(Paris) L’homme responsable du développement de l’avion régional de Mitsubishi a travaillé pendant cinq ans chez Bombardier à Mirabel. Ses enfants habitent encore à Blainville, où ils vont à l’école en français. Il connaît l’impact qu’a eu, au Québec, l’annonce de négociations pour l’achat du programme CRJ de Bombardier.

« Espérons que cela amoindrira les craintes », dira-t-il au terme de la conversation, dans une salle de réunion d’inspiration japonaise au sein du pavillon de Mitsubishi au Salon aéronautique du Bourget. « Nous croyons en Mirabel. »

Sans se prononcer sur la possibilité d’une transaction, négociée par la société mère Mitsubishi Heavy Industries, il reconnaît que son entreprise a un intérêt pour le talent disponible à Mirabel, du moins celui pouvant servir au développement d’avions.

« Indépendamment de cette transaction, nous voudrions renforcer notre présence à Montréal », dit-il.

L’entreprise y emploie déjà trois personnes. Elle compte aussi sur des bureaux à Seattle et à Moses Lake, dans l’État de Washington, à Dallas ainsi qu’à Tokyo et à Nagoya, au Japon. Bref, elle n’a pas peur du télétravail.

« C’est difficile de mettre la main sur des gens de talent. On veut les faire travailler là où ils le veulent et les relier par la technologie. »

« La force de Montréal, a-t-il constaté durant son passage, c’est la flexibilité de pensée des gens. Ils tendent à régler les problèmes de façon naturelle. Au sein de l’équipe de la C Series, il y avait cette mentalité d’“arrange-toi pour que ça marche”. On trouvait une façon de surmonter les obstacles. C’est ça, bâtir un avion, c’est surmonter les obstacles. »

Production : la porte est ouverte

Quant à l’assemblage, qui emploie quelques centaines de personnes dans l’usine de Mirabel, Alex Bellamy ne ferme pas la porte, même si tout indique qu’il ne s’agit pas de la priorité de Mitsubishi.

« Notre base de production est au Japon et continuera de l’être dans l’avenir. Nous prévoyons que la demande globale sera centrée en Amérique du Nord, ce qui pourrait exiger une augmentation de capacité dans ce marché. Nous restons ouverts à savoir où ce serait et n’avons pas pris de décision définitive. »

La partie n’est toutefois pas encore gagnée pour Mitsubishi. Elle doit d’abord convaincre le marché qu’elle peut bel et bien faire certifier et livrer un avion. 

Rappelons que le modèle M90, qui devait être livré en 2013 à l’origine, n’est pas encore certifié et n’est pas attendu avant le milieu de 2020.

L’existence d’un marché solide pour les avions régionaux fait elle aussi des sceptiques. Bombardier, qui a donné vie à ce marché au début des années 90, a elle-même commencé à s’en désintéresser dès le milieu des années 2000, sentant un certain plafonnement.

Et il y a une question de calendrier. Pour les avions régionaux, une bonne partie du marché est aux États-Unis et repose sur le remplacement de la flotte existante. Or, le modèle M100, le seul des deux modèles de Mitsubishi à respecter les exigences des conventions collectives américaines pour les avions régionaux, n’est pas attendu avant 2023. Les clients pourront-ils patienter jusque-là ?

« La flotte actuelle a environ 17 ans d’âge moyen. Bien sûr, ça va continuer d’augmenter. Nous avons eu des discussions avec nos clients et 2023 semble être un bon moment », croit M. Bellamy.

Le M100 a obtenu ses premières commandes officielles, hier. Un transporteur « nord-américain » non nommé a promis d’en acheter 15. Les deux plus grands clients du programme, les transporteurs régionaux américains Skywest (100) et Trans States Airlines (50), dont les 150 commandes de M90 représentent plus de 60 % des commandes jusqu’ici, n’ont pas encore confirmé qu’elles exerceraient leur droit de convertir celles-ci vers le M100.

Les travailleurs inquiets

La vente éventuelle du programme CRJ de Bombardier à Mitsubishi Heavy Industries suscite beaucoup d’inquiétude chez les travailleurs quant à l’avenir des emplois dans le secteur des avions régionaux. « Même si la demande de main-d’œuvre est forte dans l’industrie, c’est sûr que cette vente viendrait avec une part de déception et d’incertitude », estime Éric Rancourt, agent d’affaires du district 11 de l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale (AIMTA), responsable de l’unité Bombardier. « Cette vente, si elle se réalise, pourrait devenir encore plus préoccupante si elle nous expose à des pertes de contrats pour les équipementiers ou les fournisseurs québécois », commente David Chartrand, coordonnateur québécois du Syndicat des machinistes. Ce dernier invite le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, à engager des discussions avec Mitsubishi pour la convaincre d’investir dans une chaîne de montage de ses appareils au Québec. — La Presse