C’est au tour de Canadian Tire de subir les foudres d’un vendeur à découvert américain. L’investisseur militant new-yorkais qui a « attaqué » Dollarama en 2018 avec un dur rapport de recherche s’en prend maintenant à une autre grosse pointure du commerce de détail canadien.

Dans un document d’une centaine de pages publié jeudi, Ben Axler, fondateur et chef des investissements chez Spruce Point Capital, critique vigoureusement la gestion de l’entreprise qui exploite aussi les magasins Sports Experts, L’Équipeur et la marque Helly Hansen.

Ben Axler estime que les actionnaires et investisseurs s’apprêtent à être déçus. Il juge les attentes « trop optimistes » et allègue notamment que les pratiques comptables de Canadian Tire sont « agressives », « trompeuses » et qu’elles masquent une faible croissance interne.

Il pense que l’action de Canadian Tire est exposée à une chute potentielle pouvant aller jusqu’à 50 % de sa valeur. En vendant le titre à découvert, M. Axler encaissera de bons profits si l’action chute, mais il pourrait perdre beaucoup plus que sa mise si l’action monte.

Le militant croit aussi que Canadian Tire risque une décote de la part des agences de crédit si son niveau d’endettement n’est pas abaissé. Il soutient que le dividende et les rachats d’actions ne peuvent être maintenus sans la vente de certains actifs.

L’action de Canadian Tire a cédé 3 % jeudi à Toronto.

La direction du détaillant se dit évidemment en « désaccord avec les conclusions » de Ben Axler. « Le rapport des vendeurs à découvert contient plusieurs inexactitudes, qui à notre avis sont uniquement destinées à [profiter à] l’auteur », affirme la porte-parole Joscelyn Dosanjh.

« Il serait dommage que les investisseurs prennent des mesures basées sur ce rapport », ajoute-t-elle.

En présentant ses plus récents résultats trimestriels le mois dernier, la direction de Canadian Tire avait expliqué vouloir devenir une organisation « plus efficace ». L’entreprise a indiqué son intention de réduire ses dépenses dans le but de réaliser des économies annuelles supérieures à 200 millions d’ici 2022.

Des dix analystes financiers qui suivent le titre de Canadian Tire, selon Thomson Reuters, six en recommandent l’achat, trois suggèrent de le conserver, et un en recommande la vente. 

Ben Axler n’a pas souhaité commenter davantage son rapport, mais soutient qu’il a avisé les autorités boursières de sa position.

« Je ne peux pas préciser la taille de mon pari à la baisse [short position] ni mes transactions ou mes intentions entourant cette position en raison de notre programme de conformité et des règles de la Securities and Exchange Commission qui régissent notre fonds. »

Prudence et méfiance

La prudence est de mise lorsqu’une entreprise se retrouve dans la ligne de mire d’un vendeur à découvert, prévient Pierre-Olivier Langevin, gestionnaire de portefeuille chez Medici.

Ce professionnel du placement n’est pas actionnaire de Canadian Tire et n’a pas analysé le rapport négatif sur l’entreprise. Il est cependant actionnaire de Dollarama et a lu l’an dernier le rapport de Ben Axler à l’endroit du spécialiste des magasins d’articles au rabais.

Se faire une tête sur un tel rapport prend beaucoup de temps lorsqu’on ne suit pas activement la société ciblée, dit-il.

Il faudrait d’abord bien comprendre Canadian Tire et son modèle d’affaires. Et ensuite lire ce que le rapport dit et voir si ça tient la route.

Pierre-Olivier Langevin

« Il faut aussi savoir que les vendeurs à découvert se battent contre des entreprises réglementées. Pour réfuter des allégations, Canadian Tire doit d’abord franchir plusieurs filtres dans l’organisation avant de publier, contrairement à une personne qui veut parler contre une entreprise. Les autorités ne réglementent pas vraiment les vendeurs à découvert », ajoute-t-il.

« La majorité des critiques de Ben Axler sur Dollarama ressemblait à de grossières exagérations ou même, à la limite, à des faussetés. Je trouve ça dommage, car je n’ai pas de problème à ce que la thèse d’un vendeur à découvert soit très bien documentée. Mais souvent, on dirait que ces gens tentent de manipuler le marché pour en tirer profit au lieu de vouloir gagner un point », déplore le gestionnaire de portefeuille.

« Dans le cas de Dollarama, par exemple, Spruce Point reprochait l’introduction d’articles à plus de 1 $. Dans la même année, d’autres militants se plaignaient que Dollar Tree offre encore seulement des produits à 1 $. »

De plus, souligne-t-il, chaque fois que Spruce Point publie une thèse de vente à découvert, un courriel est envoyé à tous les abonnés de la firme et beaucoup de bruit est fait sur Twitter. « Et dès le mois suivant, la firme n’en parle presque plus et se tourne vers un autre titre », dit Pierre-Olivier Langevin.

« Ils font leur travail et ont le droit de faire ça. Mais je trouve que, de façon générale, beaucoup de vendeurs à découvert cherchent à profiter de leur auditoire et sortent des trucs un peu tirés par les cheveux pour faire bouger un cours boursier à court terme. »

Quelques critiques envers Canadian Tire

Faux espoirs

Les investisseurs ont reconnu le travail des dirigeants quant au programme de réduction des coûts de 200 millions annoncé le mois dernier, souligne Ben Axler. « La capitalisation boursière a augmenté de 750 millions dans la semaine qui a suivi l’annonce. Le marché apprécie le dividende et le nouveau programme de rachat d’actions, mais a temporairement oublié la dette et les défis de croissance. Étrange coïncidence : plusieurs grands détaillants ont annoncé des programmes de réduction de coûts de 200 millions. Il y a des similarités entre Canadian Tire, Sears, JC Penney et Circuit City. »

Manque de compétitivité

Spruce Point fait valoir que les prix ne sont pas compétitifs avec ceux de la concurrence et le démontre avec des articles comparables chez Walmart, Home Depot et Amazon. Ben Axler fait aussi valoir que les frais de livraison sont les « pires » parmi les concurrents et qu’en fait, Canadian Tire est le seul à ne pas offrir la livraison gratuite. « Il sera très difficile d’être concurrentiel dans le commerce en ligne avec des frais de livraison élevés. Si l’entreprise décide d’offrir la livraison gratuite, elle devra trouver d’autres mesures pour réduire ses coûts. »

Stratégie déficiente

Canadian Tire ne se positionne pas pour attirer la prochaine génération de consommateurs parce que sa stratégie de commerce électronique, sa présence sur les médias sociaux et son image auprès des milléniaux accuse un retard, selon Ben Axler. « La direction est au courant du problème, mais ne semble pas avoir une solution efficace. Le prix et la livraison sont deux facteurs clés qui influencent les préférences d’achat des milléniaux. » Il ajoute que Wayfair est un bon exemple de la menace grandissante pour les activités traditionnelles de Canadian Tire. « Ce risque est ignoré. Aucun analyste ne parle encore de Wayfair. »

Trois cibles récentes de Spruce Point

Dollarama

Dans un rapport publié à l’automne 2018 après que Dollarama eut affiché une détérioration de sa performance, Ben Axler soutenait que l’action méritait de reculer de 40 % en raison d’importants vents contraires fondamentaux, de cibles de croissance irréalistes et de pratiques de gouvernance douteuses. La croissance des ventes des magasins comparables appuyée par des hausses de prix était insoutenable, selon lui. Le titre, déjà en recul au moment de la publication du rapport, avait encore baissé de plus de 10 % par la suite. Mais il a rapidement repris le chemin perdu dans les mois suivants. 

TSO3

Alors que les analystes qui suivaient le titre de l’entreprise de Québec spécialisée en stérilisation d’équipement médical en recommandaient tous l’achat en août 2017, Ben Axler a publié une recommandation de vente. Selon lui, les investisseurs sous-estimaient notamment les conséquences de la fin de son partenariat de commercialisation avec Getinge. L’action risquait de perdre jusqu’à 80 %, selon lui. Cinq mois plus tard, l’action piquait du nez et TSO3 annonçait des modifications à son entente avec Getinge avant de l’abandonner peu après. TSO3 n’est plus à la Bourse aujourd’hui.

Maxar

Le rapport de Ben Axler sur cette entreprise du secteur aérospatial qui compte toujours beaucoup d’employés à Montréal est venu en août 2018, deux mois avant le rapport sur Dollarama. Ben Axler soutenait entre autres que Maxar avait réalisé des acquisitions pour masquer de manière comptable certaines erreurs commises dans le passé. Il jugeait l’entreprise dangereusement endettée et par conséquent son dividende risquait d’être charcuté et même éliminé. Le titre s’est écroulé peu après la divulgation du rapport et ne s’est pas replacé depuis.