L'annonce vraisemblablement imminente d'une grosse commande pour la CSeries pourrait agir comme un baume sur le moral des actionnaires de Bombardier et éclaircir les perspectives d'avenir de l'avionneur.

À quelques jours du rendez-vous annuel de vendredi, à Mirabel, les actionnaires espèrent voir le transporteur américain Delta s'engager, selon les rumeurs, pour au moins 75 appareils, un achat qui serait assorti de 50 options.

Une telle commande procurerait non seulement l'élan tant attendu au programme de la CSeries, mais reléguerait au second rang des dossiers comme les négociations avec le gouvernement Trudeau, les actions multivotantes détenues par la famille Beaudoin-Bombardier ainsi que la performance financière de l'entreprise.

« Delta figure parmi les transporteurs aériens les plus connus, souligne le professeur Karl Moore du département de gestion de l'Université McGill. Si l'entreprise estime que la CSeries est un bon avion, les autres acheteurs potentiels vont également devoir y songer. »

Jusqu'à présent, Bombardier a reçu 250 engagements fermes pour son nouvel avion commercial et pourrait surpasser son objectif de 300 d'ici ses premières livraisons plus tard cette année, advenant que Delta arrête son choix sur l'appareil.

Au prix courant, la facture d'une commande ferme pour 75 avions est estimée à plus de 6 milliards de dollars US.

Toutefois, pour convaincre le transporteur américain, Bombardier pourrait devoir offrir des rabais atteignant 50 %, selon Kevin Chiang, de CIBC Marchés des capitaux, qui ne semble toutefois pas s'en formaliser.

« Il est plus important à ce stade-ci pour Bombardier d'ajouter un client de marque afin de changer les perceptions à l'égard de la CSeries », écrit l'analyste dans un rapport.

À son avis, une telle commande pourrait également inciter d'autres importants transporteurs comme British Airways et JetBlue à choisir le nouvel avion de Bombardier pour renouveler une partie de leur flotte.

Les rumeurs des dernières semaines ont redonné de la vigueur à l'action de Bombardier, qui a progressé de plus de 27 % depuis le début de l'année à la Bourse de Toronto, où elle a terminé la semaine à 1,71 $.

À l'inverse, l'absence d'une nouvelle d'envergure pourrait compliquer la tâche à la direction du constructeur d'avions et de trains lorsque viendra le temps de s'adresser aux actionnaires.

« Sans annonce, je pense que ça va être une gymnastique médiatique compliquée, croit le professeur Mehran Ebrahimi, directeur du groupe d'études en management des entreprises en aéronautique à l'UQAM. La direction devra alors encore une fois justifier ses récentes décisions en rappelant par exemple qu'elle a réduit ses coûts. »

Par ailleurs, Walter Spracklin, de RBC Marchés des capitaux, n'écarte pas la possibilité qu'Air Canada profite de la divulgation de ses résultats trimestriels ce vendredi pour confirmer que sa lettre d'intention pour 45 appareils CS300 deviendra une commande ferme.

Toutefois, les actionnaires de Bombardier resteront vraisemblablement sur leur appétit en ce qui a trait aux négociations entourant un potentiel investissement de la part du gouvernement Trudeau.

Selon Bloomberg, Bombardier aurait refusé la première proposition du fédéral, principalement en raison du différend entre les deux parties entourant les actions à droits de vote multiple de la famille Beaudoin-Bombardier, ce qui lui permet de contrôler 53,23 % du total des votes.

« Je ne vois pas la famille céder sur ce point, estime M. Moore. Ce n'est pas négociable pour eux à mon avis. Puisque les négociations continuent, ça sera difficile pour l'entreprise de dévoiler des détails. »

Compte tenu de l'ampleur qu'a pris le débat depuis les dernières semaines, il ne serait pas surprenant de voir des actionnaires questionner la direction de l'entreprise ainsi que les membres de la famille Beaudoin-Bombardier sur la pertinence des actions multivotantes, croit le spécialiste de l'Université McGill.

M. Moore rappelle néanmoins que les sociétés à catégories doubles d'actions ne présentent pas seulement des aspects négatifs.

« Sans actionnaire de contrôle, on aurait probablement mis un terme au développement de la CSeries il y a quelques années, explique-t-il. Les décisions auraient été prises en fonction des objectifs à court terme. »

Le gouvernement Couillard s'est engagé l'automne dernier à injecter 1 milliard de dollars US dans la CSeries en échange d'une participation de 49,5 % dans le programme. L'avionneur a depuis sollicité une contribution similaire de la part d'Ottawa.

Les analystes sondés par Thomson Reuters s'attendent à ce que Bombardier affiche une perte de 1 cent US par action sur un chiffre d'affaires de 3,93 milliards US au premier trimestre.

« Si Bombardier affiche une consommation de trésorerie supérieure à 1 milliard de dollars US, il pourrait y avoir une réaction négative à l'égard des actions », note M. Spracklin, de RBC Marchés des capitaux.

Son collègue chez CIBC Marchés des capitaux souligne pour sa part que 2016 est l'année où l'avionneur doit prouver que le redressement entamé sous la gouverne du président et chef de la direction Alain Bellemare est sur la bonne voie.

Reconnaissant les efforts déployés jusqu'à présent par la nouvelle direction, M. Chiang rappelle cependant que cela n'est pas encore suffisant pour dissiper l'incertitude entourant Bombardier.