Uber attire encore une fois l'attention pour les mauvaises raisons avec la diffusion d'une vidéo dans laquelle son PDG, Travis Kalanick, se dispute avec l'un des chauffeurs de l'entreprise. Pas de doute : le service de transport connaît un dur début d'année.

La scène, captée au début de février à San Francisco par une caméra placée sur le pare-brise, est pour le moins disgracieuse : le grand patron d'Uber, Travis Kalanick, sermonne l'un de ses chauffeurs qui a osé le critiquer.

« Certaines personnes n'aiment pas prendre la responsabilité pour leurs propres merdes. Ils blâment quelqu'un d'autre pour tout ce qui leur arrive. Bonne chance ! » C'est ce que lance M. Kalanick à Fawzi Kamel, un chauffeur du service haut de gamme UberBlack qui vient de l'accuser de le pousser à la ruine en réduisant les tarifs facturés aux utilisateurs.

Publiée par Bloomberg mardi, la vidéo a contraint Travis Kalanick, 40 ans, à se confondre en excuses dans une note publiée sur le site web d'Uber. « C'est peu dire que j'ai extrêmement honte, a-t-il écrit. [...] Il est évident que cette vidéo reflète ce que je suis. Les critiques que nous avons reçues sont un rappel brutal que je dois changer fondamentalement comme leader et devenir adulte. C'est la première fois que je suis prêt à admettre que j'ai besoin d'aide sur le plan du leadership et j'ai l'intention d'obtenir cette aide. »

L'acte de contrition n'a rien fait pour apaiser M. Kamel. « Chaque saison, Uber ne cesse de réduire ses prix pour recruter de nouveaux utilisateurs et satisfaire sa croissance. Cela n'a pas d'importance pour eux que le chauffeur ne gagne même pas le salaire minimum », a-t-il tonné hier à NBC News.

Démarche sincère?

« Pour moi, c'est plus une question de savoir-vivre, de respect de l'autre et du civisme que de leadership », analyse Catherine Privé, PDG de la firme Alia Conseil, spécialisée en développement organisationnel.

Cela dit, Mme Privé voit d'un bon oeil la prise de conscience de M. Kalanick. « Quand on fait du coaching, il faut que la personne le veuille. Est-ce qu'il a dit ça simplement pour passer à autre chose ou est-ce qu'il va vraiment s'investir dans une démarche de développement ? On verra bien. »

L'entrepreneur internet américain Jason Calacanis, qui est actionnaire d'Uber, a déploré l'altercation entre Travis Kalanick et son chauffeur. Il a toutefois tenu à défendre le PDG d'Uber en soulignant que l'entreprise a dû défier les règles pour gagner le droit d'exister. 

« Si vous passez tout votre temps à vous battre, parfois vous allez acquérir une mentalité de combattant. »

Catherine Privé reconnaît que par définition, les entrepreneurs ne font pas dans la dentelle. « Les leaders ont souvent des comportements forts et affirmés, alors dans des situations négatives, c'est parfois mal canalisé », note-t-elle en se demandant si M. Kalanick ne devrait pas confier la direction générale d'Uber à un gestionnaire professionnel.

« L'entrepreneur n'aime pas voir ce qui ne marche pas alors que les gestionnaires, eux, sont là pour faire la résolution de problèmes », résume Mme Privé.

L'incident survenu dans la voiture Uber de San Francisco a cristallisé l'un des principaux défis auxquels est actuellement confrontée l'entreprise californienne, dont la valeur est estimée à plus de 68 milliards US : les tensions grandissantes entre ses dirigeants et ses dizaines de milliers de chauffeurs. Ceux-ci se disent sous-payés, mais dans la vidéo, Travis Kalanick rétorque que c'est en baissant ses tarifs qu'Uber a réussi à résister face à des concurrents comme Lyft.

Active dans plus de 500 villes du monde, contre environ 200 pour Lyft, Uber domine le marché du transport à bord de voitures de particuliers. L'entreprise demeure toutefois lourdement déficitaire : selon Bloomberg, elle a perdu plus de 2,2 milliards US sur des revenus de 3,8 milliards US au cours des neuf premiers mois de 2016.

D'autres tuiles pour Uber

Sexisme

Le 19 février, l'ingénieure Susan Fowler, qui a travaillé pendant un an chez Uber à San Francisco, a publié un texte sur son blogue pour dénoncer des épisodes de sexisme et de harcèlement sexuel au sein de l'entreprise. Trois jours plus tard, le New York Times a renchéri avec un article décrivant une « culture de travail débridée ». Travis Kalanick a réagi en organisant une rencontre avec une centaine d'ingénieures d'Uber et en demandant une enquête à Eric Holder, ancien procureur général des États-Unis.

Décret Trump

À la fin de janvier, plus de 200 000 personnes ont désinstallé leur application Uber, reprochant à l'entreprise de nuire à une grève de chauffeurs de taxi new-yorkais visant à dénoncer le décret antiréfugiés du président Donald Trump. Uber avait abaissé ses tarifs (en suspendant sa « tarification dynamique »), donnant l'impression de vouloir profiter de la situation. Au début de février, Travis Kalanick a quitté le conseil consultatif sur l'économie de M. Trump, invoquant le décret.

Secrets commerciaux

La semaine dernière, Google a intenté une poursuite contre Uber, accusant l'un des employés de sa filiale Otto, spécialisée dans les véhicules autonomes, d'avoir volé des secrets commerciaux en emportant avec lui 14 000 fichiers appartenant à sa propre filiale active dans le domaine, Waymo. Après avoir travaillé chez Google pendant près de neuf ans, Anthony Levandowski a fondé Otto au début de 2016 et a vendu la firme à Uber en août pour 680 millions US.