Des fournisseurs de matériel roulant sentent que l'étau se resserre sur eux en raison de la faiblesse des exigences en matière de contenu local dans certains appels d'offres au pays alors que l'inverse se produit aux États-Unis.

Depuis que l'Agence métropolitaine de transport (AMT) a choisi de commander 24 nouvelles voitures de trains à la China Railway Rolling Stock Corporation (CRRC) plutôt qu'à Bombardier, certains joueurs sont inquiets.

Ceux-ci se disent préoccupés que l'agence ait abaissé de 25 à 15 % l'exigence de contenu canadien et que cette clause ne figure pas dans les appels d'offres du Réseau électrique métropolitain (REM) de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

« Si, par exemple, on ne demande que 15 % de contenu canadien, cela devient difficile de justifier la présence d'une usine au Canada », affirme le président de Technologies Lanka, Paul Cartier.

Cette filiale de la société allemande Knorr-Bremse, spécialisée dans les systèmes électroniques destinés aux wagons et locomotives, compte quelque 85 employés à son usine de La Pocatière, dans le Bas-Saint-Laurent, et environ 325 à ses installations américaines de l'État du Maryland.

Aux États-Unis, les exigences en matière de contenu local pour le transport public passeront de 60 à 70 % d'ici 2020, ce qui inquiète ce fournisseur de Bombardier, qui fait affaire avec la multinationale des deux côtés de la frontière.

« On commence réellement à se poser la question à savoir si on devrait tout transférer aux États-Unis, dit M. Chartier. Même en délocalisant, nous n'aurions aucun problème à répondre aux exigences minimales canadiennes lorsqu'il y en a. »

Il y a quelques années, dans l'appel d'offres pour le remplacement des voitures du métro de Montréal, Québec avait imposé aux constructeurs une exigence minimale de 60 % de contenu canadien. Un consortium formé de Bombardier et du français Alstom avait alors décroché le contrat de 1,3 milliard de dollars en 2010.

Dans son deuxième appel d'offres - sur invitation - l'AMT a diminué l'exigence de contenu canadien pour « stimuler davantage la concurrence », affirme sa porte-parole, Fanie Clément St-Pierre.

« C'est pour cette raison que le pourcentage a été revu à la baisse, a-t-elle expliqué au cours d'un entretien téléphonique. Pour ce type de contrat, il n'y a pas d'exigence en ce qui a trait à un minimum de contenu local. »

Dans sa soumission, Bombardier proposait d'inclure 67 % de contenu local et de construire les voitures à ses installations ontariennes de Thunder Bay, où se trouve la chaîne de montage.

Pour le président de Graphie, Bruno Morin, les cas de l'AMT et du REM sont des exemples qui font en sorte que l'expertise qui s'est bâtie dans le secteur ferroviaire au cours des dernières décennies est en train de s'effriter.

« Nous sommes en train de perdre notre expertise », déplore le dirigeant de cette entreprise d'une vingtaine d'employés de La Pocatière spécialisée dans la fabrication de produits industriels d'affichage, d'identification et de signalisation.

De son côté, CDPQ Infra, la filiale de la Caisse responsable de mener à bien le projet du REM, a rappelé par courriel que tous les consortiums qualifiés incluent « des entreprises québécoises et canadiennes ».

M. Morin n'a pas l'intention d'ouvrir une usine au sud de la frontière, une décision qui, à son avis, l'obligerait à mettre la clé sous la porte au Québec en raison des exigences américaines.

Au Québec, les achats subventionnés d'autobus exigent qu'au moins 20 % des composantes proviennent de manufacturiers canadiens. En Ontario, la politique prévoit un contenu canadien minimum de 25 % pour toute acquisition de véhicule de transport en commun.

Manufacturiers et Exportateurs du Canada, l'association qui représente ces fabricants de matériel roulant, partage leurs inquiétudes, alors que la clause de type Buy American devient de plus en plus restrictive aux États-Unis.

« [À] 15 % à l'AMT, c'est la première fois que je vois cela, s'inquiète son directeur des politiques pour la compétitivité, Martin Lavoie. L'écart qui se creuse entre le contenu américain et le contenu canadien figure parmi nos plus grands enjeux. »

Celui-ci déplore que les gouvernements se tournent vers les dépenses en infrastructures pour stimuler l'économie, mais que les exigences minimes de contenu local freinent les retombées « à aller chercher » avec les pièces fabriquées dans des usines établies au pays.

Pour Patrick Leblond, professeur à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa, l'environnement actuel est « altéré » pour les fournisseurs québécois et canadiens.

« En Chine, jusqu'à quel point nos fournisseurs ont accès au marché ? À ma connaissance, très peu. Très souvent, il faut être associé avec un partenaire local pour pouvoir y mettre le pied », dit-il.

Pour le moment, MM. Cartier et Morin estiment que leurs entreprises sont en mesure de tirer leur épingle du jeu grâce au « savoir-faire » en matière d'ingénierie, par exemple. Ils craignent toutefois que la situation ne change une fois que les exigences en matière de contenu local pour le transport public aux États-Unis auront atteint 70 %.