(Berlin et Francfort) Le conglomérat allemand Thyssenkrupp a enterré vendredi son mariage dans l’acier avec l’indien Tata, faute de convaincre Bruxelles, et compte tourner le dos à son modèle industriel historique en supprimant 6000 emplois dans le monde.

En quelques heures, le groupe de la Ruhr a balayé deux ans de décisions stratégiques, et s’est offert une flambée boursière inédite alors que les investisseurs guettaient depuis longtemps sa restructuration.

« Après une conversation aujourd’hui avec la Commission européenne », Thyssen et Tata Steel « s’attendent » à ce que le gendarme européen de la concurrence « n’autorise pas » la réunion de leurs activités sidérurgiques en Europe, indique le groupe.

Exit les noces annoncées en septembre 2017, puis bouclées officiellement en juin 2018, pour créer le numéro deux européen de l’acier derrière ArcelorMittal et résister à la déferlante des produits chinois subventionnés.

Tata et Thyssenkrupp pourraient proposer à Bruxelles de nouvelles cessions d’actifs, mais ils estiment que l’entité fusionnée « perdrait toute pertinence » avec de nouvelles concessions, a confié le patron de Thyssen Guido Kerkhoff lors d’une conférence téléphonique.

Tata a publié un communiqué dans le même sens, expliquant que les deux fiancés « assumaient avec un profond regret » l’échec de leur union.

Suppressions d’emplois

Sur le plan social, Thyssen renonce certes à une union qui devait entraîner la suppression de 4000 emplois dans les deux entreprises réunies, dont 2000 en Allemagne.

Mais le groupe prévoit désormais d’en supprimer 6000 dans ses seuls rangs, dont 4000 en Allemagne, dans le cadre de son « nouveau plan de performance », a annoncé M. Kerkhoff.

Sans détailler les coupes par divisions, il a estimé que l’échec de la fusion était « un coup dur pour les 27 000 salariés dans l’acier », à qui l’union avec Tata aurait « offert une bonne perspective d’avenir ».

Le puissant syndicat de la métallurgie, IG Metall, a lui réclamé « des garanties à long terme » sur l’emploi, souhaitant que l’argent tiré de la restructuration serve à « stabiliser » le groupe et non à enrichir les actionnaires.

Car Thyssenkrupp, dans un virage à 180 degrés, abandonne du même coup le projet de scission annoncé à l’automne dernier sous la pression de gros investisseurs, et qui devait suivre la fusion avec Tata.

Il s’agissait de séparer le groupe en deux entités avant la fin de cette année : « Industrie » regroupant les pièces détachées, les ascenseurs et l’ingénierie et « Matériaux » qui chapeauterait la construction navale et l’acier.

À la place, selon Guido Kerkhoff, le groupe va se muer en société de portefeuille pour piloter ses différentes branches de façon « flexible », à l’image de son compatriote Siemens.

« Nous construisons un Thyssenkrupp fondamentalement nouveau », a insisté le patron, ouvrant un nouveau chapitre dans l’épopée des deux grands rivaux de l’acier allemand, Krupp et Thyssen, réunis sous un même toit depuis 1999.

« Aucun tabou »

La réorganisation promet d’intenses passes d’armes entre les fonds activistes Celian (18 % des droits de vote) et Elliott (moins de 3 %), partisans d’un éclatement du groupe, et la fondation Krupp (24 %), attachée à l’unité de l’entreprise.

« Il ne doit y avoir aucun tabou politique ou historique, si Thyssenkrupp compte sérieusement s’attaquer à sa sous-performance depuis des années », a averti Lars Förberg, l’un des fondateurs de Cevian, dans une réaction transmise à l’AFP.

Dans l’immédiat, le directoire de Thyssenkrupp va proposer samedi au conseil de surveillance l’introduction en Bourse de sa très rentable division Ascenseurs, et mise sur le « soutien » de cette instance, a poursuivi M. Kerkhoff.

Une telle opération pourrait valoriser l’activité ascenseurs autour de 14 milliards d’euros, selon plusieurs analystes. Les investisseurs apprécient par ailleurs la « clarté » ainsi apportée au modèle du groupe et à sa stratégie, a commenté dans une note Dirk Schlamp, de DZ Bank.

Le titre n’a d’ailleurs cessé d’accélérer en Bourse au fil de la séance, finissant sur une envolée de 28,17 % à 14,40 euros et ramenant à 3,8 % ses pertes depuis le 1er janvier.

L’année s’annonce cependant difficile pour l’aciériste, qui prévoit désormais une perte nette sur son exercice décalé 2018/2019, contre un bénéfice annoncé auparavant.

Non seulement il doit réintégrer la sidérurgie dans son bilan, mais il va aussi augmenter de 100 millions d’euros une provision pour risques dans le cadre d’une enquête allemande anticartel.