Même bonifiée de 40 %, l’offre d’Air Canada n’est pas trop chère payée pour Transat, selon des experts qui défendent par ailleurs le travail du conseil d’administration du voyagiste montréalais dans cette saga, qui pourrait connaître d’autres rebondissements.

« Je continue de penser que le prix payé est raisonnable compte tenu des synergies qui s’offrent à Air Canada pour accroître ses bénéfices dans les prochaines années », affirme l’analyste Chris Murray, de la firme AltaCorp.

« Transat vaut beaucoup pour Air Canada », estime le professeur Michel Magnan, de l’Université Concordia. « Pour Air Canada, ajouter 200 millions à son offre pour la porter à 720 millions ne représente pas grand-chose. Ce n’est pas ça qui va les empêcher de dormir. »

Le professeur souligne que la décision du conseil d’administration de Transat d’accepter d’abord 13 $ par action il y a trois mois peut se justifier par la volatilité des activités dans le secteur et une certaine incertitude avec la récente décision du fondateur Jean-Marc Eustache de céder les rênes de l’entreprise. « Le timing était bon », dit Michel Magnan.

« Le conseil avait pris sa première décision en s’appuyant sur des opinions de la Financière Banque Nationale et de la BMO qui évaluaient que l’offre à 13 $ était financièrement équitable pour Transat », dit le porte-parole de Transat, Christophe Hennebelle.

La décision avait été prise de façon réfléchie et sérieuse en examinant les propositions sur la table.

Christophe Hennebelle

Au début de la semaine, Vincent Chiara, de Groupe Mach – un prétendant – avait fortement critiqué le conseil d’administration de Transat pour avoir accepté une offre à 13 $ par action.

Il peut toutefois encore survenir des surprises d’ici l’assemblée des actionnaires prévue le 23 août. Si Groupe Mach de Vincent Chiara n’a peut-être pas dit son dernier mot, d’autres acquéreurs potentiels peuvent encore lever la main.

D’autres intéressés ?

Selon TVA, les transporteurs Air France/KLM et WestJet/Onex ont démontré un intérêt envers Transat et ont entretenu des pourparlers avec des investisseurs de la province dans les derniers jours. Il n’a pas été possible de confirmer ces informations auprès d’Air France/KLM, alors que chez WestJet/Onex, le porte-parole Jeff Hagen a simplement dit ne pas commenter les conjectures. Vincent Chiara a de son côté affirmé n’avoir jamais discuté avec Onex.

Appelé à réagir, le porte-parole de Transat s’est montré étonné par les rumeurs. « Je n’en sais rien. J’apprends ça », a dit Christophe Hennebelle.

« Hors de portée » pour Mach

L’indemnité de rupture payable par Transat en cas d’acceptation d’une proposition supérieure qui n’est pas égalée par Air Canada a presque triplé, à 40 millions, à la suite de la proposition majorée à 18 $ par action.

« À ce stade-ci, la proposition d’Air Canada à 18 $ par action est hors de portée pour un joueur non stratégique comme Mach », commente l’analyste Benoit Poirier, chez Desjardins, dans une note publiée hier.

Transat vient aussi de modifier la définition de « proposition supérieure » dans la convention d’arrangement. Une offre supérieure doit maintenant être présentée à un prix d’au moins 19 $ par action en espèces.

L’action de Transat a clôturé la première séance de la semaine en hausse de 42 %, à 16,75 $. L’écart de 7 % inférieur aux 18 $ par action proposés par Air Canada s’explique essentiellement de deux façons.

Il y a d’abord une question de temps, car si la transaction est entérinée le 23 août, les actionnaires ne peuvent espérer obtenir le plein montant avant la conclusion de l’opération, quelque part en 2020. Il existe aussi un certain risque lié aux autorités réglementaires, car le dossier nécessite notamment une approbation du Bureau de la concurrence à Ottawa.

Letko Brosseau croit qu’Air Canada peut « réparer » Transat

Les dirigeants de Letko Brosseau – principal actionnaire de Transat et d’Air Canada – sont évidemment « très heureux » de l’issue des négociations qu’ils ont menées en continu avec Air Canada jusqu’à vendredi dernier.

Le gestionnaire d’actifs Peter Letko indique qu’Air Canada a pris contact avec lui après que l’offre de 13 $ par action du transporteur pour Transat eut été rendue publique le 16 mai.

L’offre bonifiée de 40 %, à 18 $ par action, porte la valeur de l’entente pour Transat à 720 millions. « Le prix est bon. Nous sommes très heureux de ce prix. J’espère que les autres actionnaires le seront aussi », lance Peter Letko.

À 13 $ par action, la participation de 19 % de Letko Brosseau dans Transat valait une centaine de millions. À 18 $ par action, elle vaut quelque 40 millions de plus. Rappelons cependant que le titre de Transat se négociait entre 4 $ et 5 $ au début d’avril.

« Ce fut des négociations très typiques », lance Daniel Brosseau.

« Elles n’avaient rien de particulier, dit-il. On pense que Transat a encore beaucoup de potentiel. Il y a des choses à réparer chez Transat et nous croyons qu’Air Canada pourra les réparer. Ça sera une bonne transaction pour Air Canada aussi. »

Peu de détails

Les deux gestionnaires de portefeuille n’ont pas voulu discuter des détails entourant leurs échanges. « Les négociations sont des négociations. Nous avons une bonne relation avec les gens d’Air Canada depuis longtemps », a simplement dit Peter Letko. Ce dernier précise toutefois que c’est par téléphone qu’une entente finale sur le prix est survenue vendredi après-midi.

Air Canada est finalement devenue beaucoup plus réceptive à nos demandes et à notre évaluation de Transat. Ils ont réalisé que pour avoir du succès, il était nécessaire de monter le prix.

Peter Letko

« Notre position était claire : 13 $ ne suffisaient pas », ajoute Daniel Brosseau. « Il faut réparer la compagnie et il y a un coût pour la réparer. On ne pouvait donc pas s’attendre à obtenir la valeur de Transat réparée, et c’est pour ça que le prix offert est à 18 $ par action. On pense que c’est bien pour tout le monde. »

Peter Letko et Daniel Brosseau avaient souligné à La Presse à la fin du mois de mai qu’il fallait « réparer le trou dans le toit de la maison » en parlant de Transat. Les deux gestionnaires faisaient référence aux problèmes de rentabilité liés notamment à la gestion du prix des billets.

« Ça ne prend pas une grosse augmentation des revenus pour changer de beaucoup le niveau de rentabilité. On parle d’une hausse de 3 % du prix des billets, l’équivalent d’environ 30 $ par billet. C’est vraiment très peu. Mais ça change complètement la donne », soulignait Daniel Brosseau.