Bombardier a reçu un important vote de confiance pour sa C Series, hier, avec la décision d'Air Canada d'acquérir 45 avions CS300 de 130 places. Il s'agit de la première commande en près d'un an et demi pour cette nouvelle gamme d'avions qui représente une bonne partie de l'avenir du constructeur québécois.

En conférence de presse, le PDG de Bombardier, Alain Bellemare, était visiblement ému et soulagé. Il a lancé à son homologue d'Air Canada, Calin Rovinescu : « Je tiens à t'exprimer toute ma gratitude à toi et à ton équipe pour cette commande. Merci grandement de donner un nouvel élan à la C Series. » Notons que Bombardier avait devancé d'une journée la publication de ses résultats pour qu'ils coïncident avec ceux d'Air Canada, ce qui a facilité une annonce conjointe.

Le transporteur montréalais a signé une lettre d'entente portant sur 45 commandes fermes et 30 options. Les livraisons doivent débuter à la fin de 2019 et s'échelonner jusqu'en 2022. Certaines commandes pourraient être converties en appareils CS100, de moindre taille. Au prix courant du CS300, la valeur des commandes fermes s'élèverait à 3,8 milliards US.

« ÇA AIDE BEAUCOUP »

La commande est la plus importante jusqu'ici pour la C Series. C'est aussi la troisième d'une compagnie aérienne d'envergure (après Swiss et Korean Air) et la première d'un transporteur nord-américain majeur. Le carnet de commandes de la C Series comptera désormais 288 avions CS100 et CS300, soit tout près de l'objectif de 300 appareils que s'était fixé Bombardier pour l'entrée en service, prévue d'ici la fin juin au sein de Swiss Global Air Lines.

L'analyste Benoit Poirier, de Desjardins Marché des capitaux, a qualifié la commande de « potentiellement transformatrice ». Selon lui, elle pourrait assurer la viabilité à long terme de la C Series.

Le professeur Karl Moore, de la faculté de gestion Desautels de l'Université McGill, est du même avis. « Décrocher une telle commande de la part d'un transporteur respecté à travers le monde, ça aide beaucoup », a-t-il commenté.

« Air Canada est un client de marque qui jouit d'une grande réputation en matière d'exploitation au sein de l'industrie aérienne mondiale. Sa commande est celle que le marché espérait pour légitimer [la C Series] et nous croyons qu'elle pourrait inciter d'autres transporteurs à examiner l'avion de plus près.  - Cameron Doerksen, de la Financière Banque Nationale

M. Moore a toutefois prévenu que la C Series, conçue au coût de 5,4 milliards US, soit 2 milliards US de plus que prévu, n'est pas encore complètement sortie du bois. « Bombardier doit recevoir d'autres commandes » pour que le programme puisse être considéré comme un succès, a-t-il rappelé.

COUP DE POUCE À L'INDUSTRIE

Les 25 premiers CS300 que recevra Air Canada remplaceront une partie des 45 avions E190 d'Embraer du parc aérien actuel ; les autres le seront par des 737 MAX de Boeing commandés en 2013. Les 20 derniers CS300 permettront à Air Canada d'accroître la taille de son réseau.

M. Rovinescu a précisé que les avions E2 d'Embraer et les 737 de Boeing avaient été en lice contre la C Series pour cette commande. « Dans cette catégorie d'appareils, on a conclu que la C Series était le meilleur avion pour nous », a expliqué le dirigeant. Il a notamment souligné que la C Series allait permettre à Air Canada de réduire de 10 % ses coûts par siège par rapport aux E190 existants.

Calin Rovinescu a assuré qu'il s'agissait d'une transaction « purement commerciale » et qu'Ottawa n'avait exercé « absolument aucune pression » à cet égard. « Cela dit, je pense que les gouvernements reconnaîtront qu'Air Canada fait sa part », a-t-il noté, présentant la commande comme « un coup de pouce à l'industrie aéronautique canadienne ».

Dave Ritchie, vice-président pour le Canada de l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale (AIMTA), s'est évidemment réjoui de l'annonce. « Voici l'exemple d'une entreprise canadienne qui assume ses responsabilités en faisant l'acquisition d'un produit de grande qualité », a-t-il commenté dans un communiqué.

L'ENTENTE EXPLIQUÉE

La lettre d'intention signée entre Bombardier et Air Canada pour la livraison de 45 avions de la C Series ne constitue pas une commande ferme pour le moment. Explications. 

LETTRE D'INTENTION

Air Canada a signé avec Bombardier une « lettre d'intention » portant sur une « commande ferme » de 45 avions CS300. Or, une lettre d'intention n'est pas un contrat, de sorte que Bombardier ne peut pas ajouter tout de suite les 45 appareils à son carnet de commandes. En conférence de presse, le PDG d'Air Canada, Calin Rovinescu, a indiqué que c'est un processus normal quand vient le temps d'acheter des avions. On parlera de commande ferme lorsque toute la documentation juridique aura été rédigée, ce qui pourrait prendre « plusieurs mois », a dit M. Rovinescu. Ce n'est qu'à ce moment qu'Air Canada commencera à verser à Bombardier, en plusieurs tranches, un acompte qui devrait s'élever à 100 millions ou moins, selon le chef des finances du transporteur, Michael Rousseau. Depuis 2011, Bombardier a conclu avec une dizaine d'acheteurs potentiels des lettres d'entente ou des engagements portant sur une centaine d'avions C Series qui ne se sont pas encore traduits en commandes fermes.

RABAIS

En se basant sur les prix courants, la commande d'Air Canada se chiffre à 3,8 milliards US, soit 84 millions US par appareil. Mais compte tenu de la vive concurrence que se livrent Airbus, Boeing, Bombardier, Embraer et Mitsubishi, entre autres, aucun acheteur d'avion ne paie le prix courant de nos jours. Les rabais oscillent généralement entre 30 et 40 %, mais ils atteindraient jusqu'à 50 % pour certains gros contrats. « Nous aimions l'avion, mais nous devions nous assurer que les données économiques fonctionnaient », a pudiquement dit M. Rovinescu, alors que le PDG de Bombardier, Alain Bellemare, a parlé d'une entente « gagnant-gagnant » pour les deux entreprises. Il convient toutefois de rappeler qu'en décembre, Bombardier a changé de stratégie de vente en se disant prête à réduire davantage le prix des avions C Series afin de décrocher des commandes importantes.

AUTRES CLIENTS

On ne peut pas sous-estimer l'importance de la commande d'Air Canada : c'est la plus importante pour la C Series jusqu'ici et elle vient d'un transporteur connu partout dans le monde. Jusqu'ici, seuls deux autres acheteurs de la C Series entraient dans cette catégorie : Swiss et Korean Air. Les autres clients sont peu connus (airBaltic, Gulf Air, Lease Corporation International) ou pas connus du tout (SaudiGulf, Odyssey). L'an dernier, une analyse de la firme spécialisée Leeham avait estimé qu'au moins 100 des 243 commandes fermes d'appareils C Series présentaient des risques d'annulation importants.

Ils ont dit...

Fred Cromer, président, Bombardier Avions commerciaux

« Il s'agit d'un moment décisif et d'un jalon stratégique pour le programme de la C Series. »

Alain Bellemare, président et chef de la direction, Bombardier

« La décision d'Air Canada représente un appui fort pour cet appareil exceptionnel. »

Calin Rovinescu, président et chef de la direction, Air Canada

« Les négociations ont été difficiles et ont duré plusieurs mois. »

Benjamin M. Smith, président des Transporteurs de passagers, Air Canada

« Bien sûr, nous devions obtenir une bonne entente qui avait du sens pour Air Canada et c'est ce que nous avons fait. »