Airbus n'a pas lésiné avant de tirer un trait sur le nom C Series en rebaptisant ce programme - développé à coups de milliards de dollars par Bombardier - A220 seulement 10 jours après en avoir pris le contrôle.

Cette nouvelle appellation a été dévoilée mardi, à proximité de Toulouse, en France, où se trouve le siège social du géant européen, dans le cadre d'un événement où sa nouvelle prise s'est posée coiffée avec son nouveau nom tout en arborant les couleurs d'Airbus.

Les appareils A220-100 et A220-300 remplaceront ainsi les CS100 et CS300, qui étaient les deux versions de l'avion dans le segment des appareils de 100 à 150 places.

Ce changement s'effectue dans le cadre d'une harmonisation du portefeuille de produits d'Airbus, puisque la C Series se trouvait tout juste sous la famille A320 de l'avionneur européen.

«Tout le monde chez Airbus attendait avec impatience ce moment historique», s'est félicité le président de la division des avions commerciaux d'Airbus, Guillaume Faury. L'A220 franchit un nouveau jalon avec les ressources d'Airbus pour assurer son succès commercial.»

La semaine dernière, à Mirabel, le chef de la direction du géant de Toulouse, Tom Enders, avait affirmé qu'un changement de nom était imminent pour la C Series, confirmant ainsi les rumeurs qui circulaient.

Sans surprise, Bombardier a réitéré son appui au partenariat officiellement en vigueur depuis le 1er juillet.

«C'est un signal clair indiquant qu'Airbus met tout son poids derrière le programme, ce qui devrait accélérer les ventes et les efforts visant à réduire les coûts», a fait valoir le constructeur d'avions et de trains.

Un pincement, mais peu d'options

Le directeur du groupe d'études en management des entreprises en aéronautique à l'UQAM, Mehran Ebrahimi, a expliqué, au cours d'une entrevue téléphonique, que le changement d'appellation constitue une étape logique.

Toutefois, étant donné que l'avion avait été conçu pour se faire une place aux côtés des produits d'Airbus et de Boeing, il est conscient que la disparition du nom C Series peut avoir un effet psychologique au Québec.

«C'est un peu comme une famille qui voit son adolescent quitter le domicile, a expliqué M. Ebrahimi. Peut-être que l'on aurait aimé qu'il reste, mais la réalité c'est qu'il doit quitter.»

De passage à Saint-Félicien, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, le premier ministre a concédé que le passage de la C Series dans le giron d'Airbus, était en quelque sorte un «petit deuil» pour de nombreux Québécois.

En mêlée de presse, il a toutefois rappelé que sans l'appui d'un géant comme l'avionneur européen, il n'y avait d'autres options pour Bombardier.

«L'alternative aurait été d'abandonner le programme, a dit M. Couillard. Il n'y avait pas de futur réaliste pour Bombardier de pouvoir vendre ses avions seuls sur le marché international. Il fallait passer par là (avec Airbus).»

Pour le professeur Karl Moore, du département de gestion de l'Université McGill, la nouvelle appellation de la C Series est un signal clair que l'avion n'est pas orphelin et qu'il est appuyé par un partenaire aux reins solides.

Au cours d'un entretien téléphonique, il a estimé que toute l'industrie aérienne était désormais au courant que le programme a plusieurs années devant lui.

«Autrement, il y aurait eu beaucoup plus de nuages sombres dans le ciel si Bombardier n'avait pas eu de partenaire», a dit M. Moore.

Concurrence à venir

L'officialisation du partenariat entre Bombardier et Airbus survient alors que Boeing et Embraer ont fait part de leur intention de former une coentreprise dans le secteur des avions commerciaux, qui sera contrôlée par le géant américain.

Cette alliance viendra notamment concurrencer plus férocement la C Series ainsi que les autres appareils régionaux comme le Q400 et les CRJ construits par l'avionneur québécois.

La prise de contrôle de la C Series prévoit la construction d'une chaîne d'assemblage américaine aux installations d'Airbus situées à Mobile, en Alabama. La construction devrait être terminée en 2019 et les premières livraisons devraient suivre l'année suivante.

Le Québec en «deuil»

Le Québec vit un «petit deuil» avec la reprise mardi par Airbus de la famille de monocouloirs C Series développée par Bombardier, a déclaré le premier ministre du Québec, Philippe Couillard.

«Ca nous fait tous quelque chose. Toute cette histoire cause chez nous un petit deuil», a réagi M. Couillard, lors d'un point de presse dans son fief du Lac Saint-Jean.

Son gouvernement avait injecté fin 2015 un milliard de dollars américains dans Bombardier pour sauver la C Series en échange d'une participation de 49,5% dans la filiale dédiée au nouvel appareil.

Cela n'avait toutefois pas suffi et Airbus et Bombardier avaient annoncé leur rapprochement en octobre dernier, permettant au programme C Series en difficulté de s'appuyer sur la force commerciale d'Airbus, et son réseau dans le monde, pour décoller sur le plan commercial.

«Il n'y avait pas d'alternative», a relativisé M. Couillard, estimant qu'«il n'y avait pas de futur réaliste pour que Bombardier vende seul ces avions sur le marché international des compagnies aériennes, avec des géants comme Airbus et Boeing et les groupes chinois».

«L'important pour nous c'est de conserver l'excellence du secteur aéronautique de Montréal, les emplois, l'activité à Mirabel», a souligné le premier ministre québécois à propos des 2000 emplois générés par la ligne d'assemblage du moyen-courrier basée dans les installations de Bombardier à Mirabel, au nord de la capitale économique du Québec.

En tout, la filière industrielle aéronautique du Québec est forte de 40 000 salariés.

«La réalité, c'est que sans ce géant (Airbus, NDLR), il était impossible de percer le marché dans le monde entier», a insisté Philippe Couillard, se félicitant que le programme d'assemblage des A220 soit maintenu au Québec. Une seconde ligne d'assemblage sera toutefois installée à Mobile dans le sud des États-Unis, afin de servir l'important marché américain.

En plus de l'aide du Québec, Bombardier avait reçu en février 2017 un prêt de 124 millions de dollars canadiens (81 millions d'euros) du gouvernement fédéral canadien, sous la forme d'une avance remboursable devant permettre de finaliser «la mise au point des appareils de la C Series».

À ce jour, 402 exemplaires ont été commandés et 38 appareils livrés à trois opérateurs.

Les principales dates du rapprochement entre Bombardier et Airbus

Octobre 2015: Des discussions entre Bombardier et Airbus entourant la prise d'une participation majoritaire du géant européen dans la C Series sont éventées. À la suite des fuites dans les médias, l'avionneur de Toulouse met fin aux discussions.

16 octobre 2017: Un partenariat est annoncé entre les deux entreprises. Sans verser un sou, Airbus deviendra l'actionnaire majoritaire, à 50,01 pour cent, du programme de la C Series.

2 mai: Airbus annonce que c'est son chef de la gestion de la performance des avions commerciaux, Philippe Balducchi, qui sera aux commandes du programme. Airbus et Bombardier compteront chacun six membres au sein de l'équipe de direction, mais la gestion, les ventes et le marketing, notamment, seront confiés à des employés du géant européen.

8 juin: Les deux avionneurs annoncent que leur alliance a obtenu toutes les approbations nécessaires et qu'elle sera scellée plus tôt que prévu, soit le 1er juillet.

1er juillet: Comme prévu, Airbus prend les commandes de la C Series. La part de Bombardier passe à environ 33,76 pour cent. Celle du gouvernement québécois - qui a injecté 1 milliard US en 2015 - fond à quelque 16,24 pour cent.

3 juillet: Le passage de l'avion de Bombardier dans le giron d'Airbus est souligné à Mirabel dans le cadre d'une cérémonie à laquelle prennent part les dirigeants des deux avionneurs. Le grand patron du géant européen, Tom Enders, suggère qu'un changement de nom de la C Series est imminent.

10 juillet: Airbus rebaptise le programme de la C Series.