Montréal a beau faire très bonne figure dans le domaine de la recherche en intelligence artificielle (IA), il y a encore des obstacles à surmonter avant que cette expertise ne soit appliquée dans un autre domaine d’expertise local, l’aéronautique.

C’est du moins ce qu’ont semblé constater cinq experts réunis pour une discussion dans le cadre de la Semaine internationale de l’aérospatiale, hier, à Montréal.

« Nous en sommes à l’étape où les compagnies doivent se présenter au bâton », a fait valoir Frédéric Laurin, directeur des partenariats du centre de recherche dirigé par le professeur Yoshua Bengio, le Mila.

« On dit que nous avons un certain retard en termes de mise en application, je crois que les fondations sont là, mais que nous devons tous, collectivement, faire un meilleur travail pour transférer ces connaissances aux entreprises. »

« Le processus qui doit lier, d’une part, les chercheurs de pointe à, d’autre part, les entreprises qui utiliseront leurs travaux pour créer de la valeur souffre d’un trou en son centre », a lui aussi constaté le directeur général de l’Institut de valorisation des données (IVADO), Gilles Savard.

« Ce que nous devons améliorer, à Montréal comme ailleurs dans le monde, c’est le milieu du train : la création de valeur à partir de cette science. […] Comme chercheurs, nous ne sommes pas très bons pour ça. Nous avons besoin de “traducteurs” entre la technologie et la création de valeur. Scale AI va aider. » — Gilles Savard

La supergrappe Scale AI, établie à Montréal, s’est justement donné pour mission d’amener l’intelligence artificielle de façon concrète dans les chaînes d’approvisionnement.

Obstacles en entreprise

Selon le directeur principal de l’innovation chez Bombardier, Fassi Kafyeke, de nombreux obstacles se dressent entre l’entreprise et la recherche de pointe en intelligence artificielle, à commencer par le conservatisme propre à l’importance des notions de sécurité en aéronautique.

« C’est un peu la même chose avec nos opérations, nos usines, poursuit-il. Ce sont des installations qui requièrent beaucoup de capital. Quand vous commencez à y changer des choses, vous devez savoir ce que vous faites. »

Et c’est sans parler de l’inévitable résistance aux changements.

« L’autre chose que j’ai vue dans des grandes entreprises quand on veut amener une nouvelle technologie ou de nouveaux outils, c’est que si les gens qui font ce travail depuis des années ne sont pas confortables, ce sera très difficile à implémenter. » — Fassi Kafyeke

« Il faut commencer par faire en sorte que l’entreprise voie la valeur, il faut faire la démonstration qu’il y a un plan d’affaires derrière ça. Une fois que c’est fait, il faut amener le changement d’une façon qui soit acceptable pour tout le monde. Dans une grande entreprise, ce n’est pas facile. »

Selon M. Kafyeke, Bombardier est « l’une de ces entreprises qui se trouvent au début de l’aventure en intelligence artificielle ».

« Je crois que nous réalisons le potentiel de réellement changer le cours de cette industrie si nous le faisons bien. »

Pour John Shannon, directeur général par intérim du Centre de recherche en technologies numériques du Conseil national de recherche du Canada, les facteurs humains sont justement au cœur du succès de l’implantation de projets d’intelligence artificielle.

« Quand vous êtes dans une organisation où personne ne perd son emploi parce qu’il n’a pris aucun risque, aucun risque ne sera pris », croit M. Shannon, qui souligne ainsi l’importance de mettre en place des structures de rémunération et de récompenses qui encouragent la prise de risques.