La firme Taxelco d'Alexandre Taillefer vient à peine de mettre la main sur Taxi Diamond qu'elle a déjà des visées sur des entreprises semblables au Canada anglais et même aux États-Unis.

« Nous avons actuellement des discussions avec d'autres compagnies à travers le Canada, a déclaré M. Taillefer hier en conférence de presse. Vous ne devriez pas être surpris si nous annonçons quelque chose d'ici quelques mois. »

L'ancien « dragon » croit pouvoir exporter le modèle d'affaires qu'il a mis en place pour permettre à l'industrie du taxi de contrer le géant américain Uber. La clé du succès, selon lui ? Des voitures propres, une application mobile bien conçue et un service courtois assuré par des chauffeurs salariés dont l'horaire de travail est raisonnable.

Fondée en 1922, Taxi Diamond est de loin la plus importante entreprise du secteur à Montréal. Elle donne à Taxelco un accès à un parc de plus de 1100 voitures en plein coeur de Montréal. Avec les 500 voitures de Taxi Hochelaga, acquise l'an dernier, et la centaine de Téo, un service tout-électrique lancé il y a huit mois, Taxelco peut désormais compter sur plus de 1700 véhicules, soit près du 40 % du marché montréalais.

Taxelco a dévoilé hier le look qu'arboreront progressivement les voitures des entreprises acquises, inspiré du blanc et vert des véhicules Téo : blanc et noir pour Diamond, blanc et turquoise pour Hochelaga.

« Certains vont nous accuser de vouloir créer un monopole dans l'industrie du taxi à Montréal », a affirmé Alexandre Taillefer.

« Mais je vous l'assure : on ne fera plus aucune acquisition dans le marché du taxi montréalais parce qu'avec 40 %, on a la densité requise pour desservir tous les Montréalais en 5 minutes ou moins. »

D'autonomes à salariés?

Pour Taxelco, le défi est maintenant d'intégrer Diamond et Hochelaga, dont les chauffeurs sont des travailleurs autonomes, à Téo, qui ne compte que des chauffeurs salariés. Il faudra d'abord convaincre les propriétaires de voitures de les repeindre à leurs frais. Mais surtout, l'entreprise ambitionne de faire « migrer » la moitié de tous ses chauffeurs à Téo d'ici 2019. « À 110 voitures, on va avoir de la misère à rentabiliser Téo », a reconnu M. Taillefer.

Dominique Roy, qui demeurera en poste comme PDG de Diamond, doute toutefois du réalisme de cet objectif. « C'est loin d'être certain que les chauffeurs vont vouloir devenir salariés, a-t-il confié à La Presse. Il faut les écouter. La plupart préfèrent être travailleurs autonomes, et c'est ce qui va demeurer. »

La vive concurrence que livre Uber aux taxis traditionnels pourrait toutefois persuader des chauffeurs d'opter pour le modèle Téo, puisque ce sont eux qui subissent les plus fortes chutes de revenus. « Ça nous a quand même un peu touchés parce que depuis quatre ans, on n'a pas pu augmenter les cotisations [facturées aux chauffeurs pour les services de répartition offerts par Diamond] », a précisé M. Roy.

Une chose est sûre, Diamond et Hochelaga bénéficieront de l'important développement technologique réalisé pour Téo.

« Attendez-vous à ce que les applications se ressemblent énormément d'une marque à l'autre. Si le délai d'attente est trop important avec Téo, on pourrait à l'avenir vous suggérer un taxi qui fait partie de Taxelco », dit Alexandre Taillefer.

La valeur de la transaction n'a pas été divulguée. Aussi significative soit-elle dans le contexte montréalais, elle n'a pas à être avalisée par le Bureau de la concurrence en raison du chiffre d'affaires relativement modeste de Diamond, qui est de moins de 10 millions par année, a indiqué M. Taillefer.

L'industrie a dans l'ensemble bien réagi à l'annonce. « C'est une bonne nouvelle parce qu'un tel investissement dans l'industrie légale, ça encourage le maintien de la valeur des permis de taxi », a ainsi commenté Sabrina Ohayon, directrice générale de Taxi Coop Montréal.

Propriété de la société d'investissement XPND Capital mise sur pied par Alexandre Taillefer, Taxelco entend injecter 200 millions dans l'industrie du taxi. L'entreprise prévoit être présente à Québec d'ici la fin de l'année.

Qu'est-ce que XPND?

Ancien de Nurun et de Stingray, Alexandre Taillefer a fondé la société d'investissement XPND Capital en 2011. Des poids lourds comme Stephen Bronfman et la Caisse de dépôt et placement y ont investi des millions. Jusqu'ici, XPND a mis sur pied Taxelco en plus d'investir dans Autobus Lion, Communications Voir et gsmprjct°.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Le nouveau design des voitures de Téo Taxi, Taxi Hochelaga et Taxi Diamond.

«Ce qui les a convaincu, c'est notre modèle»

La volonté de Taxelco de bouleverser l'industrie du taxi a fait un bond important hier avec l'acquisition de Taxi Diamond. Alexandre Taillefer répond aux questions de La Presse.

Est-ce que vous avez courtisé longtemps les propriétaires de Taxi Diamond ?

Oui, parce qu'ils sont attachés à leur entreprise, et c'est normal. Quand on a finalement conclu la transaction, [le copropriétaire] Philip Friedman avait une photo de son père, qui a été chauffeur de taxi après avoir immigré d'Europe de l'Est. Ce qui les a convaincus de se joindre à nous, c'est notre modèle qui respecte l'industrie. Il s'est écoulé deux ans depuis ma première poignée de main avec M. Friedman. Avec ma femme, ç'a été moins long que ça !

Comment allez-vous convaincre les chauffeurs de devenir salariés ?

C'est certain qu'il va y avoir des mécontents chez Hochelaga et chez Diamond. Ça va entraîner de l'attrition et on va être en mesure de faire migrer d'autres chauffeurs et de nouveaux chauffeurs vers le modèle Téo de façon à en arriver à une répartition à 50/50 entre travailleurs autonomes et salariés.

Quel est l'avantage pour un chauffeur de devenir salarié ?

Notre objectif est de diminuer le nombre d'heures que les chauffeurs doivent travailler pour faire un revenu décent. Mais on n'a pas l'intention de dire à des chauffeurs de Diamond : « Tu t'en vas chez Téo. » Il faut que ça se fasse dans le respect. Ce qu'on crée, c'est un conduit qui va permettre aux chauffeurs de faire la transition sans heurt. Maintenant qu'on fait tous partie de la même entreprise, on pense que la mobilité des chauffeurs va être plus grande entre les marques. Le modèle Téo enlève une partie du stress aux chauffeurs. Le problème avec l'industrie du taxi aujourd'hui, c'est que tu loues ton permis à la semaine. Les chauffeurs travaillent comme des fous pour payer la location de la voiture - 500 $ par semaine environ - puis l'essence - 150 $ par semaine. En général, ils n'atteignent le seuil de rentabilité que le mercredi soir ou le jeudi matin. On veut leur donner plus de flexibilité en leur permettant de louer pour de plus petits blocs d'heures.

Ne serait-il pas plus avantageux pour Taxelco d'acheter des permis de taxi plutôt que de les louer ?

Non, parce que ça nous imposerait d'importants investissements en immobilisations. On paye environ 8 % de rendement sur chaque permis qu'on loue, ce qui est excellent. Pour un permis qui vaut 150 000 $, on paie donc environ 12 000 $ en frais annuels de location. Les propriétaires de permis nous confient la responsabilité de gérer les permis et les voitures. Je pense que c'est gagnant-gagnant.

Comment a évolué la valeur des permis de taxi depuis l'arrivée d'Uber ?

Les permis ont déjà valu jusqu'à 225 000 $ chacun. Aujourd'hui, c'est de 130 000 à 150 000 $. Mais à Toronto, la baisse a été encore plus drastique : les permis valent moins de 80 000 $ là-bas. Nous sommes convaincus que nos solutions innovantes à l'intérieur des règles de l'industrie ont permis de maintenir la valeur des permis de taxi. Ce ne sont pas tous les chauffeurs qui reconnaissent ça, mais il y en a plusieurs qui nous disent : « Une chance que vous êtes là parce que sinon, ç'aurait pu être la descente aux enfers. » Si on n'avait pas joué en respectant les règles, je pense qu'on aurait pu se retrouver dans une situation où Uber se serait fait ouvrir grand la porte.

Est-ce que votre modèle d'affaires tiendra toujours la route si jamais Uber est légalisé ?

On est convaincus que le gouvernement va imposer à Uber le paiement des taxes de vente et d'un droit pour chaque course. Si c'est le cas, on sera à armes égales avec eux. On va ensuite voir si Uber va tolérer ça. À plusieurs endroits, Uber a décidé de se retirer quand les autorités ont encadré plus étroitement son fonctionnement. Nous, on investit dans les voitures, dans la vraie prestation de service, ce qu'Uber ne fait pas. On pense qu'on a un grand avantage concurrentiel sur eux. Mais notre modèle d'affaires ne repose pas sur la disparition d'Uber. On les attend.