Un an après #moiaussi, le mouvement de dénonciation a déjà imposé des changements en milieu de travail, notamment parce que les conseils d'administration des entreprises réalisent que le harcèlement sexuel constitue un risque qui peut coûter cher, constate Marianne Plamondon, une avocate spécialisée en droit du travail.

Elle dit avoir observé sur le terrain que la prévention du harcèlement a monté de plusieurs crans dans la liste des priorités des hauts dirigeants d'entreprises.

Car si des politiques pour contrer le harcèlement au travail existaient avant cela, le mouvement #moiaussi a mis en lumière une triste réalité : « elles n'ont pas marché », tranche Me Plamondon, qui est associée au cabinet d'avocats montréalais Langlois. Elle observe maintenant un désir de la part de ces dirigeants que ces politiques ne soient plus mises sur une tablette poussiéreuse.

Me Plamondon a pris la parole avec d'autres professionnels réunis pour une causerie intitulée « #moiaussi : un an plus tard », organisée jeudi dernier par l'Association du Barreau canadien (ABC), division du Québec.

Elle a souligné que beaucoup d'employeurs ont réalisé que le département des ressources humaines de leur entreprise ne peut pas toujours adéquatement traiter les plaintes de harcèlement sexuel - surtout si le présumé harceleur est un haut dirigeant et que les ressources humaines relèvent de lui.

L'avocate, qui est aussi présidente de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, a vu que des conseils d'administration ont été conscientisés sur les effets qu'une plainte de harcèlement sexuel peut avoir : il est facile d'obtenir l'attention des médias pour ce genre de cas, et ils peuvent porter atteinte à la réputation de leur entreprise. « Il y a un risque financier associé à ça », ajoute-t-elle.

Et il est désormais facile à voir : la compagnie d'Harvey Weinstein, ce producteur de cinéma américain accusé par un grand nombre de femmes de viols, d'agressions sexuelles et de harcèlement, dont de célèbres actrices, a chuté en valeur depuis, fait-elle remarquer.

Elle rappelle d'ailleurs que les membres du conseil d'administration de l'entreprise de M. Weinstein étaient au courant de ses agissements : ils avaient ajouté une clause pénale dans son contrat. S'il y avait de nouveaux cas, il devait payer une pénalité. « Plus connu que ça, tu meurs », s'est-elle exclamée lors de la causerie. Ils en avaient fait un risque « calculé », analyse-t-elle. Avec les résultats que l'on connaît maintenant : l'entreprise a fait faillite.

« C'est sûr que dans ce contexte-là, on a vu plusieurs employeurs refaire leurs politiques de harcèlement au travail de façon à les rendre plus restrictives, avec des recours plus clairs, mais aussi pour ajuster le processus de plaintes pour ne pas que le processus relève de la personne qui est le présumé harceleur, par exemple, et qu'il y ait aussi un processus de plainte avec des lignes éthiques, qui sont des lignes 1-800 où on peut dénoncer de façon anonyme pour que l'information se rende au conseil d'administration et que des décisions adéquates soient prises », a expliqué l'avocate.

Me Plamondon rapporte que beaucoup d'employeurs demandent depuis un an de la formation auprès de professionnels et qu'elle-même est contactée directement par des conseils d'administration de grandes entreprises, à qui le mouvement de dénonciation a ouvert les yeux.

Autres constats ? « Beaucoup de commentaires de "mononcle" sont devenus moins acceptables », a remarqué la spécialiste, qui trouve que le mouvement #moiaussi a aussi eu un impact sur les relations de travail : « la civilité y a pris un élan certain ».

Selon elle, le mouvement #moiaussi a eu un effet encore plus large, car il a même eu des retombées bénéfiques sur le harcèlement psychologique.

« L'assainissement des milieux de travail a été bien entamé. »

Bref, un an plus tard, la « tolérance zéro » annoncée auparavant par les employeurs est dorénavant appliquée avec plus de vigueur.

Même si elle dresse un bilan plutôt positif de la dernière année, Me Plamondon voudrait toutefois que les changements aillent encore plus loin : elle rappelle que l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés s'active pour que la Loi sur les normes de travail soit modifiée. L'Ordre souhaite que les enquêtes sur les plaintes de harcèlement soient obligatoirement réalisées par des professionnels.

On ne veut plus d'enquêtes bâclées, souligne-t-elle. « Ni des enquêtes pipées d'avance. »

« Il faut que ces enquêtes soient menées par des professionnels pour s'assurer de la confidentialité et qu'ils soient liés par un code de déontologie : donc s'ils manquent à leurs responsabilités, ils engagent leur responsabilité. » On parle ici d'un enquêteur qui serait membre d'un ordre professionnel comme le Barreau ou l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, « parce que quand on donne l'enquête à quelqu'un au sein de l'entreprise qui n'a jamais fait ça et qui est le meilleur ami du présumé harceleur, c'est sûr qu'on ne peut pas s'attendre à une finalité de l'enquête qui est juste et équitable », juge Me Plamondon.