« Ça va brasser encore à la prochaine assemblée d'actionnaires de Bombardier. Cette fois-ci, nous réclamons plus d'explications sur la rémunération de ses dirigeants, en suivi de l'opposition qui représentait le tiers des actions votantes l'an dernier », signale d'emblée le directeur du Mouvement de défense et d'éducation des actionnaires (MEDAC), Willie Gagnon. Il est aussi le principal représentant de ce regroupement d'actionnaires activistes dans les assemblées annuelles des entreprises québécoises en Bourse.

Tableaux à consulter:

Les présidents de Québec inc. en Bourse (PDF)

Les hautes directions de Québec inc. (PDF)

À pareille date l'an dernier, la direction de Bombardier était empêtrée dans la controverse suscitée par l'augmentation de 48 % de sa rémunération en bonis et primes, peu de temps après avoir été rescapée financièrement par l'injection de 2 milliards en fonds publics.

Cette controverse avait même forcé le conseil d'administration de Bombardier à modifier cette rémunération juste à temps avant l'échéance réglementaire de divulgation aux actionnaires, avant l'assemblée annuelle. Malgré cela, des actionnaires avaient voté contre cette rémunération amendée par une proportion jamais vue dans les annales de Québec inc. en Bourse, soit 35 % des actions B à vote simple.

Un an plus tard, le président et chef de la direction de Bombardier, Alain Bellemare, et ses quatre principaux adjoints de la haute direction se retrouvent encore au sommet de la rémunération des dirigeants, parmi la cinquantaine d'entreprises de Québec inc. qui valent plus de 250 millions en Bourse.

Pas étonnant, donc, que le MEDAC revienne à la charge dans le cadre de l'assemblée d'actionnaires de Bombardier, jeudi au Vieux-Port de Montréal, avec un vote sur une nouvelle proposition pour obtenir plus de détails sur la rémunération des hauts dirigeants.

Dans la circulaire de direction envoyée aux actionnaires, Bombardier leur recommande de voter contre cette proposition du MEDAC.

« Le conseil d'administration estime qu'il existe un équilibre approprié entre une communication ouverte avec les actionnaires, qui permet que leur opinion soit prise en compte [...], et que les mesures déjà en place sont adéquates pour assurer la transparence du processus entourant la rémunération des membres de la haute direction. »

En plus de Bombardier, le MEDAC dépose aussi des propositions spéciales lors d'assemblées de 16 autres entreprises québécoises, en plus des grandes banques torontoises et de la Financière Manuvie.

« Malgré les nombreuses controverses et quelques changements réglementaires au fil des ans, la rémunération des hauts dirigeants demeure le principal motif de récrimination des investisseurs et des actionnaires à l'égard des entreprises où ils sont investis. » - Willie Gagnon, du MEDAC

MAILLONS FAIBLES

Selon Yvan Allaire, directeur exécutif de l'Institut sur la gouvernance d'institutions privées et publiques (IGOPP), la récurrence des récriminations envers la rémunération des hauts dirigeants d'entreprise - parfois frustrante en tant qu'analyste, admet-il - est alimentée par des « maillons faibles » dans la façon de faire parmi les conseils d'administration.

Entre autres, il montre du doigt leur recours à des firmes externes de consultants en rémunération et à des « groupes d'entreprises de comparaison » pour établir les principaux éléments de la rémunération des hauts dirigeants.

« Cette pratique courante parmi les conseils d'administration a, dans les faits, instauré une dynamique de surenchère continue de la rémunération de dirigeants parmi ces "groupes de comparaison", au détriment de facteurs plus directement liés au contexte d'affaires de chaque entreprise », explique M. Allaire.

Parmi ces facteurs particuliers, Yvan Allaire mentionne le rapport entre la rémunération des hauts dirigeants de l'entreprise, en particulier son PDG, et la rémunération moyenne parmi les employés de l'entreprise.

Aux États-Unis, après les resserrements réglementaires qui ont suivi la crise financière et le krach boursier allongé de 2008-2009, les entreprises doivent désormais expliquer et divulguer à leurs actionnaires ce rapport de rémunération entre leurs hauts dirigeants et l'ensemble de leurs employés.

Mais au Canada, estime Yvan Allaire, avant de se faire imposer cette pratique encore nouvelle aux États-Unis, les entreprises devraient commencer par déclarer à leurs actionnaires que leur conseil d'administration est « officiellement informé » de ce rapport de rémunération entre les hauts dirigeants et les employés, et qu'il en tient compte dans la gestion de la politique de rémunération des dirigeants.

« Pour que le débat et les normes sur la rémunération des dirigeants continuent d'évoluer, il faut maintenant que les conseils d'administration soient plus incités à assumer leur responsabilité en la matière devant les actionnaires. » - Yvan Allaire, directeur exécutif de l'Institut sur la gouvernance d'institutions privées et publiques

DISCOURS ET RÉALITÉ

Selon Michel Magnan, professeur et analyste en gouvernance d'entreprise à l'École de gestion Molson de l'Université Concordia, « les controverses au sujet de la rémunération des dirigeants persistent parce qu'en dépit des améliorations à certains éléments, il y a encore des écarts importants entre le discours officiel des directions d'entreprise en faveur de certains changements et l'impact réel de ces changements lors de leur mise en pratique ».

En exemple, Michel Magnan cite le recours moindre aux options d'achat d'actions à prix d'escompte dans les primes aux hauts dirigeants en faveur d'un plus grand nombre d'attributions directes d'actions selon leur valeur boursière à ce moment.

« Selon le discours des conseils d'administration, qui sont les principaux responsables de la rémunération des dirigeants, le versement de bonis en actions plutôt qu'en options rend cette rémunération plus liée à la performance courante et future de l'entreprise, explique M. Magnan.

« Mais en pratique, il s'agit d'une réduction de la portion dite "à risque" de la rémunération des hauts dirigeants. Parce que les actions auront toujours une valeur marchande, en hausse ou en baisse, à moins que l'entreprise fasse faillite, alors que la valeur future des options d'achat d'actions peut tomber à zéro en cas de mauvaise performance des actions en Bourse. »