoir composer avec une certaine méconnaissance du duvet. Maxime Dubois, copropriétaire d’Altitude Sports, raconte avoir dû changer sa façon de livrer les manteaux d’hiver ainsi isolés.

« Avant on les compressait dans des sacs. Et on nous rappelait pour nous dire que ce n’était pas assez chaud. Mais ça prend quelques jours avant de retrouver son fluff, peu importe la qualité et le prix. Peu de gens savent qu’il faut laisser un manteau deux jours sur un cintre [pour qu’il gonfle] ».

Depuis trois ans, Altitude Sports livre donc ses manteaux dans des boîtes.

Lolë constate par ailleurs que le principe de la superposition des couches (layering) est méconnu de la clientèle peu sportive.

« On est issus du plein air, rappelle Caroline Couture. Quand on a commencé notre ligne de manteaux, on travaillait avec des gens qui avaient cette compréhension du layering. Tu achètes un manteau moins chaud, mais tu fais toute la saison avec, car tu achètes un packable [manteau compressible] pour aller en dessous […] C’est une notion fondamentale. »

Cela dit, Lolë prend sa part de responsabilité dans toute cette affaire. « Il faut bien communiquer avec nos clients pour faire des ventes. C’est vraiment une question de communications. […] Monsieur et madame Tout-le-Monde ont besoin d’être rassurés. C’est le message qu’on a appris cette année », conclut Fabrice Durand.

* Fabrice Durand nous a accordé cette entrevue la semaine dernière. Depuis, il a perdu son emploi chez Lolë.

PHOTO FOURNIE PAR LOLË

Fondée en 2002, à Longueuil, Lolë compte maintenant quelque 1600 points de vente répartis dans 15 pays.

Lolë en bref

Fondation : en 2002 à Longueuil Propriétaire : Coalision, qui fabrique aussi la marque Paradox Nombre d’Employés : 300 Distribution : dans 1600 points de vente répartis dans 15 pays Répartition des ventes de Lolë Canada : 65 % États-Unis : 30 % Europe : 5 %

Les ambitions de Lolë

Lolë veut devenir un leader dans le domaine de la doudoune grâce à son expertise « dans la plume ». Le détaillant japonais Uniqlo en vend toute l’année. Et Lolë peut bien en faire tout autant, jugent ses dirigeants. Compressible dans une petite pochette de rien du tout, elle est un passe-partout idéal en voyage, qui se porte autant dans un avion frisquet qu’en ville et à la campagne, fait valoir Fabrice Durand. « C’est le produit le plus polyvalent qui existe. En plus, maintenant, on a développé […] un produit imperméable, alors c’est un deux en un. »

Manteaux véganes

« Aux États-Unis, le marché change beaucoup, rapporte Fabrice Durand. Ils sont tous véganes et ne veulent pas entendre parler de plume. […] C’est vraiment dans l’air du temps. » L’automne prochain, trois manteaux Lolë seront donc isolés avec du Loftech. « C’est synthétique. C’est du polyester qui imite la plume. La raison pour laquelle c’est réussi, c’est parce que ceux qui ont inventé Loftech, c’est notre fournisseur de duvet. Ils connaissent ça parfaitement », raconte Caroline Couture.

Manteaux recyclés

Question de répondre aux préoccupations écologiques des consommateurs, Lolë lancera l’automne prochain trois manteaux fabriqués de matières recyclées. Le duvet sera récupéré en Europe, dans des couettes et des oreillers, puis lavé et reblanchi aux États-Unis. Le tissu extérieur et même la doublure seront issus de matières recyclées. « À part Patagonia, à notre connaissance, il y a très peu de monde qui fait ça », souligne Fabrice Durand, ajoutant que l’industrie du textile « commence à prendre conscience » des enjeux relatifs à l’environnement.

Le yoga gagne la France

La France se met au yoga et découvre l’athleisure, cette tendance mode qui consiste à porter des vêtements conçus pour le sport dans d’autres contextes. Avec ses leggings et ses soutiens-gorge de sport, Lolë entend en profiter. « C’est un marché prometteur en phase avec notre image, se réjouit Fabrice Durand. Il y a un potentiel fort pour nous. » D’ailleurs, la marque se « réorganise là-bas pour avoir plus de distributeurs […] pour accélérer » dans un contexte où il y a « peu de marques de yoga ».