Alors que la flotte de la Garde côtière est l'une des plus âgées du monde et que le besoin de la renouveler est « urgent », selon un récent rapport remis au ministre des Transports Marc Garneau, le gouvernement Trudeau doit à tout prix éviter de répéter une grave erreur du passé en se tournant vers des fournisseurs étrangers pour répondre à ses besoins en matière de patrouille des côtes canadiennes.

C'est ce qu'affirme le maire de Lévis, Gilles Lehouillier, qui implore le gouvernement fédéral de revoir sa décision d'attribuer tous les contrats pour la construction des navires de la Garde côtière canadienne aux chantiers Seaspan, de Vancouver, et Irving, d'Halifax, et d'examiner à nouveau avec soin l'offre non sollicitée que lui a présentée Chantier Davie Canada fédéral.

La ministre des Travaux publics, Judy Foote, a déjà écarté la proposition du chantier maritime de Lévis, soumise en février, de construire trois navires additionnels pour la Marine royale canadienne et la Garde côtière, soit un brise-glace et deux navires polyvalents. Chantier Davie Canada s'engage à construire ces navires dans un délai rapide et à un prix compétitif qui permettrait aux contribuables d'économiser au moins 700 millions de dollars.

Le mois dernier, la Ville de Lévis a adopté à l'unanimité une résolution exhortant le gouvernement Trudeau à revenir sur sa décision. La résolution a été acheminée aux principaux ministres du gouvernement à Québec et à Ottawa.

En entrevue avec La Presse hier, le maire de Lévis a indiqué que les capacités de production des deux autres chantiers, Seaspan et Irving, ont été surestimées, une situation qui entraîne déjà des retards et des coûts supplémentaires pour la construction des navires.

Le risque, affirme M. Lehouillier, c'est qu'ils ne seront pas en mesure de fournir à la Garde côtière les navires dont elle a besoin, en particulier un nouveau brise-glace, à temps pour remplacer sa flotte vieillissante, forçant ainsi le gouvernement fédéral à se tourner vers des fournisseurs étrangers pour remédier à cette situation alors qu'il s'est engagé à acheter des navires construits au Canada.

Le maire a rappelé à titre d'exemple que l'ancien gouvernement libéral de Jean Chrétien avait acheté en 1998 quatre sous-marins usagés du Royaume-Uni pour la somme de 750 millions qui s'étaient avérés de véritables citrons. Au bout du compte, le ministère de la Défense a dû investir plusieurs millions de dollars pour les remettre à flot et les moderniser. Ils ont été en mesure de prendre la mer en 2013 seulement.

« Il y a une stratégie navale qui favorise la construction de navires au Canada. Ce qui nous inquiète, c'est que le gouvernement attende à la dernière minute pour commencer à renouveler la flotte de la Garde côtière. Le danger, c'est qu'on soit mal pris et qu'on achète des bâtiments construits à l'étranger alors que le plus grand chantier, Chantier Davie, peut faire ce travail et a déjà été reconnu comme le meilleur en Amérique du Nord », a-t-il déclaré.

ÉGALEMENT UNE QUESTION D'EMPLOIS

M. Lehouillier a souligné que la proposition non sollicitée de Chantier Davie Canada permettrait non seulement de remplacer plus rapidement la flotte vieillissante de la Garde côtière, mais aussi de consolider 400 bons emplois à Lévis et d'en créer 1500 autres.

« Il faut agir rapidement pour qu'on ne soit pas pris à la dernière minute. On a juste à se rappeler l'épisode des sous-marins étrangers qui étaient des rafiots. On ne veut pas que cela se répète. » - Le maire de Lévis, Gilles Lehouillier

Dans un rapport imposant remis au ministre Garneau en février sur l'avenir du transport au pays, l'ancien ministre de l'Industrie David Emerson soutenait que « non seulement elle [la Garde côtière] manque de personnel, mais sa flotte est l'une des plus âgées du monde et le besoin de la renouveler est urgent [les navires ont en moyenne près de 34 ans] ».

Il soulignait aussi que le brise-glace Louis-Saint-Laurent, actuellement en service, a été construit il y a 50 ans et devait être mis au rancart dans les années 90. Un brise-glace est essentiel pour assurer le transport maritime dans les eaux glacées en hiver, entre autres.

Le député conservateur de Bellechasse-Les Etchemins-Lévis, Steven Blaney, a aussi pressé hier la ministre Foote de revenir sur sa décision.

« Le chantier Davie fait des propositions intéressantes pour combler des besoins additionnels de la Marine royale canadienne et de la Garde côtière. Il est inconcevable que la ministre Foote balaie du revers de la main une telle proposition et démontre ainsi un manque flagrant de respect envers les contribuables et les intérêts nationaux », indiqué M. Blaney dans un courriel.

TOLLÉ DANS LES MARITIMES

L'offre non sollicitée de Davie a fait moins de bruit au Québec qu'en Nouvelle-Écosse, où elle a soulevé un tollé. La société Irving vient de bâtir à Halifax un important chantier naval pour s'acquitter de son contrat de 25 milliards avec Ottawa pour la construction d'une vingtaine de navires de guerre au cours des 20 à 30 prochaines années. Le premier ministre de la province, le maire d'Halifax et la société Irving ont joint leurs voix pour dénoncer la manoeuvre de l'entreprise québécoise, décrite comme une tentative d'obtenir un contrat par la porte d'en arrière, alors qu'un processus d'appel d'offres fédéral l'a clairement écartée en 2012. « Le chantier Davie, en bref, commence à ressembler un peu à une entreprise de voitures usagées et de ferraille : si vous achetez un navire de Davie, l'entreprise pourrait bien vous offrir une première vidange d'huile gratuitement », a lancé le Halifax Herald dans un éditorial.

PLUS DE 33 MILLIARDS ?

Lancée en 2010, la Stratégie nationale d'approvisionnement en matière de construction navale visait la construction de plusieurs navires canadiens, dont certains destinés au combat, pour la somme de 40 milliards. L'opération a été présentée comme l'attribution du plus important contrat militaire depuis la Seconde Guerre mondiale. La première phase de l'appel d'offres, de loin la plus importante avec une valeur de 33 milliards, visait les « grands navires ». C'est Irving Shipbuilding, d'Halifax, qui a obtenu la part du lion, avec le contrat pour construire 21 navires de guerre pour la somme de 25 milliards. La responsabilité de bâtir les sept navires non destinés au combat, dont le nouveau brise-glace polaire de la Garde côtière canadienne, a été confiée à Seaspan, de Vancouver, pour la somme de 8 milliards. Les contrats doivent s'échelonner sur une période de 20 à 30 ans.

Le chantier Davie a été le grand perdant de ce processus d'appel d'offres qui, dans l'espoir de limiter l'ingérence politique, avait été confié à un organisme indépendant dirigé par quatre hauts fonctionnaires et fait l'objet de vérifications de la part d'une firme externe chargée d'agir comme « surveillante de l'équité ». Au cours des derniers mois, cependant, des voix se sont élevées pour dénoncer des dépassements de coûts et d'échéanciers dans la construction de ces navires. Selon une évaluation faite par des fonctionnaires, ces dépassements de coûts pourraient atteindre 181 % pour certains projets.

Photo Jean-Marie Villeneuve, archives Le Soleil

Gilles Lehouillier, maire de Lévis

PHOTO Martin Tremblay, Archives La Presse

Le brise-glace NGCC Des Groseilliers, ici en patrouille sur le fleuve Saintt-Laurent, a été construit en 1982 par Port Weller Dry Dock, une société ontarienne aujourd'hui disparue.