Le centre-ville de Montréal risque d'être «marginalisé» au profit de la banlieue si des péages sont mis en place, avertit le plus important regroupement de propriétaires immobiliers du Québec, qui propose plutôt l'instauration d'une «taxe kilométrique».

L'Institut de développement urbain du Québec (IDU) ajoutera aujourd'hui son poids dans ce dossier chaud en publiant une nouvelle étude, obtenue par La Presse Affaires. L'organisme, dont les membres détiennent des actifs immobiliers évalués à 30 milliards, estime que l'imposition d'une taxe pour chaque kilomètre parcouru représente - et de loin - l'option la plus équitable parmi tous les scénarios envisagés par les autorités.

«La taxe kilométrique entraînerait le moins de distorsion et ne marginaliserait pas le centre-ville de Montréal, avance l'IDU. En plus de contribuer au financement des transports, cette taxe permettrait de réduire la congestion et notre impact sur l'environnement.»

Cette sortie de l'IDU survient alors que débuteront bientôt les travaux de construction du nouveau pont Champlain. Le gouvernement fédéral compte imposer un péage pour financer ce nouvel ouvrage de 5 milliards.

Le pont de l'autoroute 25 et le plus récent tronçon de l'autoroute 30 comportent déjà des péages, et plusieurs observateurs proposent d'instaurer un «cordon» de péages sur tous les liens routiers entre l'île et sa banlieue. Or, il s'agit là de «la meilleure solution pour isoler encore davantage Montréal», a lancé en entrevue Mario Lefebvre, PDG de l'IDU, qui compte notamment Ivanhoé Cambridge, Canderel et Cadillac Fairview parmi ses membres.

«Un deuxième GPS»

La «taxe kilométrique» proposée par l'IDU n'est pas une idée nouvelle: le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) avait déjà suggéré son instauration en juin 2013. «De tous les scénarios, la taxe kilométrique est le meilleur moyen de répartir les coûts sur le plus grand nombre d'usagers, et donc de réduire l'impact sur le coût d'un déplacement des navetteurs», avait alors conclu le groupe de recherche.

En gros, il s'agirait de tarifer les déplacements de tous les automobilistes en fonction du trajet employé, du nombre de kilomètres parcourus, de l'heure de la journée et de la cylindrée. La taxe serait calculée en dotant chaque véhicule d'un appareil de détection, «une espèce de deuxième GPS», dit Mario Lefebvre.

Selon l'IDU, cette surcharge devrait à terme remplacer la taxe sur l'essence et servir à financer tant les infrastructures routières que le transport collectif.

Si cette forme de taxation kilométrique est encore embryonnaire à l'échelle nord-américaine, les choses progressent vite. L'Oregon lancera le 1er juillet prochain un projet-pilote auprès de 5000 automobilistes, et une dizaine d'États américains envisagent aussi une telle mesure pour financer leurs infrastructures.

Joanne Castonguay, l'une des économistes qui ont réalisé l'étude du CIRANO en 2013, estime que la technologie permettrait aujourd'hui d'implanter facilement une telle mesure à Montréal. Elle rappelle que plusieurs sociétés d'assurances installent désormais des appareils de détection dans les véhicules de leurs clients, et que les téléphones intelligents sont aussi dotés de senseurs.

Ottawa ne bronche pas

Le ministre provincial des Transports, Robert Poëti, demeure opposé à la mise en place d'un péage sur le futur pont Champlain. À son cabinet, on a aussi indiqué hier surveiller de près l'expérience des cordons de péages en Europe, ainsi que le projet-pilote en Oregon.

L'attaché de presse du ministre fédéral de l'Infrastructure, Denis Lebel, a pour sa part «réitéré» la position du gouvernement quant à l'instauration d'un péage sur le pont Champlain.