Trois semaines après le gouvernement du Québec, c'est au tour de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) d'investir dans Bombardier (T.BBD.B), cette fois-ci dans la division ferroviaire de la multinationale.

L'investisseur institutionnel injectera ainsi 1,5 milliard $ US contre une participation de 30 % d'une nouvelle entité - BT Holdco - qui chapeautera tous les actifs de Bombardier Transport.

Pour Bombardier, cela conclut la révision des options de financement pour sa division de matériel roulant. L'entreprise évaluait la possibilité de l'introduction d'une participation minoritaire en Bourse et aurait même été approchée, d'après diverses sources, par des entreprises chinoises.

«Nous avons le partenaire idéal pour poursuivre notre croissance», a affirmé jeudi le président et chef de la direction de Bombardier, Alain Bellemare, au cours d'une conférence téléphonique.

Selon lui, cette transaction accroît la flexibilité financière de la société tout en lui permettant de conserver le contrôle de sa division ferroviaire. D'ici la fin de l'année, Bombardier aura accès à des liquidités d'environ 6,5 milliards $ US.

Ces sommes seront déployées pour mener à terme les programmes de l'avion commercial CSeries ainsi que des appareils d'affaires Global 7000/8000, tout en procurant un «coussin de sécurité» advenant des conditions économiques plus difficiles, a ajouté M. Bellemare.

Bombardier a rencontré d'importantes difficultés au cours des dernières années en développant la CSeries, un programme marqué par des dépassements de coûts ainsi que des retards.

Le 29 octobre dernier, Québec a investi 1 milliard $ US pour aider l'entreprise dans ce projet en échange d'une participation de 49,5 % dans une société en commandite. De son côté, le gouvernement Trudeau dit actuellement évaluer les demandes financières de Bombardier.

Selon M. Bellemare, l'entente avec la CDPQ - dont la clôture est prévue au premier trimestre - ne change rien à une éventuelle implication financière de la part du gouvernement fédéral.

La transaction annoncée jeudi assure à l'investisseur institutionnel un rendement minimum annuel de 9,5 % et comprend d'autres modalités reliées à la performance de Bombardier Transport.

«C'est parfaitement aligné avec notre stratégie globale, a dit le président et chef de la direction de la CDPQ, Michael Sabia. L'urbanisation s'accélère dans les pays émergents et Bombardier propose aussi des technologies qui répondent aux préoccupations environnementales de plus en plus grandissantes.»

Ainsi, si Bombardier Transport dépasse certains objectifs, le pourcentage de la participation de la Caisse reculera annuellement de 2,5 %, jusqu'au seuil minimum de 25 %. À l'inverse, une augmentation annuelle de 2,5 % de la participation de la CDPQ, jusqu'à concurrence de 42,5 % sur cinq ans, est prévue si les cibles ne sont pas atteintes.

Au bout de cinq ans, la Caisse peut également forcer un premier appel public à l'épargne ou procéder à une vente des actions qu'elle détient dans BT Holdco. Bombardier peut quant à elle racheter la participation de l'institution après trois ans.

Questionné par les journalistes, M. Sabia a assuré ne jamais avoir eu l'intention de se joindre au gouvernement Couillard pour investir dans la CSeries parce que cela ne figurait pas dans la stratégie d'investissement de la Caisse.

La transaction attribue une valeur de 5 milliards $ US à Bombardier Transport.

Benoit Poirier, de Desjardins Marchés des capitaux, a qualifié de «positive» l'intervention de la Caisse, mais l'analyste s'est toutefois montré surpris de la valeur attribuée à la division ferroviaire de Bombardier.

«Du côté négatif, nous croyons que ce montant se situe au bas de la fourchette d'entre 5 et 6 milliards $ US évoquée sur le marché», écrit-il dans une note de recherche.

Pour sa part, Walter Spracklin, de RBC Marchés des capitaux, estime que l'injection de 1,5 milliard $ US de la Caisse permettra entre autres à Bombardier d'augmenter la cadence de production de la CSeries au cours des trois prochaines années.

Gouvernance

L'investissement de la CDPQ lui permet également de nommer trois des sept membres du conseil d'administration de BT Holco, présidé par M. Bellemare. L'actuel dirigeant de Bombardier Transport, Lutz Bertling, continuera pour sa part d'assumer ses fonctions actuelles.

De plus, l'institution a également un droit de veto dans la nomination des prochains administrateurs indépendants lorsque viendra le temps de renouveler le conseil d'administration de la société mère.

Malgré la création de BT Holdco, M. Bellemare n'a pas voulu écarter une participation de Bombardier à la consolidation dans le secteur des transports.

«Nous avons conservé la flexibilité pour continuer d'évaluer d'autres options potentielles», a-t-il affirmé. Sur ce point, M. Sabia a assuré que la CDPQ ne s'opposerait pas à des «occasions créatrices de valeur».

Bombardier devra également s'assurer de maintenir des liquidités supérieures à 1,25 milliard $ US afin d'éviter le déclenchement d'un processus qui se traduirait pas la création d'un comité spécial dont les recommandations devront être appliquées.

En date du 31 décembre dernier, la CDPQ détenait près de 47 millions d'actions de Bombardier dont la valeur est actuellement estimée à 59 millions.

L'opposition critique à nouveau la transaction de Daoust

L'opposition a estimé jeudi qu'une entente de la Caisse de dépôt et placement avec Bombardier met en évidence les lacunes de la participation négociée par le gouvernement avec l'entreprise pour sauver le projet d'avion de la C Series.

Le chef péquiste Pierre Karl Péladeau a affirmé que le ministre de l'Économie, Jacques Daoust, a «bâclé» la transaction avec Bombardier à propos du projet de la C Series.

«En matière de négociation, il ne connaît rien, a-t-il dit. C'est très problématique lorsque vous êtes ministre de l'Économie et que vous n'êtes pas en mesure de pouvoir structurer une transaction qui a de l'allure. Le premier ministre doit commencer à s'interroger sérieusement sur la compétence de son ministre.»

Alors que le gouvernement s'est exposé à tous les risques, la Caisse a obtenu des garanties qui peuvent lui assurer un rendement minimal de 9,5 % en contrepartie de sa participation de 1,5 milliard $ US dans la filiale ferroviaire, a indiqué M. Péladeau en Chambre.

Le chef caquiste François Legault croit également que le gouvernement aurait dû obtenir des garanties sur les actifs qui ont plus de valeur, notamment ceux de la filiale ferroviaire.

M. Legault a affirmé que la Caisse a réalisé une bonne transaction en investissant dans le fleuron québécois en difficulté financière.

«C'est difficile de critiquer la transaction de la Caisse, a-t-il dit. Là où il y a un problème qui demeure, c'est la transaction qui a été faite par Jacques Daoust et le gouvernement Couillard. Avoir mis 1 milliard $ US dans une division qui est risquée, qui n'a pas vraiment de valeur, c'est là qu'il y a eu une erreur, sans obtenir de garantie ni d'actifs, ni d'emplois sur l'ensemble de l'entreprise.»

Le mois dernier, M. Daoust a annoncé une prise de participation de 1 milliard $ US dans une filiale de Bombardier Aéronautique qui regroupe le projet d'avion CSeries.

Jeudi, la Caisse de dépôt et placement du Québec a annoncé une participation de 1,5 milliard $ US dans une nouvelle filiale de Bombardier Transport.

En Chambre, le premier ministre Philippe Couillard a affirmé que le gouvernement avait structuré sa transaction de 1 milliard $ US afin de préserver des emplois au Québec.

M. Couillard a évoqué le siège social allemand de Bombardier Transport, une multinationale qui exploite des usines au Québec et à l'étranger.

«Je comprends que c'est une bonne nouvelle pour la division transport de s'occuper des emplois en Allemagne, il faut continuer de le faire, mais nous, on va s'occuper des emplois au Québec puis à Montréal», a-t-il dit.

En point de presse, M. Daoust a affirmé qu'il n'y a aucune comparaison possible entre l'entente qu'il a conclue et celle de la Caisse.

«L'opposition peut déclarer ce qu'elle veut, ce sont deux gestes qui sont complètement séparés et ne sont pas liés en aucune façon, a-t-il dit. Mon geste, c'est de protéger notre premier produit d'exportation qui est dans le domaine de l'aéronautique. La Caisse a investi dans le domaine du rail, dans le transport, avec un siège social qui est en Allemagne.»