Quand on se compare, on se console. Pendant que les médias canadiens font leurs choux gras des retards et des dépassements de coûts de la C Series de Bombardier, d'autres programmes d'avions connaissent des difficultés importantes ailleurs dans le monde. Malgré tout, certains de ces appareils pourraient bien devenir des concurrents sérieux pour l'avionneur québécois.

La semaine dernière, le géant japonais Mitsubishi a annoncé en grande pompe que le premier vol de son jet régional MRJ allait avoir lieu dans la deuxième moitié d'octobre. Il s'agit d'un retard de plus de trois ans qui fait bien paraître Bombardier dans les circonstances: le premier vol de la C Series, en septembre 2013, a eu lieu «seulement» huit mois plus tard que prévu. Il importe toutefois de préciser que dans le développement d'avions, Bombardier a beaucoup plus d'expérience que Mitsubishi, qui s'est surtout démarqué jusqu'ici comme fournisseur pour Boeing.

Le constructeur chinois Comac a encore plus de mal à respecter ses échéanciers. Le développement de son avion de taille moyenne C919 prendra au moins quatre ans de plus que prévu, alors que le retard de son jet régional ARJ21 est de neuf ans jusqu'ici.

L'analyste Richard Aboulafia, de la firme américaine Teal Group, ne croit pas que l'ARJ21 entrera en service commercial, même si son carnet de commandes s'élève à plus de 300 appareils, placées principalement par des transporteurs chinois pour se plier aux désirs de Pékin. «Ce n'est pas un avion valide, affirme-t-il. Ses technologies datent d'il y a 10, voire 15 ans. C'est un appareil si lourd qu'on pourrait le qualifier de brique volante!»

Il n'est pas plus optimiste pour le C919, un projet encore plus ambitieux. Selon lui, le gouvernement chinois devra faire un choix entre une industrie aérienne nationale viable ou le développement d'avions.

Succès modeste des Russes

La Russie, dont l'histoire aéronautique est riche, a eu un peu plus de succès dans le développement de nouveaux avions civils. Le SuperJet 100 (SSJ100) du constructeur Sukhoi est entré en service en 2011 grâce notamment à l'appui du conglomérat industriel italien Finmeccanica, du groupe français Safran et du gouvernement russe.

Le transporteur mexicain Interjet, seul exploitant du SSJ100 ne provenant pas de l'ex-empire soviétique, se dit satisfait du rendement de l'appareil. Une société soeur de Sukhoi, Irkut, développe actuellement un jet régional de plus petite taille, le MC-21. M. Aboulafia doute toutefois de ses chances de succès en raison des nombreuses interventions étatiques dans le projet.

Tout compte fait, le MRJ de Mitsubishi est l'un des mieux positionnés parmi les avions entièrement nouveaux actuellement en développement, estime le spécialiste. Il est doté du nouveau moteur PurePower de Pratt&Whitney, qui propulse également la C Series, l'A320neo d'Airbus, la nouvelle version des E-Jets d'Embraer ainsi que le MC-21 d'Irkut.

De plus, Mitsubishi peut compter sur des clients sérieux comme SkyWest et Japan Airlines ainsi que sur Boeing comme partenaire de soutien après-vente. «Mitsubishi est en passe de devenir le deuxième acteur dans le marché des jets régionaux, derrière Embraer mais devant Bombardier», prédit Richard Aboulafia.

La C Series de Bombardier compte un peu plus de commandes que le MRJ, mais la moitié d'entre elles risquent d'être reportées ou carrément annulées par des clients à l'avenir incertain, selon une analyse effectuée par la firme américaine Leeham le mois dernier. Bien sûr, la situation pourrait changer avec l'arrivée de nouvelles commandes. «La C Series est de loin le meilleur avion dans la catégorie des 110 à 150 sièges», reconnaît M. Aboulafia.

Embraer frappe fort

Le gagnant du secteur des avions régionaux n'est toutefois pas un nouvel appareil: c'est la famille E2 d'Embraer, une version remaniée des populaires E-Jets avec un nouveau moteur et de nouvelles ailes. Depuis son lancement au salon du Bourget en 2013, la gamme a cumulé des commandes pour 267 appareils. Pour une fraction du coût de développement de la C Series (1,7 milliard US), Embraer s'est bâti un carnet de commandes plus volumineux et de meilleure qualité.

L'arrivée du MRJ et de la gamme E2 laisse donc présager des jours difficiles pour la famille de jets régionaux CRJ de Bombardier, lancée en 1992. Le carnet de commandes des CRJ s'élève actuellement à 76 appareils, contre 264 pour les E-Jets d'Embraer. «Bombardier se meurt dans ce marché», tranche Richard Aboulafia, rappelant que la conception du moteur des CRJ (et des E-Jets), le CF34 de General Electric, remonte aux années 70. Ceci dit, le géant américain assure que les nouvelles versions du CF34 sont très concurrentielles.

Quoi qu'il en soit, le nouveau PDG de Bombardier, Alain Bellemare, a lui-même reconnu en juin que l'entreprise avait quelque peu négligé les CRJ et les avions turbopropulsés Q400 au cours des dernières années. La C Series «a consommé toutes les ressources, et les gens n'ont pas accordé toute l'attention nécessaire aux produits existants. Nous sommes en train de changer cela», a-t-il déclaré à la publication spécialisée Aviation Week.