Les deux plus grands transporteurs ferroviaires du Canada espèrent que le dégel printanier les aidera à récupérer d'un hiver de retards et de plaintes attribuables à une combinaison de conditions hivernales brutales et de demande plus élevée que prévu - une situation qui a refroidi les relations avec leurs clients.

La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et le Canadien Pacifique (CP) ont été fortement critiqués pour leurs retards de livraison de l'hiver, lesquels ont entraîné une accumulation des livraisons de céréales. Les deux entreprises ont essentiellement évoqué les températures plus froides qu'à l'habitude, qui peuvent engendrer un certain nombre de problèmes - des aiguillages défectueux aux rails glacés - et forcent les transporteurs à ralentir et à réduire le nombre de wagons de marchandises de leurs trains pour privilégier la sécurité.

Mais certains clients jettent plutôt le blâme sur une stratégie de réduction de coûts et sur «l'exploitation ferroviaire précise» qui causeraient une diminution de la capacité et de la flexibilité pour faire face aux changements imprévus dans la demande. Ces clients pointent du doigt les réductions d'équipages, de locomotives et de wagons, qui permettent de gonfler les profits pour les chemins de fer.

«Le problème, c'est que l'exploitation ferroviaire précise n'est pas très précise», a observé le directeur général de la Western Grain Elevators Association, Wade Sobkowich, lors d'un entretien.

Mise au point il y a 20 ans par feu Hunter Harrison, un dirigeant de chemins de fer respecté, l'exploitation ferroviaire précise consiste à améliorer l'efficience en déplaçant les trains en fonction d'un horaire qui optimise l'utilisation des wagons et des locomotives, plutôt qu'en attendant que les trains soient pleins.

M. Sobkowich a indiqué que cet effort pour améliorer l'efficience et les rendements aux actionnaires des chemins de fer avait retiré beaucoup de capacité excédentaire et rendu le système plus vulnérable aux interruptions.

C'est une accusation que le président intérimaire de l'Association des chemins de fer du Canada, Gérald Gauthier, rejette, en expliquant que les chemins de fer sont tenus de transporter ce que leurs clients leur demandent, et de s'ajuster à la hausse ou à la baisse pour respecter cette obligation.

«La raison d'être de l'exploitation ferroviaire précise est de créer de l'efficience et d'améliorer la capacité grâce à la meilleure fluidité du réseau», a-t-il précisé en entrevue.

Le chef de l'exploitation du CN, Mike Cory, a indiqué à un comité parlementaire sur l'agriculture qui s'est penché sur le problème des retards que son entreprise, qui a connu cet hiver de plus grandes difficultés que son rival le CP, n'avait pas assez de locomotives ou de personnel pour répondre à la hausse inattendue du volume. Le CN s'attendait à ce que la croissance de la demande soit de trois pour cent en 2017, mais elle a plutôt atteint 11 pour cent, et grimpé jusqu'à 25 pour cent dans certaines régions.

«Après six trimestres consécutifs de croissance stable ou négative, nous avons sous-estimé le niveau de croissance qui allait se présenter à nous.»

Autres matières premières

Tant le CP que le CN ont supprimé des emplois et réduit leur nombre de locomotives avec la baisse des envois en wagon complet, particulièrement en 2015 et en 2016. Mais une récolte de céréales particulièrement généreuse de près de 71 millions de tonnes l'an dernier - soit près de 10 % plus que prévu - aurait besoin d'être livrée bientôt.

Entre-temps, la demande pour les autres matières premières a aussi grimpé. Le CP a indiqué que ses envois en wagons complets de pétrole brut pour les deux premiers mois de l'année avaient augmenté de 59 % par rapport à l'an dernier. En plus, une vague inattendue de produits de conteneurs intermodaux a commencé à arriver par navires, et les volumes de sable de fractionnement et de potasse ont progressé.

Les fortes précipitations de neige, les avalanches et une hausse de 78 % du nombre de jours où la température a descendu sous les -25 degrés Celsius ont forcé les transporteurs ferroviaires à réduire la vitesse et la longueur des trains.

Les problèmes de service semblent avoir coûté à Luc Jobin son emploi à la tête du CN, plus tôt en mars. Il a été remplacé par Jean-Jacques Ruel. Le transporteur s'est en outre excusé pour les retards et a indiqué qu'il réserverait une partie de l'argent de son budget de dépenses en immobilisations à la construction de doubles voies et d'autres mesures pour améliorer l'efficacité.

De son côté, le CP a indiqué qu'il commençait à se remettre de l'hiver et ajoutait du personnel et des locomotives à ses activités.

Mais pour les agriculteurs, qui perdent de l'argent en raison des retards, les excuses évoquant les conditions météorologiques ne sont pas d'un grand réconfort.

«C'est assez scandaleux que nous parlions de cela alors que nous avons eu une grosse crise semblable il n'y a que quatre ans», a observé Todd Lewis, président de l'Association des producteurs agricoles de la Saskatchewan.

En 2014, des tensions similaires étaient apparues entre les agriculteurs et le duopole ferroviaire lorsque les chemins de fer ont offert une défense semblable liée aux conditions météorologiques.

Le gouvernement conservateur de l'époque avait alors ordonné aux transporteurs de livrer un total combiné d'un million de tonnes de céréales par semaine au cours du printemps, sans quoi ils s'exposaient à des amendes de 100 000 $ par jour.

Le gouvernement libéral actuel, même s'il fait pression sur les transporteurs, n'est pas encore allé aussi loin. Il a demandé au Sénat d'adopter un important projet de loi qui imposerait des pénalités financières aux transporteurs ferroviaires si leurs livraisons étaient retardées, mais la chambre haute ne s'est toujours pas prononcée dans ce dossier.

Ultimement, la capacité des transporteurs ferroviaires de répondre à la demande vient de leurs décisions d'investissement, a observé Brendan Mashall, vice-président de l'Association minière du Canada.

«C'est un problème systémique et à moins que nous puissions nous attaquer à la nature du problème, il n'y a pas de raison de croire qu'il ne va pas perdurer.»