Les yeux de l'industrie maritime canadienne sont tournés vers Ottawa, où le gouvernement réfléchit encore à une réforme de la Loi sur le pilotage qui, espèrent les armateurs, permettra de freiner une augmentation des prix « hors de contrôle ».

« C'est clair que la loi peut être améliorée et modernisée », estime Fulvio Fracassi, président de l'Administration de pilotage des Laurentides (APL).

L'APL, chargée de la navigation sur le Saint-Laurent, est l'une des quatre administrations de pilotage du gouvernement fédéral. Les trois autres supervisent les zones de l'Atlantique, des Grands Lacs et du Pacifique.

Ottawa est bien d'accord pour moderniser sa loi, instaurée en 1972 et pratiquement inchangée depuis 1998. À la suite d'un examen et d'une série de consultations présidées par Marc Grégoire, un rapport contenant 38 recommandations a été livré en avril dernier. Ottawa n'a toutefois donné suite à aucune d'elles.

Sans surprise, l'argent est au coeur de plusieurs des changements souhaités par l'APL et les armateurs. La loi actuelle force l'APL à faire appel aux services de pilotes regroupés au sein de deux entreprises privées, la Corporation des pilotes du St-Laurent central et la Corporation des pilotes du Bas-St-Laurent, qui disposent chacune d'une zone d'exclusivité.

« On se retrouve essentiellement avec un monopole, et les corporations ne sont pas à but non lucratif », résume Serge Le Guellec, président-directeur général de Transport Desgagnés, l'un des plus importants armateurs québécois.

COÛTS EN HAUSSE

Entre 2007 et 2017, alors que l'inflation a atteint 19,4 %, les coûts de pilotage ont augmenté de 23,1 % sur le Saint-Laurent, calculait dans son mémoire soumis au gouvernement la Fédération maritime du Canada. La hausse a atteint jusqu'à 82,6 % dans la zone Atlantique et 52,3 % dans les Grands Lacs, sans compter des frais supplémentaires ayant atteint jusqu'à 15 % à certains moments.

« C'est trois fois le coût de la vie, estime sommairement M. Le Guellec. C'est hors de contrôle. On se ramasse dans certaines situations où le coût pour le pilotage est plus élevé que pour l'ensemble de l'équipage pour l'ensemble du trajet. »

Une partie de la solution repose sur l'imposition d'une plus grande transparence aux corporations de pilotage, semblent croire plusieurs intervenants.

Contrairement aux administrations de pilotage comme l'APL, qui sont tenues de rendre leurs livres publics, les états financiers des corporations de pilotage restent privés. C'est aussi le cas du contrat qui les lie aux administrations.

Le président de la Corporation des pilotes du St-Laurent central, Alain Arsenault, s'oppose farouchement à l'idée de devoir rendre ces documents publics.

« S'ils veulent qu'on ouvre nos livres, on va le faire à condition de ne plus avoir à négocier de contrat avec l'APL, fait-il savoir. Sinon, on perd notre pouvoir de négociation. »

La Corporation se dit néanmoins prête à soumettre les informations demandées au vérificateur général « qui, lui, pourrait attester de la conformité ou non de nos pratiques avec les normes établies ».

CONFLIT D'INTÉRÊTS

M. Fracassi en a aussi contre le fait que ce n'est ni l'APL ni le gouvernement qui détermine les règles de navigation et de sécurité qui doivent être en vigueur sur le fleuve. Celles-ci font plutôt partie du contrat de service entre l'APL et les corporations, ce qui implique une négociation.

« Ce n'est pas approprié de voir des règles de sécurité être modifiées par voie de contrat, ça devrait appartenir à l'autorité publique », croit M. Fracassi.

L'état actuel de la réglementation rend l'APL dépendante des corporations de pilotes. Il lui est en effet difficile d'embaucher elle-même des gens disposant de l'expertise nécessaire pour analyser les enjeux de sécurité. Elle doit donc s'en remettre aux corporations, qui se retrouvent alors en conflit d'intérêts, estime M. Le Guellec.

« La corporation [des pilotes] livre un service-conseil à propos de quelque chose qui va lui permettre de facturer plus cher plus tard. »

Certaines règles de sécurité, notamment l'utilisation de deux pilotes dans certaines conditions, ont été édictées à une époque où l'équipement dont disposaient les pilotes était nettement inférieur.

« C'est sûr qu'il y a un manque de pilotes si on ne pose pas les bonnes questions, selon M. Le Guellec. On pourrait réévaluer la pertinence de certaines règles. Parfois, il faut ajouter un deuxième pilote pour "surveiller le trafic". Avec les radars actuels, ce n'est plus nécessaire, d'autant plus que le trafic n'est pas si élevé, si je compare à certains endroits en Europe. »

Le rapport Grégoire ouvre aussi la porte à des fusions entre certaines administrations de pilotage, surtout celles qui sont responsables du Saint-Laurent et des Grands Lacs.

« Chaque administration a sa façon de faire les choses, dénonce M. Le Guellec. Sur un même voyage, on peut devoir faire appel à trois d'entre elles avec des règles et des procédures différentes. C'est un non-sens qui doit être adressé. »