Au lendemain de l’annonce de la vente probable du voyagiste canadien, plusieurs questions demeurent en suspens, dont l’identité du futur acquéreur. Survol.

Si elle devait mettre la main sur Transat, Air Canada pourrait contrôler 63 % de la capacité vers les destinations européennes en été et 46 % de celle vers les destinations soleil en hiver, selon des données publiées par Transat, qui s’est elle-même déjà plainte de la position « dominante » d’Air Canada dans le marché transatlantique.

Selon ces données, présentées par Transat à ses investisseurs en mars dernier, environ 43 % des quelque 5,5 millions de sièges qui seront offerts entre le Canada et l’Europe cet été le seront par Air Canada. Transat vient au deuxième rang, à 20 %. Le troisième acteur, Air France-KLM à 11 %, disposerait de près de six fois moins de capacité qu’elles si les deux transporteurs canadiens devaient être réunis.

La situation serait moins tendue dans le marché du Sud, même si la meneuse Sunwing (27 %) serait largement éclipsée par une fusion des acteurs numéro deux et trois, Air Canada et Transat respectivement, qui totaliseraient 46 % de la capacité.

Dans le cadre d’audiences du Comité permanent des transports de la Chambre des communes sur le projet de loi C-49 devant mener à des changements à la Loi sur les transports, Transat s’était opposée à des dispositions permettant à Air Canada et ses partenaires de la coentreprise A++, United et Lufthansa, de se soustraire aux lois sur la concurrence.

L’entreprise avait notamment présenté un tableau selon lequel, entre 2014 et 2016, le nombre de destinations transatlantiques pour lesquelles A++ disposait de parts de marché supérieures à 40 % était passé de 14 à 19, avec des hausses de parts de marché marquées pour la plupart de la trentaine de destinations répertoriées.

« Ces tableaux montrent clairement l’histoire d’une position dominante au Canada dans près de 20 marchés internationaux », écrivait alors Transat.

Effet sur la capacité

Pour un expert du marché transatlantique qui n’a pas voulu être nommé, il n’est toutefois pas clair qu’une acquisition d’Air Transat par Air Canada mènerait directement à une hausse des prix.

« Les prix sont dictés par la capacité. Si Air Canada achète Transat, la capacité ne disparaîtra pas. Transat a des baux pour ses avions, certains tout neufs, et Air Canada devrait les reprendre. À moins, et ça, c’est une possibilité, que certains avions de Rouge soient mûrs pour la retraite. La plupart sont vieux. Si les avions de Transat étaient utilisés pour les remplacer, là, Air Canada serait capable de contrôler la capacité. »

La menace sur les prix serait aussi grande, selon lui, si Transat devait éprouver des difficultés financières suffisantes pour en arriver à la faillite.

« Là, la capacité disparaîtrait. »

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La capitalisation boursière du voyagiste montréalais Air Transat s’élève aujourd’hui à quelque 311 millions de dollars, alors que la direction s’attend à boucler cet automne son exercice financier avec 335 millions en liquidités excédentaires.

L’action est-elle sous-évaluée ?

Même après le bond de près de 50 % de son action avant-hier, Transat vaut toujours moins que le montant de ses liquidités excédentaires.

La capitalisation boursière du voyagiste montréalais s’élève aujourd’hui à quelque 311 millions de dollars, alors que la direction s’attend à boucler cet automne son exercice financier avec 335 millions en liquidités excédentaires.

Ces liquidités excédentaires, appelées à être déployées pour financer le développement de complexes hôteliers, sont évaluées à 8,92 $ l’action par l’analyste Benoit Poirier, chez Valeurs mobilières Desjardins.

L’action de Transat a clôturé la séance d’hier à 8,27 $ à la Bourse de Toronto.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

En ajoutant la valeur des terrains détenus par Transat au Mexique (1,82 $ par action) et la valeur des activités de voyagiste (1,68 $ par action), Benoit Poirier estime que le titre vaut 12 $.

« La vente potentielle de l’entreprise pourrait toutefois dégager une valeur atteignant jusqu’à 16 $ par action. » — Benoit Poirier, analyste chez Valeurs mobilières Desjardins, dans une note publiée hier

Son collègue Kevin Chiang, de la CIBC, estime de son côté qu’une vente potentielle de l’entreprise risque davantage de se réaliser entre 10 $ et 11 $ l’action. « L’élément clé est l’accès aux liquidités excédentaires avant qu’elles ne soient dépensées dans le développement hôtelier », affirme l’analyste.

Selon les prévisions de la direction de Transat présentées aux investisseurs il y a deux mois, la compagnie s’attend à ce que ses liquidités excédentaires diminuent à 150 millions à la fin de 2022.

Et s’il n’y a pas de vente ?

La vente de Transat est possiblement le meilleur dénouement pour les actionnaires actuels, croit Cameron Doerksen, de la Financière Banque Nationale. Il suggère cependant d’agir avec prudence. 

« La possibilité que Transat ne soit pas vendue demeure forte, et je soupçonne que le titre retourne à environ 5 $ si aucune transaction ne se concrétise. » — Cameron Doerksen, analyste de la Financière Banque Nationale

Cameron Doerksen souligne par ailleurs qu’un rachat de Transat par une firme d’investissement, par exemple, ne réglera pas les ennuis fondamentaux minant les résultats du voyagiste.

« Transat perd systématiquement de l’argent l’hiver et doit faire face à des défis concurrentiels grandissant l’été (Air Canada Rouge notamment). »

Il croit aussi que beaucoup d’investisseurs estiment que la décision d’investir 750 millions US dans le développement de complexes hôteliers augmente sensiblement le niveau de risque associé au titre. « De plus, il faudra attendre plusieurs années avant que cette stratégie contribue de façon importante à la rentabilité. »

Transat et Air Canada partagent le même actionnaire principal

Le principal actionnaire de Transat est aussi le plus gros actionnaire d’Air Canada, en plus d’être le deuxième actionnaire en importance de WestJet. Si le gestionnaire d’actifs montréalais Letko Brosseau détient une participation de 18 % dans Transat, il possède également une participation de 10 % dans Air Canada ainsi que dans WestJet. Il n’a pas été possible, hier, de parler avec un représentant chez Letko Brosseau.

Les principaux actionnaires de Transat

Letko Brosseau & Associés       18,1 %

Fonds de solidarité FTQ             11,6 %

Franklin Templeton Inv. Corp.       8,8 %

Caisse de dépôt et placement      5,6 %

PenderFund Capital Mgt.            3,7 %

PHOTO SIMON GIROUX, ARCHIVES LA PRESSE

Au fil des années, le voyagiste montréalais Air Transat a permis à plusieurs Québécois de s’envoler vers l’Europe ou vers les destinations soleil à prix intéressants.

Vers une augmentation du prix des billets ?

Air Transat offre souvent des prix intéressants pour les voyageurs qui s’envolent vers l’Europe ou vers des destinations soleil. Si la vente de la société se concrétise, les consommateurs risquent de payer leurs billets d’avion plus cher, et ils pourraient aussi assister à la disparition de certaines liaisons directes actuellement exploitées par le transporteur, croient certains spécialistes. Un point de vue qui divise toutefois les agences de voyages contactées.

« Il y a plein de gens au Québec qui ont découvert la France grâce à Air Transat », souligne Jacques Roy, professeur en gestion des transports à HEC Montréal. En offrant notamment des vols, au départ de Montréal, en direction de Bordeaux, Toulouse et Marseille, le transporteur a donné la possibilité à bien des voyageurs de sortir de Paris et de visiter d’autres parties de l’Hexagone.

Zagreb, en Croatie, et Porto, au Portugal, figurent également sur la liste des destinations desservies par l’entreprise. « Transat a souvent joué le rôle de celle qui développe des destinations », ajoute le professeur.

Que se passera-t-il si la société change de main ? « Ça risque d’être un désenchantement, croit M. Roy. Certaines destinations ne seront peut-être plus disponibles. »

Selon le spécialiste, le transporteur pourrait conserver les liaisons les plus rentables, par exemple Montréal-Paris.

Moins de compétition

Avec de nouveaux acquéreurs, les voyageurs pourraient également voir une hausse des prix des billets. « Si c’est un autre transporteur [qui achète], c’est clair que ça enlève de la compétition », affirme Jacques Roy.

Mohamed Reda Khomsi, professeur au département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal, croit lui aussi que la vente de Transat aura une incidence sur les prix. Il rappelle que le gouvernement fédéral impose un plafond de 49 % de participation étrangère. 

« Les acheteurs vont probablement être canadiens. Du coup, ça va réduire l’offre de service. »

Or, Philippe Desmarais, directeur de l’agence Aéroport Voyage, se dit peu inquiet d’assister à une hausse des prix. « Dans l’industrie, les acquisitions sont monnaie courante, rappelle-t-il. Je ne pense pas que ça ait un impact sur les prix. Il va toujours y avoir une compétition. »

Le vice-président aux opérations de Voyages Bergeron, Fabrice Bozon, admet de son côté qu’il y aura une certaine incertitude. « Ça va dépendre de ce qu’ils [les acheteurs] font et de ce qu’ils veulent », souligne-t-il, ajoutant du même souffle qu’aucune vente n’avait été conclue pour le moment.