Le Canada est incontestablement privilégié de pouvoir compter sur une industrie aérospatiale aussi dynamique qui rayonne à l'étranger, même s'il ne dispose pas d'un marché intérieur suffisant pour absorber une grande partie de ses produits, estime l'ancien premier ministre Jean Charest.

Alors qu'il entame le mandat que lui a confié l'Association des industries aérospatiales du Canada (AIAC) de faire le point sur l'état de santé de l'industrie, et qu'il doit soumettre un rapport au plus tard en février, M. Charest lance une mise en garde : il est indispensable que cette industrie conserve le soutien financier d'Ottawa et des gouvernements provinciaux pour continuer à se tailler une place sur les marchés étrangers.

D'autant plus que le Canada, qui a la cinquième industrie aérospatiale en importance au monde, doit se frotter à d'autres pays comme les États-Unis, la France ou la Royaume-Uni qui soutiennent encore plus généreusement leur industrie respective, a-t-il fait valoir.

Dans une entrevue à La Presse, en marge du sommet de l'AIAC à Ottawa cette semaine, M. Charest a convenu que les contribuables s'interrogent sur le bien-fondé d'accorder une aide gouvernementale à des entreprises comme Bombardier après que ce fleuron de l'industrie eut annoncé la semaine dernière 5000 licenciements, dont la moitié au Québec.

Ces licenciements ont été annoncés environ 18 mois après qu'Ottawa eut accordé à la société une aide remboursable de 372 millions de dollars en février 2017 et après que le gouvernement du Québec eut investi 1,3 milliard dans une coentreprise avec Bombardier consacrée à la C Series en octobre 2015.

« UN MARCHÉ INTÉRIEUR SUFFISANT »

« Il y a un constat et il est le suivant : l'industrie est très, très importante pour le Canada. Nous sommes 36 millions d'habitants. Objectivement, il n'y a pas de raison économique qui ferait en sorte que cette industrie serait aussi importante au Canada. Nous n'avons pas un marché intérieur suffisant », a lancé d'entrée de jeu M. Charest.

« Mais en se comparant, il y a un autre constat qui ressort. Les autres pays donnent beaucoup plus d'appuis à l'industrie que nous le faisons ici au Canada. On parle des États-Unis, de la Royaume-Uni, de la France, de l'Europe. »

Certes, les licenciements annoncés par Bombardier forcent l'industrie à être sur la défensive. « Il y a toujours du travail à faire chaque fois qu'il y a un soutien financier. Comme ce sont des fonds publics, il faut justifier. Une des choses sur lesquelles il faut absolument revenir, c'est le fait que le soutien financier accordé par l'État, tant au niveau fédéral que provincial, a été rentable », a soutenu l'ancien premier ministre du Québec.

« On n'a jamais perdu d'argent avec Bombardier. Jamais. Que ce soit l'investissement dans l'équité, l'investissement dans le soutien dans les ventes à l'étranger, je le sais. J'étais au gouvernement du Québec quand on a financé la vente d'avions. Ç'a été payant. Mais cela, il faut le dire. Je comprends la préoccupation du public concernant le dernier épisode, etc. Mais on ne va pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Il faut faire attention. C'est une industrie qu'il faut absolument protéger et valoriser », a-t-il aussi affirmé.

« LA FIN D'UN CYCLE »

Au sujet des licenciements à Bombardier, M. Charest a soutenu que cela illustre que l'industrie « arrive à la fin d'un cycle » et qu'il importe de faire le point pour adopter « une nouvelle vision ». « On doit faire un état des lieux, faire le point là où nous sommes. Il nous faut une vision à long terme. Il faut savoir où on veut aller. On veut faire quoi ? Quelle place voulons-nous ? », a-t-il lancé. Cet examen s'impose avant de cogner à nouveau à la porte des gouvernements, a-t-il avancé.

M. Charest mènera donc des consultations dans plusieurs villes canadiennes au cours des prochaines semaines (Toronto le 10 décembre, Montréal le 13 décembre, Vancouver le 10 janvier, Halifax le 17 janvier et Winnipeg le 28 janvier). Il remettra son rapport en février.

« Oui, ça ira aussi vite que ça. On ne va pas réinventer la roue. Mais on veut s'aligner très ouvertement sur la campagne électorale. Nous sommes très transparents à ce sujet. On ne le fait pas de manière agressive. On veut que ce soit un enjeu consensuel et que les partis politiques puissent s'approprier les recommandations que nous allons leur mettre devant les yeux », a-t-il dit.