Yvan Allaire connaît bien Bombardier. Engagé d’abord comme conseiller en 1985, il a été vice-président exécutif du fleuron québécois de 1996 à 2001, où il était près du dossier du CRJ. En entretien avec La Presse, M. Allaire a évoqué la fin d’une « grande aventure » et a souligné le manque d’intérêt d’Ottawa pour sauver l’industrie.

Est-ce que l’annonce d’hier est une bonne nouvelle pour Bombardier ?

C’est une bonne nouvelle pour Bombardier. Son avenir dans le domaine de l’aviation commerciale était clairement menacé après le transfert de la C Series. Après avoir vendu le Q400 et maintenant le CRJ, essentiellement, Bombardier n’est plus dans l’aviation commerciale.

Est-ce la fin d’une époque ?

C’est sans aucun doute la fin d’une époque. C’était une grande aventure. Le CRJ était vu comme un pari audacieux, presque autant que la C Series. Un pari qui a réussi merveilleusement.

Tranquillement, on est passés à des 70 places, puis à des 90 places. La marché a atteint sa maturité. Bombardier cherchait la phase suivante et a misé sur la C Series. C’est un pari qui s’est avéré hasardeux et qui ne s’est pas bien terminé.

C’était à l’époque où l’on pensait que le Canada pouvait jouer un rôle dans l’aviation internationale commerciale, mais le pays n’a pas eu la volonté d’appuyer l’industrie. C’est très exigeant des gouvernements et il n’y a pas eu de consensus national à ce niveau.

Est-ce un manque de soutien du gouvernement qui est en cause ?

Le gouvernement provincial a fait ce qu’il avait à faire avec les ressources qu’il avait. Le gouvernement fédéral a été assez hésitant et, finalement, n’a pas abouti à grand-chose.

Contrairement à l’industrie automobile, pour laquelle un soutien implacable a été accompagné des ressources financières nécessaires, il n’y avait pas de volonté du fédéral de faire survivre l’industrie de l’aviation commerciale au pays.

Est-ce que ç’aurait pu être différent ?

Il y avait une volonté affirmée d’Airbus et de Boeing de bloquer le chemin à un troisième concurrent dans les gros porteurs. Ç’aurait été une partie difficile, sans garantie de victoire, mais si le gouvernement avait mis les ressources nécessaires, les perspectives auraient été meilleures. C’est difficile de refaire à rebours l’histoire, mais rappelons-nous que dans les derniers milles, le gouvernement fédéral n’a accouché de rien.

Est-ce que la transaction avec Airbus annonçait le retrait définitif de Bombardier du commercial ?

C’était écrit dans le ciel que Bombardier se retirait de l’aviation commerciale pour se concentrer sur les avions d’affaires, un énorme marché dans lequel Bombardier est un joueur de premier plan.

Cinq cent cinquante millions, est-ce une bonne affaire ?

Tout est relatif. On dit que les CRJ 50 et 70 perdaient de l’argent. Dans ce temps-là, on vend la valeur d’un avion homologué. Un avion homologué pour les États-Unis et l’Europe, ça a une grande valeur. Cinq cent cinquante millions est un montant substantiel pour acheter un avion, son homologation en particulier. 

Mitsubishi a-t-elle acheté un bateau qui coule ?

Non. Mitsubishi a décidé d’être un joueur dans les avions régionaux. Ils se créent une flotte en Amérique du Nord avec des appareils homologués. Ils n’achètent pas un bateau qui coule, mais un produit qui est à maturité en Amérique du Nord et jusqu’à un certain point en Europe. 

Qu’en est-il des emplois au Québec ?

Il est bien possible qu’à moyen terme, il y ait des pertes d’emplois. L’assemblage d’avions CRJ se fait encore ici. Puisque le volume de ventes n’est pas très grand, le nombre d’emplois est assez modeste. Il faudra plutôt regarder du côté d’Airbus, des décisions qu’elle prendra avec la C Series et des nombreux emplois qui y sont associés. 

Que représentait le CRJ à l’époque où vous étiez en poste ?

C’était un grand défi. Beaucoup d’experts ne croyaient pas qu’il y avait de la place pour un jet dans ce marché. Ce fut une période très stressante, mais éventuellement couronnée d’un grand succès. C’était une période enthousiasmante et emballante. 

Êtes-vous nostalgique ?

C’était certainement de grandes années. Comme Canadien et Québécois, je regrette que le Canada et le Québec n’abritent plus de fabricants d’avions commerciaux. 

Y a-t-il un retour au commercial envisageable pour Bombardier ?

Je ne crois pas. Une fois les appareils vendus, c’est très difficile de revenir en arrière. Bombardier n’avait pas le choix de faire la transaction avec Airbus. C’était la seule issue.