Olymel a investi 120 millions dans son usine d’abattage et de découpe de porcs à Yamachiche. Maintenant que l’agrandissement est terminé, 1100 travailleurs sont requis pour qu’elle tourne à plein régime, dans un village de 2904 habitants. Un tiers a été rapatrié d’une usine voisine, mais de nombreux postes demeurent vacants. Comment les pourvoir ? Avec une convention collective de 13 ans et des paquets de gomme.

Après avoir quitté l’autoroute, on roule 10 minutes vers le nord à travers les champs. On ne croise que des fermes, des poulaillers. Pas de commerces, hormis une quincaillerie. Et quand on se dit qu’on s’est sûrement trompé de route, on tourne dans une toute petite rue où émerge un gros abattoir avec une affiche « Nous embauchons ».

Rien ne semble prédestiner un tel endroit à un investissement de taille. Pourtant. C’est là que le géant de l’agroalimentaire Olymel a acquis l’usine de transformation de porc d’Atrahan, en 2015. Et quelques mois plus tard, un « partenariat 50-50 » était conclu avec le groupe Robitaille, propriétaire de Lucyporc, 8 km plus loin. L’entreprise de transformation est spécialisée dans le porc haut de gamme Nagano.

Le plan d’action : regrouper les travailleurs d’Atrahan et de Lucyporc sous un même toit, après avoir investi 120 millions pour doubler la superficie et la capacité de production de sa nouvelle usine de 235 000 pi2.

C’est maintenant chose faite. L’inauguration a eu lieu le 23 avril, deux ans après le début des travaux. Les 351 employés de Lucyporc ont rejoint les 556 travailleurs d’Olymel sur le chemin des Acadiens, à Yamachiche.

On imagine facilement les défis opérationnels et financiers d’un tel projet. Mais il y en avait aussi toute une liste pour le vice-président aux ressources humaines, Louis Banville, que nous avons rencontré longuement sur place.

« De bonnes jasettes »

Une fois les deux transactions conclues, il fallait rouvrir la convention collective de l’ex-usine d’Atrahan, afin de l’ajuster à la nouvelle réalité. L’exercice de fusion aurait pu provoquer d’interminables discordes. Mais, coup de chance, les deux usines étaient représentées par le même syndicat, soit les Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC), local 1991 P.

On a quand même eu de bonnes jasettes. On n’est pas dans un monde de licornes ! Les TUAC ont bien représenté leurs membres. Ils étaient conscients, lucides, d’affaires. Ils ont fait leur travail.

Louis Banville, vice-président aux ressources humaines

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Louis Banville, vice-président ressources humaines chez Olymel

La priorité ? « La liste d’ancienneté. C’est fondamental, ça touche le cœur des gens, répond le grand responsable des ressources humaines. Par souci d’équité et de simplifier les choses et de ne pas avoir deux catégories d’employés, on a dit au syndicat : “C’est la première chose qu’il faut régler.” »

« Il fallait faire accepter l’ancienneté. C’était le nerf de la guerre », confirme le délégué syndical en chef de l’usine, Janick Vallières.

Certaines personnes ont perdu au change. Mais l’impact a été plutôt minime, selon Olymel, car « il fallait embaucher 300 autres personnes. Donc tout le monde allait monter dans la liste ». De plus, « baisser de 3 crans dans une usine de 1000 personnes, ça ne change pas grand-chose ».

Un quart de soir a été créé. Certains anciens ont dû se résigner à composer avec un nouvel horaire, d’autres l’ont choisi de plein gré pour améliorer leur salaire. Mais en général, ce sont surtout les nouveaux qui travaillent après le souper.

La création d’emplois a amené de nouveaux « débouchés dans la classe 1 », les postes les plus payants (17,45 $/h à l’entrée). Ce qui a plu aux travailleurs, rapporte Janick Vallières. Ainsi, après « trois ou quatre mois » de négociations, la convention a été approuvée par plus de 80 % des syndiqués.

Répartition des travailleurs • Quart de jour : 550 personnes • Quart de soir : 350 personnes • Nettoyage de nuit : 70 personnes (de minuit à 5 h)

Rebrasser les postes

Une fois les listes d’ancienneté fusionnées, en les imbriquant tout simplement, il fallait attribuer tous les postes de la façon la plus équitable possible.

Concrètement, un « reset » a été fait. Comme si tout le monde perdait son boulot.

Et là, par ordre d’ancienneté, chaque employé s’est choisi un travail : « saigneur », « machine à boyaux », « rectum et estomac », « préposé aux scies », « couper couenne de butts », « vérificateur de couleurs fesse », « machine sous vide », « quai d’expédition », etc.

En tout, 69 postes étaient ouverts à des salaires d’entrée allant (en ce moment) de 14,45 $ à 17,45 $ l’heure.

Pour aider les employés qui ne connaissaient pas les descriptions de tâches de tous les postes, Olymel a réalisé des tournages dans ses autres usines. Car certains emplois n’existaient pas chez Lucyporc, tandis que d’autres fonctions ou méthodes de travail étaient totalement nouvelles à Yamachiche.

C’est donc en regardant des vidéos que les travailleurs ont décidé de ce qu’ils voulaient faire.

« Le plus gros changement, ç’a été le changement d’habitudes. On est des êtres humains. On aime nos vieilles pantoufles même si elles sont trouées », résume Janick Vallières.

Les 700 postes ont été pourvus en « 2 mois à peu près ».

Olymel en bref  • 33 usines au Canada  • 33 conventions collectives  • 9 centrales syndicales  • 13 500 employés 

Contrat de travail « record »

Tant qu’à rouvrir la convention, Olymel en a évidemment profité pour y faire quelques modifications.

« Il fallait une convention qui nous permettait d’avoir la paix la plus longue possible, justifie Louis Banville. Une convention qui colle à la nouvelle réalité de ce qu’allait devenir l’usine […]. On a fait un investissement important, il fallait le protéger. Il fallait stabiliser l’entreprise, faire une transition harmonieuse et demeurer compétitif dans le marché. »

Résultat, une convention de 13 ans (de 2016 à 2029) a été signée. « On m’a dit que c’était un record canadien, tous secteurs confondus ! »

Cette surprenante durée pour un contrat de travail sécurise Olymel et ses futurs employés, fait-on valoir. D’ailleurs, le géant de l’agroalimentaire l’utilise comme argument de recrutement. Les travailleurs aiment savoir une décennie d’avance quelles seront leurs conditions de travail, dit le porte-parole d’Olymel, Richard Vigneault.

Tu envoies un message puissant dans la région : il y a de l’avenir dans ce business-là. La stabilité sécurise les gens.

Louis Banville, vice-président aux ressources humaines

Ce n’est pas négligeable, car il manque actuellement 178 paires de bras à Yamachiche. Et Olymel veut les avoir trouvées avant la fin de l’année.

Arme à double tranchant

Mais forcément, un engagement à si long terme n’a pas que des avantages.

Cette « condition sine qua non » de l’employeur, le côté syndical « l’a encore de travers, ça reste difficile à avaler », rapporte Janick Vallières tout en précisant qu’il comprenait Olymel de vouloir la paix après avoir dépensé 120 millions. Mais 2029, « c’est loin » et, d’ici là, il sera ardu de négocier des améliorations dans le contrat de travail. « S’il arrive des problèmes, si personne ne veut bouger ? »

Olymel n’est pas dupe et voit aussi les désavantages de sa stratégie. Le panier de rémunération sera-t-il adapté à la réalité en 2029 ? Nagerons-nous encore en pleine pénurie de main-d’œuvre ? Quel sera le prix du porc ? Les besoins des travailleurs auront-ils changé en ce qui concerne les assurances, la retraite ? Le texte sera-t-il encore adapté à la réalité technologique ?

Personne ne connaît les réponses. Mais Louis Banville soutient qu’il sera toujours possible de se rasseoir à la table pour faire des ajustements, si nécessaire. « Il y a des risques, mais les deux vis-à-vis ont fait le calcul que les avantages l’emportaient. »

La nouvelle usine de Yamachiche • 907 employés • 556 ex-Atrahan • 351 ex-Lucyporc • 178 postes vacants

« Le recrutement en région, c’est tough »

Pour rentabiliser son investissement à Yamachiche, Olymel prévoit y doubler la capacité de production. À l’heure actuelle, 20 000 porcs par semaine y sont abattus et découpés, selon l’employeur. C’est 4000 par jour.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

À l’heure de la pénurie de main-d’œuvre, Olymel doit faire preuve d’imagination pour recruter des travailleurs... et s’assurer qu’ils restent longtemps des employés de l’entreprise.

Le syndicat affirme que le nombre de bêtes accueillies quotidiennement est « beaucoup moins » élevé puisque le rodage de l’usine n’est pas terminé. Quoi qu’il en soit, l’ambition est de passer à 8000 bêtes par jour, d’ici de « 12 à 18 mois ».

Ces idées de grandeur sont motivées par l’appétit gigantesque de l’Asie pour le porc québécois. À Yamachiche, pendant tout le quart de travail de jour, on ne fait qu’une chose : couper et emballer des morceaux de porc Nagano destinés au Japon (vendus sous la marque Muji Fuji). Quand l’équipe de travail de soir arrive, on passe au porc ordinaire, vendu principalement en Amérique du Nord.

Mais sans un nombre suffisant de travailleurs, ce ne sera pas possible de fournir adéquatement les clients. De livrer dans les délais. De faire autant de valeur ajoutée que voulu, c’est-à-dire des pièces minutieusement désossées, un niveau de parage fin, de la vérification des carcasses très attentive, de la sélection visuelle, énumère Louis Banville.

Embauches en 72 heures maximum

Le recrutement n’est pas une mince affaire. Dans le secteur agroalimentaire en général, et à Yamachiche en particulier. Le taux de chômage en Mauricie est de seulement 4,6 % (donnée d’avril).

Il faut que le processus soit simple. Entre le moment où la personne est intéressée et l’embauche, il faut qu’il y ait 72 heures au maximum. Idéalement, c’est 48 heures. Sinon, tu es dans le trouble, ils vont ailleurs.

Louis Banville, vice-président aux ressources humaines

Pour se donner toutes les chances, Olymel va même chercher chez elles les personnes intéressées par un entretien d’embauche.

L’usine de Yamachiche étant située à 32 km de Trois-Rivières et à 39 km de Shawinigan, le « phénomène de la tank de gaz » joue pour beaucoup actuellement. L’entreprise offre donc un service de navette depuis ces deux villes, ce qui l’aide à trouver des travailleurs.

Les employés déboursent 20 $ par semaine. Mais ça ne couvre pas les coûts réels, si bien que ce service coûte 180 000 $ par année à Olymel. « Il y a deux ans, 21 % des nouveaux employés d’Olymel avaient besoin de transport. Aujourd’hui, c’est 35 %. C’est la preuve que le beigne est de plus en plus grand dans les régions », indique Louis Banville. L’entreprise organise aussi du covoiturage.

Autre méthode efficace : Olymel encourage financièrement ses employés à lui recommander des amis ou des membres de leur famille. Le programme Profil est souvent la « deuxième source de recrutement après les réseaux sociaux ».

Travailler pour Olymel à Yamachiche  • Semaine de travail : 40 heures  • Repas du midi : 45 minutes non payées  • 2 pauses de 17 minutes chacune  • 3 semaines de vacances après 3 ans, 4 semaines après 8 ans • Des congés mobiles • Assurances collectives (médicales et dentaires), régime de retraite • Température des lieux : entre 0 et 4 °C • Temps de formation d’un désosseur : 6 ou 7 semaines

Outre les journées d’emploi et les annonces dans le Publisac, l’entreprise a fait « des paquets de gomme “On recrute” ! », annonce Louis Banville. De vrais employés y sont photographiés et le site carriere.olymel.ca y est bien visible.

« Le recrutement dans le secteur manufacturier, en région, c’est un problème lourd. C’est tough. On frappe des murs… »

« Explosion » des accidents de travail

Dans ce contexte, les TUAC se demandent pourquoi des efforts additionnels en rétention de personnel ne sont pas faits. « Depuis janvier, 210 personnes ont été embauchées, donc 40 par mois. C’est beaucoup. Ce n’est pas l’attraction, le problème : sur 210, il en reste 1 sur 2 », rapporte Janick Vallières à la fin du mois de mai.

Le manque d’encadrement est à l’origine de certaines démissions, croit le syndicat. Les employés ont droit à une journée d’intégration, « mais comme l’usine est grande, le lendemain, ils ne se rappellent plus où sont les toilettes et la cafétéria ». Selon le porte-parole d’Olymel, le taux de rétention « est très bon » avec 2500 personnes détenant plus de 25 ans d’ancienneté (et 10 qui en comptent 50 !).

Le syndicat dit avoir suggéré à la direction de mettre sur pied un comité pour comprendre ce qui provoque les départs, en questionnant les démissionnaires de façon anonyme. L’idée aurait été bien reçue, mais jamais concrétisée.

Il faut dire que les dirigeants ont du pain sur la planche. Ils doivent gérer – depuis un mois – l’intégration des centaines d’employés de Lucyporc. « La fusion a amené son lot de problèmes. En ce qui concerne les accidents de travail, ça a explosé ! », se désole Janick Vallières. En mai, il y en aurait eu 32, soit plus de 1 par jour.

Des formations trop courtes et de nouvelles techniques de travail en seraient les principales causes, selon les TUAC.

Louis Banville confirme qu’il y a « des enjeux de santé et sécurité » étant donné les centaines de nouvelles recrues et les méthodes de travail à apprivoiser. D’ailleurs, dit-il, c’est toujours le cas dans les usines qui embauchent plusieurs personnes à la fois.

« Mais je parlerais plus de lésions professionnelles. C’est une nuance importante à faire. Et on révise notre plan d’action pour s’adapter à la situation. »

L’usine en images

Petite visite guidée des installations d’Olymel à Yamachiche, de l’abattage à l’expédition.