Alors qu'Air Canada s'efforce de limiter les conséquences de la fermeture de l'espace aérien à 24 de ses avions, des questions se posent sur l'avenir des Boeing 737 MAX et l'impact de la crise sur l'industrie.

Les journées du vice-président à la planification du réseau d'Air Canada, Mark Galardo, sont pour le moins chargées depuis que 24 des quelque 400 avions à sa disposition sont cloués au sol. « Je ne dis pas que tout va se régler à 100 %, mais l'impact va aller en diminuant », promet-il.

Les travaux de préparation d'un « plan B » ont commencé dans les heures ayant suivi l'écrasement d'un vol d'Ethiopian Airlines, dimanche, mais on n'est vraiment passé à la vitesse supérieure que « mardi ou mercredi », confie M. Galardo.

Depuis ce moment, les équipes d'Air Canada ont été scindées. Le bureau des opérations, à Toronto, gère la planification des 72 prochaines heures. À Montréal, on se concentre sur la période « entre 72 heures et le 31 mars, puis, si ça continue, le mois d'avril, et on commence déjà à envisager l'été ».

La firme Raymond James a évalué hier à 2,7 millions de dollars les pertes quotidiennes pour Air Canada.

« C'est vraiment difficile à court terme, il y a un choc dans l'immédiat », affirme Mark Galardo.

Le PDG d'Air Canada, Calin Rovinescu, a envoyé une note aux employés du transporteur aérien.

« Bien que nous n'ayons aucune façon de savoir quel sera le résultat final ni combien de temps ces appareils seront cloués au sol, pour l'instant nous annulons tous les vols de notre flotte de Boeing 737 MAX pour les trois semaines à venir », a écrit M. Rovinescu, selon les informations obtenues par Radio-Canada.

« Nous continuerons à modifier notre plan et demeurerons en contact avec vous ainsi qu'avec nos clients », a ajouté Calin Rovinescu, précisant par ailleurs que « ce ne sera pas simple de venir en aide aux clients touchés par cette situation ».

« L'interdiction de vol survient au moment de la semaine de relâche pour beaucoup de gens et juste avant la période achalandée de Pâques », a relevé hier l'analyste Helane Becker, de la firme Cowen. « Les transporteurs aériens sont plutôt résilients, et nous prévoyons qu'ils vont s'adapter pour répondre à la demande », ajoutait-elle néanmoins.

Quelques solutions

À moyen terme, l'entreprise dispose de quelques solutions. D'abord, certains appareils A320 d'Airbus (de taille comparable aux 737 MAX) et E190 d'Embraer (un peu plus petits) devaient être retournés à leur prêteur à la fin du mois de mars. L'entreprise négocie actuellement afin de pouvoir les utiliser plus longtemps.

On a aussi reporté l'envoi, prévu en avril, de certains avions à l'atelier de peinture, pour les repeindre aux nouvelles couleurs d'Air Canada. Aucun avion n'a encore été loué à l'extérieur, mais la possibilité reste ouverte et étudiée.

« Nous avons beaucoup d'avions de réserve », explique Mark Galardo.

Certains d'entre eux, des gros-porteurs A330 d'Airbus, vont remplacer les 737 MAX 8 qui assuraient les liaisons entre Montréal et San Francisco et Los Angeles, ou encore entre Vancouver et Hawaii.

Par un jeu de dominos, des avions d'Air Canada Rouge deviendront ensuite libres pour assurer les vols entre Montréal et Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) ou Fort-de-France (Martinique).

Commandes suspendues

Air Canada devait recevoir 12 nouveaux appareils 737 MAX 8 d'ici le mois de juillet. Ces livraisons ont pour le moment été suspendues.

Quant aux pilotes qui devaient être formés pour piloter ces 12 nouveaux avions, Air Canada étudie la possibilité de plutôt les former sur d'autres appareils, pour maintenir ses capacités au cours des prochains mois, selon M. Galardo.

En Bourse, l'impact de cette interdiction est imprévisible, selon Mme Becker.

« Nous prévoyons que les actions auront un comportement un peu erratique dans les prochains jours. Les investisseurs perçoivent l'interdiction comme une perte de capacité à court terme. Nous la voyons comme un élément négatif mineur étant donné que le moment est mal choisi.

« Si la capacité reste faible pour une longue période, cela pourrait faire monter les prix, mais une fois qu'elle reviendra, nous prévoyons que les transporteurs vont offrir des rabais pour stimuler la demande. Les consommateurs sont les plus grands perdants dans ce scénario, puisque les transporteurs vont étudier toutes les mesures pour les accommoder, y compris des vols avec escale pour remplacer des vols sans escale, ce qui n'est pas optimal. »

Air Canada inondée d'appels de clients

Le transporteur est surchargé d'appels de voyageurs qui tentent de réserver des vols. En raison de l'avalanche d'appels au service à la clientèle d'Air Canada mercredi et hier, l'entreprise a enregistré un message dans lequel elle prévient que le volume dépasse temporairement sa capacité à répondre aux appels, voire à les mettre en attente. Le message évoque des « circonstances imprévues » et dirige les clients vers le site internet d'Air Canada. L'affaire Boeing 737 MAX entraîne aussi des problèmes pour d'autres entreprises comme les agences de voyages. Maninder Singh, propriétaire de l'agence InterSky à Montréal, a indiqué que l'interdiction du MAX 8 lui ferait perdre de l'argent, puisqu'il devra rembourser des passagers dont les vols ont été annulés. Le ministre fédéral des Transports Marc Garneau a expliqué mercredi que la décision de clouer au sol ces appareils était une mesure préventive, mise en oeuvre après l'évaluation des preuves disponibles, trois jours après l'écrasement de l'avion d'Ethiopian Airlines. - La Presse Canadienne

Quel impact pour l'industrie ?

Maintenant que les 371 avions monocouloirs 737 MAX de Boeing sont cloués au sol, de nouvelles questions se posent, à commencer par les étapes à franchir pour une sortie de crise.

Que faudra-t-il pour que ces avions puissent reprendre les airs ?

Ça semble une évidence, mais il faut d'abord découvrir ce qui s'est passé dimanche, rappelle Richard Aboulafia, vice-président à l'analyse du Teal Group, firme de consultation en aéronautique établie aux États-Unis.

« Ensuite, il faudra concevoir le correctif logiciel ou le changement à l'entraînement - ou les deux - nécessaire. Puis faire certifier le tout. Ça pourrait prendre plusieurs mois. »

Les solutions techniques ne sont pas suffisantes, juge de son côté Mehran Ebrahimi, professeur spécialisé en administration des entreprises aéronautiques à l'UQAM.

« Boeing devra ensuite vraiment faire un effort de crédibilité. L'entreprise a été accusée de manquer de transparence et de se cacher sous les jupes de l'administration américaine. »

Quel sera l'impact sur la production de Boeing ?

Le 737 est le modèle le plus populaire de Boeing, qui le produit actuellement au rythme de 52 exemplaires par mois, soit presque deux par jour, à son usine de la région de Seattle. Elle prévoyait même faire passer sa production à 57 par mois en cours d'année.

Les livraisons sont suspendues, a confirmé Boeing hier, mais pas la production. L'entreprise convient qu'elle devra évaluer comment elle peut composer avec d'éventuelles contraintes, notamment l'espace nécessaire pour entreposer ces avions.

Est-ce que la situation peut profiter à Airbus ?

C'est loin d'être évident, selon les experts. La principale raison : les carnets de commandes d'Airbus débordent déjà. La production de son A320neo, rival direct du 737 MAX, est déjà entièrement vendue pour plusieurs années, comme c'est le cas pour Boeing.

« Si je suis un client, je regarde ça et je me dis : "Je vais quitter cette file d'attente [Boeing] pour aller m'installer à la fin de l'autre file d'attente, et pendant ce temps, je vais brûler plus de carburant ?" », s'interroge Richard Aboulafia.

Le calcul pourrait être différent pour un nouvel acheteur, estime de son côté M. Ebrahimi.

« L'A320 et le 737 sont des appareils tellement similaires qu'en général, le choix se joue sur un rien », rappelle-t-il.

Le fort afflux de commandes des dernières années a néanmoins fait en sorte que l'horizon est faible en grandes commandes, estime M. Aboulafia.

Est-ce que les déboires de Boeing peuvent profiter à l'A220 ?

Airbus n'a pas voulu commenter la situation, hier. Mais selon M. Ebrahimi, il n'est pas impossible que certains clients de Boeing se tournent vers l'usine de Mirabel.

« C'est sûr que c'est un argument de vente. Ils se frottent les mains là-bas, croit-il. Il y a plusieurs clients pour qui le MAX 8 était un peu trop grand, mais qui l'ont choisi quand même parce que Boeing leur faisait vraiment un bon prix et parce que le prix du carburant était faible.

« Maintenant que le prix du carburant a remonté et qu'ils ont la possibilité d'obtenir un avion qui correspond davantage à leur capacité, pourquoi pas ? Les contrats peuvent être généralement résiliés si l'avion a le potentiel de nuire à la réputation de l'acheteur. »