Mercredi, de nombreux employés de Wayfair sont descendus dans les rues de Boston pour clamer leur mécontentement envers le détaillant de meubles en ligne. Offusqués par une transaction évaluée à 200 000 $ US avec l’administration Trump pour meubler un centre de détention de migrants sans papiers au Texas, 500 employés avaient d’abord signé une pétition pour qu’on résilie le contrat. 

Ces centres de détention, où des mineurs peuvent se retrouver séparés de leurs parents, soulèvent l’indignation depuis leur implantation à la frontière sud-américaine. « Une prison avec un lit est toujours une prison », a-t-on pu lire sur une pancarte brandie par une employée prenant part à la manifestation.

Contrairement à ce que vivent certaines entreprises qui se font critiquer sur les réseaux sociaux par la population, cette fois, c’est de l’intérieur de l’entreprise qu’ont émergé les plaintes. 

PHOTO FAITH NINIVAGGI, REUTERS

De nombreux employés de Wayfair sont descendus mercredi dernier dans les rues de Boston pour clamer leur mécontentement envers le détaillant de meubles en ligne, qui a conclu une transaction avec l’administration Trump pour meubler un centre de détention de migrants sans papiers au Texas.

« Il y a une montée du militantisme interne des employés aux États-Unis », explique Mylène Forget, présidente de Massy Forget Langlois relations publiques. « Quelque chose qu’on n’a pas tant vu ici. Ça provient surtout de l’industrie de la techno, dans laquelle les employés sont éduqués et ont des valeurs très fortes. »

Les moyens de communication à la portée de tous facilitent la transmission des informations et habituent leurs utilisateurs à s’exprimer sans gêne. Des géants comme Google et Microsoft ont aussi fait face aux désaccords publics de leurs employés récemment. 

« Les gens sont décomplexés », indique Florence Girod, chef de la stratégie et du produit intégré de l’agence Cossette. « Ils se sentent en sécurité de le faire. La parole en général se libère, y compris dans la sphère professionnelle. »

Prises de parole

Les travailleurs, de nos jours aptes à formuler une argumentation, dans des entreprises qui se veulent plus transparentes, aident à de telles prises de parole. Ajoutez à cela un contexte de pénurie de main-d’œuvre et une vision du travail qui fait passer sans gêne les milléniaux d’une organisation à une autre tous les trois ans. 

« Les gens se sentent plus en sécurité de faire valoir leurs convictions, juge Mylène Forget. Il y a un espoir que leurs actions aient une incidence réelle. À une certaine époque, ça se faisait par les syndicats. Maintenant qu’il y a des acquis, c’est comme si on voulait se battre pour les gens qui ont moins de droits. C’est un beau déplacement du militantisme. »

« Il y a une prise de conscience de notre importance dans la structure économique en tant qu’employé », ajoute Stéphane Mailhiot, vice-président, stratégie de l’agence de publicité Havas Montréal. 

Nous sommes dans une économie du savoir. Les gens veulent aussi travailler à des endroits liés à leurs valeurs.

Stéphane Mailhiot, vice-président, stratégie de l’agence de publicité Havas Montréal

Comme Google et Microsoft

L’affaire Wayfair rappelle des actions semblables chez d’autres géants. Le 1er novembre 2018, des employées de Google ont incité leurs collègues de nombreux bureaux partout dans le monde à se rassembler à 11 h 10, heure locale, pour protester contre le traitement privilégié accordé à des dirigeants sur lesquels pesaient des allégations d’inconduites sexuelles.

Solidairement, ces milliers de femmes et d’hommes ont aussi voulu dénoncer le traitement inéquitable réservé à la gent féminine au sein de l’entreprise. « C’est un cas très organisé », estime Stéphane Mailhiot. 

De leur côté, en février, 200 employés de Microsoft ont signé une pétition priant l’entreprise de résilier un contrat de fournisseur de réalité augmentée évalué à 479 millions US avec l’armée américaine. « Nous ne sommes pas entrés au service de Microsoft pour concevoir des armes », avaient-ils publié sur Twitter. 

Les revendications des employés [de Microsoft] étaient claires. Ils ne voulaient pas que leur savoir serve à tuer des gens.

Stéphane Mailhiot, vice-président, stratégie de l’agence de publicité Havas Montréal

La direction de Microsoft, consciente qu’il faut établir des balises dans les tranchées de l’intelligence artificielle et du développement technologique, a toutefois fait savoir qu’elle jugeait important de servir l’armée américaine.

Comment éviter que des décisions de directions agacent à ce point les salariés pour les pousser sur la place publique ? « S’il y avait eu plus de liens et d’échanges avec les employés de Wayfair ou de Microsoft, on aurait peut-être pu régler certaines choses avant que ça devienne conflictuel », répond Mylène Forget.

Demandes des employés

Jusqu’ici, les employés de Wayfair espèrent que leur employeur résiliera le contrat avec BCFS, l’organisme qui supervise le centre de migrants. Ou, du moins, qu’il versera les profits de la transaction au service juridique à but non lucratif RAICES.

Wayfair a plutôt fait savoir qu’elle devait servir tous ses clients également, que les causes humanitaires la touchaient et qu’elle donnerait 100 000 $ US à la Croix-Rouge. Une réaction qui s’apparente à poser un pansement sur une blessure, selon certains. « Wayfair a raté un beau défi de communications », estime Stéphane Mailhiot.

Dans cette histoire, une organisation aura au moins répliqué au malaise de ses employés et partenaires. Bank of America a en effet annoncé mercredi qu’elle cessait tout lien d’affaires avec les entreprises qui offrent des biens et services aux divers centres de détention, de migrants ou autres. Les employés de Wayfair ont ainsi été entendus par… un autre employeur.