L’un des plus importants exploitants québécois de résidences pour personnes âgées, Groupe Maurice, 34 résidences et 10 000 résidants, est à un tournant de son histoire. Son fondateur doit trouver au moins 600 millions dans les prochains jours pour racheter son partenaire.

Luc Maurice et son partenaire financier de longue date Ipso Facto sont en instance de divorce, a appris La Presse auprès de trois personnes au fait du dossier, mais qui ne sont pas autorisées à en parler publiquement.

La situation s’est envenimée au point où les partenaires ont déclenché la clause roulette russe, dite « shotgun », celle qui entraîne la vente obligatoire des actions de l’un ou l’autre des partenaires.

Cette clause a pour effet, quand l’associé A offre d’acheter les actions de l’associé B et que celui-ci refuse, de forcer l’associé B à racheter les actions de l’associé A aux mêmes conditions.

Selon nos informations, M. Maurice détient 25 % du groupe et Ipso Facto, 75 %.

Ipso Facto a fait une offre de rachat des parts de Luc Maurice sur la base d’une valeur d’entreprise se situant dans une fourchette de 800 millions à 1 milliard, d’après nos informations. À titre comparatif, Air Canada se propose de racheter Transat pour environ 520 millions.

Dans le milieu des résidences pour personnes âgées, on s’attend à ce que Luc Maurice, qui a refusé l’offre, réussisse plutôt à racheter les parts d’Ipso Facto. Les fonds disponibles ne manquent pas dans le marché, nous fait remarquer l’une de nos sources.

La Presse a demandé à parler à Luc Maurice à propos du rachat des parts de son partenaire. Il n’a pas été possible de lui poser directement des questions. Le Groupe Maurice a plutôt fait suivre une déclaration.

« Le Groupe Maurice confirme qu’il est en discussions avancées avec des partenaires financiers qui ont témoigné de l’intérêt […]. De telles discussions sont prévues dans le cadre du financement du développement à long terme de l’entreprise. » — Extrait de la déclaration de Groupe Maurice

L’entreprise souligne également que « c’est la quatrième fois de son histoire que le Groupe Maurice négocie avec des investisseurs. […] L’arrivée de partenaires financiers a toujours marqué le début d’un nouvel essor pour le Groupe Maurice. Les discussions en cours ne changent absolument rien aux activités courantes et aux services dont bénéficient les résidants du Groupe Maurice. »

Il a été impossible de parler immédiatement à quelqu’un chez Ipso Facto.

Un défi colossal

Luc Maurice, ancien militaire qui a traversé le Canada en motoneige, disposait de 60 jours seulement pour trouver au moins 600 millions. C’est un défi colossal pour un exploitant de résidences qui, nous dit une source, est plus habitué à se soucier du bien-être des personnes âgées au quotidien que de frayer avec les grands argentiers.

Le date limite pour soumettre une offre est dans quelques jours. Pour réussir à amasser la somme, M. Maurice compte sur une équipe formée de la Banque Nationale, d’avocats et d’experts-comptables. Au début du processus, environ 150 fonds ont été ciblés pour faire l’objet de sollicitation.

À ce stade, l’identité d’éventuels partenaires financiers de Luc Maurice nous est inconnue, mais il ne faut pas exclure que ce fleuron québécois passe sous contrôle étranger.

Au gouvernement du Québec, on indique que M. Maurice n’a pas demandé d’appuis financiers. Il n’y a pas non plus de dossier ouvert au Fonds FTQ. De son côté, la Caisse de dépôt n’a pas voulu dire si l’équipe de M. Maurice l’avait approchée.

Le divorce aurait été causé par des visions divergentes. M. Maurice aurait une vision à beaucoup plus long terme qu’un fonds financier comme Ipso Facto.

Un fleuron

Le portefeuille de résidences du Groupe Maurice est de grande qualité. La totalité sinon la quasi-totalité d’entre elles ont été conçues et bâties selon la vision de M. Maurice. Ses résidences se caractérisent par une diversité de tenure (location ou copropriété), par leur emplacement central, la présence de services de proximité (épicerie, institution bancaire, pharmacie, etc.), une programmation stimulante d’activités et par des espaces communs généreux.

Dans une entrevue accordée en 2006, M. Maurice disait voir ses résidences comme des villages et lui comme le maire du village ou comme l’ombudsman de ses résidants.

Engagé au sein du Regroupement québécois des résidences pour aînés, Luc Maurice a assumé un leadership dans le marché québécois, qui se distingue par l’importance de la part de marché détenue par les résidences spécialisées. Le taux d’attraction des résidences spécialisées chez les 75 ans et plus s’élève à 18,4 % au Québec, comparativement à 6,1 % dans le reste du Canada, selon les chiffres de la Société canadienne d’hypothèques et de logement.

Les partenaires financiers de Groupe Maurice

Ipso Facto

Investisseur immobilier ayant financé la mise en valeur de 148 projets valant 4,4 milliards, Ipso Facto est né en 2000 de l’association de Pierre Bourgie (Urgel Bourgie) et de Serge Robitaille. Son portefeuille est composé de participations dans des projets d’édifices industriels, commerciaux et de bureaux, d’immeubles résidentiels locatifs traditionnels et en copropriété, de résidences pour aînés ainsi que des terrains. Ipso Facto est dirigé par Serge Robitaille. Pierre Bourgie s’est retiré de la gestion en 2016, tout en restant président du conseil.

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE L’ENTREPRISE

Serge Robitaille, président d’Ipso Facto

Groupe Maurice

Un des leaders du marché de la résidence privée pour aînés au Québec avec Chartwell, Groupe Sélection, Groupe Savoie, Gouverneur et Cogir, Groupe Maurice compte 34 résidences, 10 000 résidants et 2000 employés. Il est intimement lié à Luc Maurice, 63 ans, qui a créé la société en 1998. L’homme d’affaires a été militaire, pilote, aide de camp de la gouverneure générale du Canada Jeanne Sauvé, cadre au CN sous Paul Tellier, et est titulaire d’un MBA – « l’optimisation du design pour résidences de retraités » était son sujet de mémoire.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Luc Maurice, président et fondateur de Groupe Maurice.