Le président et chef de la direction de Stingray, Eric Boyko, anticipe une mobilisation croissante du Québec inc. contre les crédits d'impôt gouvernementaux accordés aux sociétés étrangères du secteur multimédia et des technologies de l'information.

À son avis, d'autres dirigeants d'entreprises n'hésiteront pas à se prononcer contre ces mesures fiscales, comme le crédit d'impôt pour la production de titres multimédia - pouvant couvrir 37,5 pour cent des dépenses salariales admissibles - offert depuis 1996.

«Je pense que tout le monde est d'accord que l'on doit numériser toutes les compagnies du Québec, pas seulement l'industrie des jeux vidéo», a-t-il expliqué, jeudi, au cours d'un entretien téléphonique visant à discuter des résultats du troisième trimestre du fournisseur québécois de services musicaux.

M. Boyko s'est réjoui de la sortie du grand patron de l'Industrielle Alliance, Yvon Charest, qui, dans une entrevue accordée à La Presse, a été le plus récent homme d'affaires à remettre ces mesures en question.

La compagnie d'assurance de Québec dit être affectée par les effets pervers des crédits d'impôt provinciaux étant donné qu'elle cherche elle aussi à prendre le virage numérique.

«Tout le monde est d'accord sur le fait qu'on ne peut pas avoir des compagnies étrangères qui viennent livrer une concurrence déloyale aux compagnies locales», a expliqué M. Boyko.

Alors que la main-d'oeuvre qualifiée se fait rare, l'homme d'affaires déplore que des sociétés étrangères puissent profiter de ces mesures pour recruter des ingénieurs informatiques et d'autres travailleurs spécialisés dans les technologies de l'information, qui sont aussi convoités par Stingray.

À moins d'un an du prochain scrutin provincial, M. Boyko s'attend à ce que les différents partis politiques dévoilent des propositions afin de corriger la situation.

«Nous pourrions, par exemple, diminuer le taux du crédit d'impôt octroyé aux sociétés étrangères et élargir la mesure pour l'ensemble des entreprises», a-t-il dit.

Le patron de Stingray avait critiqué le crédit d'impôt destiné à la production de titres multimédia - qui favorisé l'émergence du secteur québécois des jeux vidéo - en juin dernier alors que l'entreprise avait annoncé l'intention de doubler la taille de son siège social du Vieux-Montréal.

Depuis, d'autres hommes d'affaires, dont le président et chef de la direction de la société technologique québécoise Coveo, Louis Têtu, ont exprimé le même point de vue que M. Boyko.

Stingray dans le rouge

Au troisième trimestre terminé le 30 septembre, Groupe Stingray Digital a perdu 3,4 millions $, ou sept cents par action, alors qu'il avait réalisé un profit net de 1,4 million $, ou trois cents par action, il y a un an.

Ce résultat s'explique essentiellement par une facture de 4,5 millions $ pour des frais juridiques liés à son litige avec Music Choice aux États-Unis à propos de cinq brevets.

Formée notamment par des filiales de Microsoft, Sony, Time Warner Cable et Comcast, Music Choice avait poursuivi Stingray l'an dernier auprès d'un tribunal du Texas. Music Choice alléguait que Stingray se serait approprié certaines technologies après avoir obtenu des informations privilégiées en 2013, alors que la société montréalaise envisageait de l'acquérir.

Parallèlement, Stingray s'était tournée vers le Bureau des brevets et des marques de commerce des États-Unis dans le but d'obtenir l'annulation des brevets en question.

Puisque le bureau a accepté de se pencher sur le dossier, le juge saisi de la poursuite a décidé, le 1er novembre, de suspendre les procédures, ce qui, selon M. Boyko, constitue une importante victoire pour Stingray. Ce dernier est convaincu que son entreprise aura gain de cause.

«Le fardeau de la preuve repose maintenant sur Music Choice, a dit l'homme d'affaires. Ils ont deux mois pour déposer leur défense. Cela pourrait leur coûter jusqu'à 5 millions $ en frais juridiques pour se défendre.»

Compte tenu des sommes en jeu, M. Boyko s'attend à ce que Music Choice décide de ne pas soumettre de réplique devant le Bureau des brevets aux États-Unis. Ainsi, le dossier pourrait être clos d'ici six mois, estime-t-il.

Abstraction faite des éléments non récurrents, le bénéfice ajusté de Stingray est demeuré stable, à 5,4 millions $ ou 10 cents par action, alors que les revenus ont bondi de 24,7 pour cent à 30,6 millions $.