«Une offre fantastique pour les contribuables britanniques, dont le prix dépasse toutes nos attentes», clamait George Osborne, le chancelier de l'Échiquier à Londres, après l'annonce de la vente de 40% du capital-actions des trains Eurostar détenu par le gouvernement britannique à un tandem formé par la Caisse de dépôt et placement du Québec et le fonds Hermes Infrastructures, de Londres.

En fait, en obtenant 585 millions de livres sterling pour son bloc d'actions, en plus des 172 millions de livres d'un rachat d'obligations par le transporteur, Londres réalisera le délestage de son avoir dans Eurostar à un prix deux fois plus élevé qu'il ne l'espérait il y a six mois, lors de leur mise en vente officielle.

Et tout indique aussi que le mandataire de vente internationale, la banque d'investissement UBS d'origine suisse, a bien réussi à faire monter les enchères entre des gros investisseurs en infrastructures provenant d'Europe, d'Asie et d'Amérique.

Parmi eux, des gestionnaires de gros actifs de caisse de retraite, comme la Caisse de dépôt et placement, qui sont tous à la chasse aux placements dans des infrastructures censées leur procurer des «rendements stables et prévisibles pour nos déposants.»

Cette citation est extraite du bref communiqué diffusé par la Caisse de dépôt, hier matin, en suivi des informations sur la transaction au capital d'Eurostar qui émanaient de Londres depuis mardi.

Dans son communiqué, la Caisse ne mentionne aucun chiffre sur le coût de son placement pour 30% des actions d'Eurostar, alors que son partenaire londonien Hermes Infrastructures en acquerra 10%.

C'est du côté de sources d'informations financières en Europe qu'il faut s'enquérir pour mieux évaluer le coût du placement de la Caisse dans Eurostar.

Entre autres, le montant annoncé à Londres de 585 millions de livres (1,1 milliard CAN au 4 mars) pour 40% d'Eurostar signifie que l'on attribue une valeur de 1,46 milliard de livres (2,77 milliards CAN au 4 mars) pour l'ensemble du capital-actions du transporteur ferroviaire à grande vitesse.

Or, une telle valeur représente un multiple de 26 fois le plus récent bénéfice d'exploitation annuel d'Eurostar (54 millions de livres en 2014, ou 98 millions CAN au 31 décembre 2014).

À première vue, ce multiple apparaît élevé en comparaison du multiple cours-bénéfice des titres dans les indices boursiers des transports en Europe en 2014, soit 19 fois dans le cas du MSCI Europe Transportation Index et de 17 fois pour le Bloomberg Europe Transportation Index.

Mais à la Caisse de dépôt, on considère que cette comparaison de multiples à court terme ne correspond pas à son «analyse exhaustive» des placements effectués en infrastructures.

«Ce n'est pas le genre de multiples que nous considérons, parce qu'ils ne reflètent pas nos perspectives à long terme de valorisation d'actif et de rendement en dividende avec ce type de placements», a expliqué Macky Tall, vice-président principal aux placements privés et infrastructures à la Caisse de dépôt, lors d'un entretien avec La Presse Affaires.

«Chez Eurostar, nous investissons dans une entreprise qui a très peu de dette, et donc une bonne disponibilité des bénéfices d'exploitation pour le versement de dividendes. Aussi, le prix que nous avons convenu de payer se compare très bien avec les transactions comparables survenues récemment dans le marché international des infrastructures.»

Par ailleurs, les quelques résultats d'exploitation disponibles chez Eurostar suggèrent une entreprise en pause de croissance de ses revenus - à peine 1% en 2014, après 7% en 2013 - et à la rentabilité encore limitée.

En fait, la marge bénéficiaire d'exploitation chez Eurostar (6,3% en 2014 et en 2013) s'avère inférieure de moitié à celle de 12% observée en moyenne en 2014 parmi les dizaines d'entreprises européennes de transports qui sont comprises dans les indices sectoriels de Bloomberg et de Morgan Stanley Capital International (MSCI).

À ce sujet, Macky Tall a souligné qu'Eurostar réalise actuellement un investissement important - environ 1 milliard de livres - dans la modernisation et la croissance de son actif roulant (ajout de trains de plus grande capacité, ajout de trajets jusqu'au sud de la France, etc.).

La mise en fonction de ces nouveaux actifs est prévue à compter de la mi-2015, ce qui devrait contribuer à un rebond de croissance des revenus et des bénéfices d'un transporteur ferroviaire déjà renommé en Europe, selon M. Tall.

«Après cet investissement, la croissance de revenus et des bénéfices chez Eurostar s'annonce significative dès les deux à trois prochaines années», a indiqué le vice-président de la Caisse.

«Je ne peux vous en préciser la teneur puisqu'il s'agit d'informations concurrentielles pour Eurostar. Mais ça fait évidemment partie de notre évaluation de ce placement et de nos attentes de rendement futur en dividendes, comme pour tout notre portefeuille en infrastructures.»

----------------

EXPANSION À EUROSTAR

Croissance

Pour la première fois depuis sa naissance il y a 20 ans, Eurostar procède à une importante expansion de son réseau. À l'heure actuelle, le train à haute vitesse relie Londres à Paris, Lille et Bruxelles. À partir du 1er mai, Eurostar offrira un service entre Londres, Lyon, Avignon et Marseille. Vers la fin de 2016, Eurostar entend ajouter un service entre Londres, Rotterdam et Amsterdam. La société prévoit notamment desservir l'aéroport Schiphol d'Amsterdam. Il s'agit d'un marché intéressant: actuellement, Londres-Amsterdam constitue la plus importante liaison aérienne en Europe, avec plus de trois millions de voyageurs par an.

Amélioration

En 2010, Eurostar a lancé un vaste programme d'amélioration de sa flotte. L'entreprise investit plus de 1,9 milliard CAN dans ce programme, soit 190 millions pour la rénovation des trains actuels et 1,7 milliard pour l'achat de 17 nouveaux trains. Les 30 trains actuels peuvent transporter 750 passagers, soit l'équivalent de 2 Boeing 747, et rouler à 300 kilomètres à l'heure. Les nouveaux trains, construits par la compagnie allemande Siemens, pourront transporter 900 passagers, soit une augmentation de 20%, à 320 kilomètres à l'heure. Les trains rénovés et les nouveaux trains devraient commencer à entrer en service cette année.

Temps

> Londres-Lille: 1h20 min

> Londres-Bruxelles: 2h

> Londres-Paris: 2h15 min

> Londres-Lyon: 4h41 min

> Londres-Avignon: 5h49 min

> Londres-Marseille: 6h27 min

Les trajets de retour à partir de Marseille, Avignon et Lyon prendront une heure supplémentaire puisque les voyageurs devront descendre à Lille pour procéder aux contrôles de sécurité et d'immigration avant d'emprunter le tunnel sous la Manche.

Investisseur

La Caisse de dépôt et placement du Québec a fait équipe avec l'investisseur institutionnel britannique Hermes pour faire l'acquisition de la participation de 40% de la Grande-Bretagne dans Eurostar. Le vice-président principal aux infrastructures à la Caisse, Macky Tall, a rappelé que cette participation constituait un actif stratégique important pour la Grande-Bretagne. «À notre égard, c'est une excellente chose de s'associer avec un des plus importants investisseurs institutionnels d'Angleterre, un gestionnaire de fonds de pension et un investisseur en infrastructure dans ce pays.»