Le gouvernement Trudeau pourrait donner un sérieux coup de pouce à Bombardier pour vendre une quarantaine d'appareils C Series, sans même délier les cordons de sa bourse, en relevant à 49 % la limite de la propriété étrangère des compagnies aériennes du Canada.

La compagnie Jetlines, un transporteur au rabais de Richmond, en Colombie-Britannique, qui tente de prendre son envol depuis quelques mois, a la ferme intention d'acquérir entre 24 et 40 avions C Series de Bombardier sur une période de huit ans si le gouvernement fédéral modifie la Loi sur les transports au Canada afin de faire passer la limite de la propriété étrangère à 49 % - elle est actuellement à 25 %.

Ce changement, qui a d'ailleurs été proposé par l'ancien ministre de l'Industrie David Emerson dans un volumineux rapport sur l'avenir du transport au pays qui a été remis au ministre des Transports Marc Garneau le mois dernier, est jugé crucial pour permettre à Jetlines d'obtenir les 40 millions de dollars en capitaux nécessaires au lancement de ses activités, comme l'exige l'Office des transports du Canada.

À l'heure actuelle, des investisseurs canadiens souhaitent participer au projet, mais pas en nombre suffisant. Toutefois, les investisseurs américains et britanniques, eux, sont nombreux à vouloir sortir leur chéquier pour en assurer le succès. Le seul hic, c'est cette limite de 25 %, en vigueur depuis 1987.

Alors que le gouvernement Trudeau tarde à confirmer s'il compte investir 1 milliard de dollars dans la C Series, comme l'a fait le gouvernement Couillard l'automne dernier et comme le souhaite Bombardier, cette option pourrait s'avérer d'autant plus intéressante que l'idée d'injecter des fonds publics dans cette multinationale soulève une vive opposition dans la presse anglophone.

Au cours des dernières semaines, Jetlines a remis à des proches collaborateurs de Justin Trudeau et aux conseillers du ministre Marc Garneau un document détaillant son projet et ses intentions. Selon nos informations, les fonctionnaires sont en train d'évaluer cette proposition.

« En effectuant ce changement, le gouvernement fédéral pourrait donner un coup de pouce immédiat à Bombardier d'une manière qui ne nécessite pas l'injection de fonds publics », a-t-on affirmé.

VISITE À MONTRÉAL

Le désir des dirigeants de Jetlines d'acheter des appareils de Bombardier est tel qu'ils ont récemment visité les installations de l'entreprise à Montréal afin d'examiner de plus près l'avion C Series, selon des informations obtenues par La Presse. L'un des membres du conseil d'administration de Jetlines est l'ancien premier ministre de l'Ontario Mike Harris.

« C'est un projet qui est de nature à contribuer grandement à l'unité nationale. Il s'agit d'une compagnie aérienne canadienne, qui a son quartier général en Colombie-Britannique, compte un centre d'entretien au Manitoba et un deuxième centre d'opérations en Ontario et achète des avions fabriqués par un fleuron du Québec », a fait valoir une source bien au courant du dossier.

« Une commande de 24 à 40 avions donnerait à Bombardier une source de revenus importante à un moment névralgique pour l'entreprise aussi. Cela permettrait également de mettre en valeur cet appareil devant les Canadiens grâce à des vols quotidiens. » - Une source bien au courant du dossier

L'autre avantage important serait d'offrir aux voyageurs un premier véritable transporteur aérien au rabais au pays. En outre, Jetlines promet d'offrir un service dans plus de 200 liaisons au pays, soit dans des villes et municipalités qui sont mal desservies ou qui n'ont pas de services du tout.

« Il serait très difficile de trouver un Canadien qui ne veut pas un transporteur au rabais ou qui ne veut pas un service aérien régulier dans sa communauté », a ajouté cette source.

Le Canada est le seul marché aérien des pays du G7 qui n'a pas de transporteur à très faible coût, a d'ailleurs rappelé l'ancien ministre Emerson dans son rapport, intitulé « Parcours : Brancher le système de transport du Canada au reste du monde ».

« L'Union européenne permet une propriété étrangère de 49 % de ses compagnies aériennes, tandis que l'Australie et la Nouvelle-Zélande permettent 100 % de propriété étrangère de leurs lignes aériennes exploitant leurs marchés domestiques. La grande taille du Canada et sa petite population limitent notre capacité à faire concurrence dans le marché mondial. [...] Le Canada est le seul marché aérien majeur qui n'a pas de transporteur à très faible coût. Les transporteurs de ce genre ont connu beaucoup de succès dans tous les autres marchés aériens », a affirmé M. Emerson dans son rapport.

Rapatrier les voyageurs canadiens

Un transporteur aérien au rabais pourrait rivaliser davantage avec les transporteurs américains qui offrent des prix abordables aux aéroports qui sont situés près de la frontière canadienne comme Buffalo et Bellingham, selon Jetlines. Le projet a d'ailleurs l'appui du Conseil canadien de l'aviation et de l'aérospatiale, tout comme celui des dirigeants des aéroports de Vancouver et de Winnipeg, entre autred. Aussi, selon Jetlines, l'émergence d'un transporteur aérien, surtout s'il offre des prix abordables, entraînerait une plus grande concurrence et un meilleur éventail de choix pour les voyageurs.

La règle étudiée depuis 2009

L'ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper avait inclus dans son projet de loi mettant en oeuvre son budget de 2009 un amendement à la Loi sur les transports au Canada relevant le seuil de la propriété étrangère pour les compagnies aériennes de 25 % à 49 %. Mais cet amendement n'a toujours pas été mis en oeuvre. Le ministre des Transports Marc Garneau pourrait accélérer les choses en recommandant au cabinet d'adopter un décret en ce sens ou encore en accordant une exemption à Jetlines.