Jamais l’assemblée annuelle des actionnaires de Dollarama n’avait suscité autant de questions que celle d’hier. Plutôt que les trois ou quatre commentaires positifs habituels, les dirigeants ont dû répondre à une vingtaine de questions sur des sujets très variés allant des droits de la personne aux emballages en plastique, en passant par la diversité au sein du conseil d’administration et la baisse du prix de l’action.

Ce n’était pas tout à fait une assemblée comme les autres.

Dollarama a eu beau dévoiler hier matin des résultats financiers plus qu’honorables, qui ont propulsé son titre en Bourse de 11 %, les actionnaires ne se sont pas contentés d’exprimer des félicitations. Contrairement aux années précédentes, ils ont soulevé des questions qui reflètent bien les grands enjeux qui préoccupent les consommateurs ces temps-ci.

« Il y a eu des questions difficiles ! Comment répondre à “est-ce que vos produits sont écologiques ?” C’est une grosse question ! », a avoué le président et chef de la direction, Neil Rossy, aux journalistes après l’assemblée.

Quelques minutes auparavant, un actionnaire avait déploré que Dollarama vende « des produits qui polluent énormément », avant d’ajouter : « Est-ce que vous exigez de vos fournisseurs des produits plus écologiques ? »

Le grand patron lui a répondu qu’il demandait « que le matériau utilisé soit légal, sécuritaire, sans danger », avant d’ajouter que certains produits sont recyclables, mais d’autres pas, et que le recyclage dépend en partie des villes.

Les produits verts ne se vendent pas

En présence des journalistes, le grand patron a raconté que « chaque fois » que Dollarama est le premier à mettre en marché des produits « compostables ou très recyclables, les clients ne les achètent pas. Ils n’appuient pas cette cause parce que c’est plus cher. Jamais moins cher. »

Cette situation empêche le détaillant de faire des changements.

Ça me frustre, car je ramène les bouteilles de verre que j’utilise au bureau chez moi pour les mettre au recyclage, car, dans le quartier industriel de Mont-Royal, le verre n’est pas ramassé.

Neil Rossy

Si l’intention du gouvernement Trudeau de bannir le plastique à usage unique se concrétise, il y aura assurément des retombées sur les ventes de Dollarama. L’impact n’a pas été chiffré, mais serait « semblable à ce qu’il serait pour Walmart, Costco et Loblaw ».

L’assemblée d’hier a coïncidé avec la publication du tout premier rapport ESG sur la gestion des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance, rapport qui sera mis à jour tous les deux ans.

Un représentant de Bâtirente (un régime de retraite collectif) a exprimé sa « joie » d’avoir accès au document après « plus de cinq ans de discussions » avec le détaillant à ce sujet. Mais des améliorations pourraient être apportées, selon lui. « Par rapport aux fournisseurs, dans les prochains rapports, il faudrait des chiffres, des indicateurs de rendement et des objectifs d’amélioration. »

Actionnaire déçue

Autre intervention inhabituelle pour Dollarama : une actionnaire s’est rendue au micro pour exprimer sa déception d’avoir perdu – sur papier – de l’argent. Elle a acheté ses titres 52 $ chacun, l’an dernier, certaine « que ça monterait ». Mais, au contraire, ç’a « dramatiquement chuté ! »

« Pourquoi est-ce qu’il y a autant de fluctuations ? C’est un peu décourageant. Je suis un peu déçue… »

Le chef de la direction financière, Michael Ross, a convenu que, l’an dernier, les attentes du marché n’avaient pas été atteintes, ce qui a eu un effet indéniable en Bourse. « On ne contrôle pas les marchés, a-t-il rappelé. On offre des rendements parmi les meilleurs au monde. »

Réaction au rapport de Spruce Point Capital

La publication, en novembre dernier, d’un rapport de Spruce Point Capital, vendeur à découvert, a aussi ébranlé l’action de Dollarama. Il estimait que le titre « pourrait perdre environ 40 % et fléchir jusqu’à 24,60 $ en raison d’importants vents contraires fondamentaux, de cibles de croissance irréalistes et de pratiques de gouvernance douteuses ».

Le détaillant n’a jamais répliqué officiellement à ces affirmations. Hier, La Presse a demandé à Neil Rossy comment il avait réagi à la lecture du document. « J’étais déçu qu’on puisse écrire ce qu’on veut et que ce soit publié. Et qu’aucune entité gouvernementale ne régisse ce qui est publié dans un format professionnel. Pour la personne moyenne, ç’a l’air de faits et non pas de ce que c’est. Les investisseurs chevronnés n’ont pas perdu de temps avec ça. »

« Il y avait beaucoup d’inexactitudes, ça, c’est certain », a poursuivi Michael Ross. À son avis, le fait que ce rapport ait été publié après deux trimestres consécutifs sous les attentes « a attisé le feu », alors que l’action était déjà en baisse. « [Spruce Point Capital] a fait exprès. »

L’achalandage en forte hausse

Les derniers mois ont été plus réjouissants, avec une forte hausse des ventes, du volume et de l’achalandage, notamment. Les ventes comparables – une donnée clé dans l’industrie – ont atteint 5,8 %, alors que les analystes s’attendaient en moyenne à un bond de 2,7 %.

« Dollarama n’avait pas connu de croissance positive de l’achalandage depuis plus d’un an, et la croissance impressionnante ce trimestre-ci (+ 0,9 %) est la plus forte depuis le deuxième trimestre de 2017, soit depuis presque deux ans », a écrit l’analyste Peter Sklar, de BMO Marchés des capitaux.

La marge brute a été un peu plus faible, notamment en raison du fait que les achats compulsifs près des caisses ont monté en flèche. La cause ? La nouvelle disposition des caisses, qui force les clients à faire une seule file dans une allée pleine de gâteries aux marges moindres. Ce nouveau concept en place dans 50 % des succursales prendra de l’ampleur, car il accélère le paiement.

Résultats du 1er trimestre, clos le 5 mai

Ventes :  828 millions (+ 9,5 %) Ventes des magasins comparables :  + 5,8 % Panier moyen :  + 4,9 % (plus forte hausse en 6 trimestres) Achalandage :  + 0,9 % Marge brute :  42,1 % des ventes (comparativement à 43,8 % un an plus tôt) Bénéfice net :  168,6 millions (+ 3,8 %) Bénéfice par action :  0,33 $ (+ 6,5 %) Ouverture d’un nombre net de 11 nouveaux magasins, pour un total de 1236

D’autres sujets abordés par les actionnaires

Les emballages

Pour certains produits, pourriez-vous réduire l’emballage ?

« On regarde et on étudie cette question tout le temps parce qu’évidemment l’emballage a un coût pour nous qui est compris dans le prix de l’article. Et si l’emballage est très cher, le prix de vente doit être plus cher aussi, alors c’est une analyse qu’on fait tout le temps. Il faut trouver une balance entre joli, intéressant et écologique, et c’est la balance sur laquelle on travaille comme acheteur, importateur et détaillant. La nouvelle sensibilité de cette génération [les Y] nous amène à réfléchir », a confié Neil Rossy.

La diversité

Dans un pays plein d’immigrants, où sont-ils [en faisant référence à la composition du conseil d’administration et de la direction] ?

« Je ne suis pas en désaccord avec vous. En fait, nous cherchons activement des dirigeants et souhaitons recruter une variété de talents, d’expertises, etc. Et en matière de diversité, à l’avenir, je m’attends à ce qu’il y en ait plus, [notamment] de genre […]. Nous avons davantage besoin de diversité géographique et ethnique », a répondu le président du conseil, Steve Gunn. Neil Rossy a ajouté que son conseil d’administration est « stable, intelligent et investi » et qu’il ne le changera pas pour le plaisir, en assurant que, le temps venu, il « tentera d’avoir un meilleur équilibre culturel ».

Les plans d’expansion

Pourquoi ne pas amener Dollarama ailleurs dans le monde ?

« Une partie de notre job est d’étudier le monde entier pour des occasions d’affaires. Dollar City, c’est un exemple parfait de la façon de notre méthode très précautionneuse de faire les choses. Plutôt que de faire des acquisitions, nous aidons à bâtir une entreprise. […] Cela nous a permis de développer une expertise à l’interne pour travailler à l’étranger. On verra ce qui arrivera, mais notre intention depuis le premier jour est d’avoir plus que juste un partenariat avec Dollar City », a répondu Neil Rossy.

Les prix

Aux États-Unis, un détaillant dans votre créneau teste la vente de produits à 10 $ dans une section de ses magasins. Envisagez-vous ce type d’expérience ?

« On évalue les possibilités à temps plein ! Toutes les possibilités, si cela est possible, a lancé Neil Rossy. Pour le moment, nous n’avons pas l’intention d’augmenter nos prix au-delà de 4 $. Ça peut changer, mais plus tu élèves tes prix, moins c’est évident pour les consommateurs que tu es un magasin à bas prix. » En ce qui concerne l’idée d’avoir plusieurs zones de prix au sein du pays en fonction des coûts d’exploitation, des tests s’en viennent, a-t-il annoncé.