(Québec) Une douzaine de personnes âgées d’une résidence du groupe Chartwell, à Québec, ont refusé une hausse de loyer qu’ils jugent abusive. Déterminés à vaincre en groupe leur peur des représailles, ils avaient rendez-vous hier devant la Régie du logement, une situation rare dans l’univers des résidences pour aînés.

Le porte-parole du groupe de résidants des Appartements de Bordeaux, Marc Pettigrew, 91 ans, a plaidé la cause devant la régisseuse. Plusieurs de ses corésidants — ou leurs proches dans les cas de personnes à mobilité réduite — l’accompagnaient. Selon eux, la hausse de loyer qui leur a été demandée par Chartwell (2,5 %) est largement exagérée. Au total, une cinquantaine de résidants des Appartements de Bordeaux auraient même contesté leur hausse de loyer, soutient M. Pettigrew.

PHOTO ISABELLE DUBÉ, LA PRESSE

Marc Pettigrew, porte-parole du groupe de résidants des Appartements de Bordeaux, avec René Beaudoin, un résidant

En face de lui, l’avocate Laurie Harvey a été mandatée à la dernière minute par le groupe Chartwell pour demander un report de la cause.

Dans une déclaration envoyée par courriel à La Presse, la vice-présidente responsable des services opérationnels pour le Québec chez Chartwell, Marie-France Lemay, soutient qu’« afin d’assurer le bien-être de nos résidants, Chartwell désire offrir en tout temps un environnement et des services de haute qualité. Pour y arriver, nous devons balancer les revenus et les dépenses croissantes et nous considérons raisonnable l’augmentation demandée, en phase avec le coût de la vie ».

Rare contestation

Il est très rare que la Régie du logement accueille des aînés venus contester une hausse de loyer.

Un rapport du Protecteur du citoyen, rendu public en 2016, soulevait cette peur des représailles qui empêche les aînés de contester des hausses de loyer. « Le locataire qui se plaint vise une entreprise ou un individu dont il dépend chaque jour pour des soins qui lui sont indispensables. En pareil contexte, des locataires craignent d’être la cible de représailles s’ils expriment librement leur mécontentement ou s’ils entreprennent un recours auprès de la Régie du logement », pouvait-on lire dans le document.

Les résidants de Chartwell affirment justement avoir été intimidés par Anthony Van Roody, vice-président aux affaires juridiques et gestion d’actifs de Chartwell, qui les a réunis, le 15 mai dernier, dans un local de leur résidence. Les résidants ont gardé précieusement sa carte professionnelle.

« Il nous a rencontrés pour négocier et nous offrir 2 % d’augmentation [au lieu de 2,5 %]. On a refusé. Il a dit : “Bien, vous allez avoir des conséquences.” » — Marc Pettigrew, porte-parole du groupe de résidants des Appartements de Bordeaux

Les résidants soutiennent tous avoir entendu la même phrase.

« Nous comprenons que nos résidants veulent s’assurer que toute augmentation de loyer soit juste, et notre objectif lors de ces rencontres est de négocier dans le respect, a déclaré Marie-France Lemay, de Chartwell, dans un courriel à La Presse. Ce que nous souhaitons souligner est que nous devons parvenir à un équilibre afin de maintenir le haut niveau de qualité des services attendu par nos résidants. »

De l’aide pour les plaintes

Si Marc Pettigrew a décidé de convaincre les résidants de contester les hausses de loyer, c’est pour protéger les plus démunis contre ce type de comportement.

En avril, le gouvernement a d’ailleurs chargé les Centres d’assistance et d’accompagnement aux plaintes (CAAP) d’accompagner les résidants des résidences privées pour aînés dans leur règlement de litiges en matière de baux.

« Souvent, les gens ont peur de parler, parce que c’est leur milieu de vie », constate la directrice générale de la Fédération des CAAP, Manon Fortin.

« La loi prévoit qu’en cas de représailles, le commissaire doit agir sur-le-champ. Mais les représailles, c’est parfois subtil. On sent qu’il y a une perte de qualité de service, mais ce n’est pas nécessairement évident que c’est associé à ce qui s’est passé. » — Manon Fortin

La ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, soutient de son côté que c’est un dossier qui tient à cœur au gouvernement Legault.

« La protection des personnes en résidences privées pour aînés est l’une de nos priorités, nous a-t-elle écrit par courriel. Nous l’avons démontré, notamment par les investissements annoncés pour les CAAP et l’application rigoureuse des règles relatives aux fermetures des résidences privées pour aînés. »

Formulaire manquant

Dans la salle de la Régie du logement, hier, la régisseuse chargée de juger l’affaire ne comprenait pas pourquoi Chartwell voulait le report d’un dossier ouvert il y a déjà six mois. Elle a constaté que l’entreprise n’avait pas fourni le formulaire avec les renseignements nécessaires à la fixation du loyer.

Le porte-parole du groupe, Marc Pettigrew, a alors sorti de son sac le formulaire en question qu’un bon Samaritain lui avait fourni. Il affirme que selon les données inscrites dans le document, l’augmentation des loyers aurait dû être fixée à 0,5 % plutôt que les 2,5 % exigés par Chartwell à ses résidants.

La régisseuse a dit hésiter à reporter l’audience en constatant l’écart entre les pourcentages. Sa décision — un report de l’audience ou une fermeture du dossier qui annulera dans les faits l’augmentation — sera connue avant trois mois.