(Bonn) Les actionnaires de Bayer ont infligé au groupe chimique allemand un rare désaveu vendredi en votant contre sa direction, lors de la première assemblée générale tenue après le coûteux rachat de Monsanto en juin 2018.

Ils ont rejeté à 55,5 % les « actions du directoire » emmené par Werner Baumann, ouvrant une crise aux conséquences imprévisibles : le scrutin n’est pas contraignant pour Bayer, mais contraste fortement avec le plébiscite accordé l’an dernier encore à la direction, avec 97 % d’approbation.

S’étirant sur treize heures, l’assemblée générale s’est tenue vendredi à Bonn dans un climat inhabituellement houleux, cernée par plusieurs centaines de manifestants écologistes qui protestaient à la fois contre les néonicotinoïdes « tueurs d’abeilles » et contre le glyphosate de Monsanto.

Les investisseurs, eux, se sont alarmés de la chute de près de 40 % du cours de Bourse de Bayer depuis le rachat de Monsanto, à mesure que s’accumulaient les ennuis judiciaires pour la nouvelle entité.

L’année écoulée « a été un cauchemar pour les actionnaires » et « le cours de Bourse nous promet des nuits sans sommeil », a déploré Mark Tümmler, de la fédération d’investisseurs DSW.

Nourrir le monde

Le patron Werner Baumann a une nouvelle fois défendu son pari historique de débourser 63 milliards de dollars pour le géant des semences et des OGM, après deux ans d’efforts pour convaincre les autorités de la concurrence.

A long terme, Bayer table sur le soutien croissant de la chimie à l’agriculture pour nourrir une population mondiale toujours plus nombreuse, alors que le changement climatique perturbe déjà les terres arables.

Et pour M. Baumann, la pertinence économique du mariage reste intacte, puisque le groupe fusionné détient « des activités leader dans la protection chimique et biologique des récoltes, les semences conventionnelles et “biotech”, et l’assistance numérique à l’agriculture ».

Mais la lune de miel des deux groupes a coïncidé avec deux condamnations retentissantes prononcées aux États-Unis en raison du caractère « cancérogène » de l’herbicide au glyphosate de Monsanto, le RoundUp, qui ont ouvert la voie à quelque 13 400 requêtes similaires.

« La direction de Bayer a totalement sous-estimé les risques juridiques de son accord avec Monsanto », critiquait vendredi Janne Werning, du fonds Union Investment, citée par l’agence allemande DPA.

Cette pluie de procédures fait « porter une lourde charge à notre compagnie et inquiète de nombreuses personnes », a d’emblée concédé M. Baumann, qui demeure pourtant « optimiste » sur le front judiciaire.

Dangerosité ?

Bayer espère que les cours d’appel saisies dans les deux premiers dossiers américains « rendront des décisions différentes », « basées sur l’analyse scientifique et non sur l’émotion », a plaidé le dirigeant.

Le groupe allemand martèle depuis l’été dernier qu’aucun régulateur dans le monde n’a conclu à la dangerosité du glyphosate depuis sa mise sur le marché au milieu des années 1970, et met en avant « 800 études rigoureuses » sur ses effets.

Le Centre international de recherche sur le cancer, une émanation de l’OMS, a lui considéré en 2015 que le glyphosate était « probablement cancérigène », de même que les jurés californiens qui ont condamné Monsanto.

Depuis sa déconfiture boursière, l’inventeur de l’aspirine n’est plus valorisé qu’à 57 milliards d’euros environ, soit à peine plus que le prix consenti pour avaler sa cible.

« En l’espace de deux ans, l’ancien géant pharmaceutique s’est mué en nain », et risque désormais « d’être absorbé et démantelé » par un prédateur, s’inquiète Ingo Speich, de la banque Deka.

Mais pour Werner Baumann, la désaffection actuelle des investisseurs pour le titre est « exagérée » et ne reflète pas la « valeur réelle » du groupe.