Il y a deux ans, l’entreprise TSO3, de Québec, faisait l’unanimité sur Bay Street. Elle valait plus de 300 millions en Bourse. Elle ne vaut même plus 40 millions aujourd’hui et ses actionnaires devraient cet après-midi entériner la vente de l’entreprise à un géant américain. Que s’est-il passé ?

À la fin des années 90, TSO3 met au point un procédé de stérilisation pour équipements médicaux, qui utilise l’ozone. Le groupe mené par des Québécois croit que la technologie supplante la concurrence en matière d’économies de coûts et de sécurité.

En août 2001, TSO3 devient la plus récente société québécoise à inscrire ses actions à la cote de la Bourse de Montréal.

Entre 2003 et 2009, l’action explose, chute, rebondit et rechute au gré des nouvelles. TSO3 vend des « quantités limitées » de la version originale de son stérilisateur parce que le produit ne répond pas aux exigences du marché, indique Ric Rumble, PDG de TSO3 depuis 2008.

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TSO3 a mis au point un procédé de stérilisation pour équipements médicaux qui utilise l’ozone.

Mais l’entreprise n’abandonne pas. Elle lance une version améliorée du produit. Or, elle doit diminuer ses coûts. En 2014, elle sabre la moitié de son effectif de quelque 60 employés pour préserver ses liquidités. Elle veut éviter d’arriver à bout de souffle avant que son produit obtienne l’approbation des autorités américaines.

L’embellie

Une grande embellie survient en 2015. Le dévoilement d’une entente de distribution exclusive avec Getinge, une multinationale suédoise de matériel médical, redonne espoir aux investisseurs et l’action s’emballe. Le titre, qui se négociait à 0,50 $ au début 2014, puis à 1,30 $ un an plus tard, finit par toucher un sommet à l’été 2016. La Food & Drug Administration approuve un usage élargi pour le stérilisateur Sterizone VP4, de TSO3.

Les investisseurs paient alors jusqu’à 3,80 $ pour une action de l’entreprise de Québec. Il y a des raisons de croire que TSO3 pourrait éventuellement profiter d’une position dominante dans le marché.

Certains observateurs commencent même à croire que TSO3 devient attrayante au point de pouvoir susciter des offres d’achat.

Les tuiles

En août 2017, l’action a quelque peu retraité (2,60 $), mais les huit analystes qui suivent les activités de TSO3 recommandent tous l’achat du titre. Leur cours cible moyen est de 5 $, presque deux fois plus que la valeur de l’action.

Puis, Spruce Point Capital, un investisseur activiste new-yorkais, publie un dur rapport de recherche sur TSO3. Son patron, Ben Axler, ce même vendeur à découvert qui a attaqué Dollarama l’an dernier, prévient les investisseurs de TSO3 de se préparer à être déçus.

« Les investisseurs sous-estiment le risque que TSO3 ne génère jamais de profits ou que son partenariat de commercialisation avec Getinge prenne fin », souligne alors Ben Axler. L’action risque de perdre jusqu’à 80 % de sa valeur, selon ses calculs.

Ben Axler soutient notamment que la technologie n’est pas au niveau de celle de la concurrence, et que les ventes de TSO3 demeurent faibles.

La Caisse de dépôt et placement du Québec ne retient visiblement pas les arguments de Spruce Point. Quatre mois après le rapport de Ben Axler, la Caisse révèle avoir bonifié sa participation dans TSO3 à plus de 10 %.

Le mois suivant, en janvier 2018, l’action pique sévèrement du nez. TSO3 annonce des modifications à l’entente de distribution avec Getinge. Quatre analystes retirent leur recommandation d’achat. Ils craignent notamment une hausse des dépenses et des stocks, et les conséquences d’une éventuelle résiliation du partenariat avec Getinge. Le titre passe de 2,64 $, au début de l’année, à 0,72 $ en mai.

Le dernier clou

En août 2018, un dernier clou s’enfonce. TSO3 et Getinge annoncent la fin de leur entente, officiellement à la suite d’un accord mutuel. « Le développement du marché global est plus lent que prévu », déplore l’entreprise suédoise.

TSO3 se tourne alors vers une stratégie de commercialisation indépendante, mais l’entreprise a rapidement besoin d’argent pour soutenir ses activités et la commercialisation de ses stérilisateurs. Un comité spécial est mis sur pied pour évaluer les options possibles.

Le mois dernier, TSO3 accepte finalement une offre de 43 cents par action de Stryker, un géant américain de la technologie médicale.

C’est décevant pour les actionnaires d’obtenir 43 cents par action, un escompte substantiel par rapport aux 5,50 $ que plusieurs analystes croyaient que l’action pourrait valoir.

Ben Axler, fondateur et chef des investissement chez Spruce Point Capital, dans un entretien avec La Presse

Pour que la vente à Stryker se concrétise, cette offre doit obtenir l’approbation d’au moins les deux tiers des votes des actionnaires. Le vote a officiellement lieu cet après-midi dans un bureau d’avocats à la Place Ville Marie, au centre-ville de Montréal.

« C’est dommage. C’est un peu la fin d’un chapitre de l’histoire de la Bourse de Montréal », dit Louis Doyle, directeur général de l’organisme Québec Bourse, une association regroupant une centaine de membres (sociétés ouvertes, investisseurs institutionnels, cabinet d’avocats, etc.).

L’absence de vitrine

Louis Doyle croit que l’entreprise aurait pu connaître un meilleur sort. « Leur stérilisateur à l’ozone semblait permettre de stériliser à meilleur coût les instruments médicaux, mais l’entreprise n’a pas été capable de trouver une vitrine au Québec. Le premier hôpital qui a accepté d’utiliser sa machine était aux États-Unis », déplore-t-il.

« Lors du lancement, le système d’appels d’offres québécois favorisait les fournisseurs traditionnels de stérilisateurs, dit aujourd’hui le PDG Ric Rumble. TSO3 a tenté de percer le marché québécois, mais avec un succès limité. »

« Ça pourrait faire l’objet d’une bonne discussion avec le gouvernement, dit Louis Doyle. Il faut pratiquement adopter des politiques pour contribuer à montrer l’innovation québécoise. Si tu avais eu trois ou quatre hôpitaux du Québec qui avaient décidé d’utiliser le stérilisateur et un dialogue continu avec les gens de TSO3 à savoir si ça va bien ou non, et où sont les pépins, comment on peut améliorer, etc. »

Du même souffle, Louis Doyle souligne que lorsqu’une entreprise tente de vendre sa technologie sans pouvoir dire qu’elle en vend chez elle, les choses se compliquent. « Nos grands donneurs d’ordres se doivent de jouer un rôle important pour offrir des vitrines à nos entreprises ou les encourager pour générer les premières ventes. »

La vente

L’analyste Doug Miehm, chez RBC, ne cache pas être déçu de la valeur de l’offre de Stryker pour TSO3. Dans un rapport, le mois dernier, il souligne que les actionnaires pourraient se montrer hésitants à voter en faveur. Un actionnaire cité en août par Le Journal de Montréal, Robert Lalonde, a dénoncé la perte de propriété intellectuelle et d’emplois, alors que « l’entreprise est sur le point de parvenir à commercialiser son offre partout à l’international ».

Louis Doyle, de son côté, ne s’attend pas à une surprise à l’assemblée des actionnaires aujourd’hui.

Pour qu’il y ait une opposition substantielle, il faut la sentir dès le départ, mais il faut aussi que les intérêts économiques soient importants.

Louis Doyle, directeur général de l’organisme Québec Bourse

« À la limite, pour un petit investisseur, recevoir 50 cents au lieu de 40 cents par action, c’est mieux. Mais ce n’est pas un “game changer”. Ce n’est pas comme pour Transat, où tu passes de 13 $ à 18 $ par action. Ce n’est pas le même contexte. »

Les agences de conseil en vote indépendantes ISS et Glass Lewis recommandent aux actionnaires de voter en faveur de la transaction.

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Ric Rumble, PGD de TSO3

Le PDG Ric Rumble, établi à Myrtle Beach, où l’entreprise a ouvert des bureaux en 2015, défend la transaction. Dans un courriel transmis à La Presse, il soutient que Stryker procurera l’expertise et les ressources financières qui permettront à TSO3 de mieux atteindre son « plein potentiel ». Il n’a pas été possible d’obtenir une entrevue avec M. Rumble.

Ainsi donc disparaîtra vraisemblablement TSO3 comme société québécoise. Les investisseurs qui avaient acheté au sommet, au milieu de 2016, auront perdu 89 % de leur mise.