La guerre que se livrent Bombardier et Boeing risque de se poursuivre indépendamment du jugement très attendu qui doit être rendu vendredi par la Commission internationale du commerce des États-Unis (USITC).

Dans un document déposé mercredi aux États-Unis, l'avionneur québécois affirme qu'en cas de revers, Boeing reviendrait à la charge avec une autre plainte lorsqu'une nouvelle commande de C Series serait annoncée aux États-Unis.

«La menace d'une nouvelle plainte - ce que Boeing n'a pas réfuté - rend essentiel le partenariat avec Airbus visant la construction d'une chaîne d'assemblage américaine peu importe le verdict», explique Bombardier dans son document de 20 pages.

L'entreprise fait valoir que cet engagement est l'unique façon de rassurer Delta - le plus important client de la C Series - et d'autres clients potentiels qu'ils ne feront pas face à des tarifs douaniers importants.

Par ailleurs, au sein du gouvernement Trudeau, on serait peu surpris de voir la USITC se ranger derrière Boeing, a expliqué une source gouvernementale à La Presse canadienne.

«Notre sentiment (...) est que nous sommes toujours dans une position désavantageuse lorsque nous nous retrouvons devant le département du Commerce et la USITC», a expliqué cette personne, qui n'était pas autorisée à parler publiquement.

D'autres observateurs s'attendent aussi à ce que la USITC décide d'imposer les droits compensatoires et antidumping finaux de 292,21 pour cent réclamés par le département du Commerce pour les appareils C Series exportés au sud de la frontière.

Pour que Bombardier puisse avoir gain de cause, trois des quatre commissaires devront se ranger derrière elle. En cas d'égalité, Boeing obtiendrait une victoire.

Dans sa plainte déposée au printemps, l'avionneur de Chicago alléguait avoir subi un préjudice en raison des subventions indues octroyées à son rival québécois qui lui ont permis d'offrir des prix jugés dérisoires à Delta Air Lines pour décrocher une commande 75 CS100 en 2016.

Advenant une défaite de Bombardier, Lawrence Herman, un avocat de Toronto spécialisé en commerce, s'attend à ce que l'entreprise et le gouvernement canadien fassent appel de la décision auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en évoquant le chapitre 19.

«Je suis certain qu'il s'agira des deux voies qui seront utilisées par le gouvernement fédéral», a-t-il expliqué au cours d'une entrevue téléphonique.

Pour sa part, l'avocat torontois Mark Warner, de Maaw Law, a estimé que Bombardier avait présenté des arguments solides auprès des autorités américaines dans le cadre de sa défense, ajoutant toutefois que cela ne sera vraisemblablement pas suffisant.

De plus, estime-t-il, la plainte récemment déposée par le Canada à l'OMC pour dénoncer de façon générale les pratiques commerciales des États-Unis viendra jeter de l'huile sur le feu.

«À mon avis, cela n'était pas une bonne décision (du gouvernement fédéral), a expliqué M. Warner. J'ai l'impression que cela viendra encore donner une tournure politique au litige (impliquant Bombardier et Boeing).»

L'analyste Cameron Doerksen, de la Financière Banque Nationale, a estimé, dans un rapport, que les preuves démontrent qu'il n'y a pas de préjudice à l'endroit de Boeing, mais que malgré tout, les chances ne sont pas en faveur de Bombardier.

Une vision différente

Dans le cadre de leurs arguments finaux transmis à la USITC, les deux avionneurs brossent chacun un portrait bien différent du litige commercial qui a débuté en avril dernier.

Bombardier a insisté que les importations de C Series ne constituaient pas une menace pour la famille d'avions 737 de Boeing, ajoutant que l'avionneur américain avait délibérément exclu les avions E190-E d'Embraer de sa plainte tout en cachant ses négociations visant à acquérir le constructeur brésilien.

«Si la C Series est écartée du marché américain et que l'acquisition d'Embraer va de l'avant, Boeing sera le bénéficiaire des commandes pour la famille des E-Jets construits au Brésil», est-il écrit.

Pour sa part, Boeing ne fait aucune mention d'Embraer dans son document et affirme que la cause actuelle déterminera l'avenir de l'industrie aéronautique américaine.

Les deux avionneurs ont également des opinions opposées à propos du projet de chaîne d'assemblage américaine que souhaite réaliser Bombardier en Alabama aux installations d'Airbus dans le cadre de son partenariat avec la société européenne dans la C Series.

Pour sa part, le gouvernement Trudeau a fait valoir à la USITC qu'elle ne peut se rendre aux arguments de Boeing puisqu'il n'y a aucune preuve que des C Series seront importés aux États-Unis en raison de la chaîne d'assemblage en Alabama.

Ottawa demande également à l'organisme américain de ne pas prendre de décision en ce qui a trait aux pièces en provenance du Canada puisque le département du Commerce ne s'est pas prononcé sur cet aspect.

Delta devrait recevoir ses premiers CS100 au printemps, mais le transporteur a déjà indiqué qu'il allait attendre que la chaîne d'assemblage en Alabama soit terminée.