Stéphan Crétier, retraité à 48 ans? Ce scénario invraisemblable s'est pourtant présenté à l'énergique entrepreneur il y a deux ans.

«Je faisais une réflexion personnelle, je me demandais ce que je voulais réellement accomplir, raconte le PDG de Garda World à La Presse Affaires. J'avais des concurrents qui me faisaient des offres alléchantes, ils me disaient: «Stéphan, va jouer au golf, t'as réalisé quelque chose de bien, nous pouvons prendre le relais.»»

Les actions de M. Crétier dans Garda valaient alors plus de 64 millions de dollars. Pas mal pour une firme de sécurité fondée en 1995 avec une mise de fonds de 25 000$ provenant d'une deuxième hypothèque sur sa résidence.

Mais vendre n'était pas dans les plans de Stéphan Crétier. «On était numéro six ou sept dans le monde en termes de revenus, et je pensais aux problèmes que vivaient les entreprises du top 5, explique-t-il. J'en suis venu à la conclusion qu'on avait le cheval pour atteindre le sommet. Pourquoi une entreprise canadienne ne pourrait-elle pas être dans le top 3 mondial? Alain Bouchard et Serge Godin l'ont fait.»

Un partenaire londonien

Le PDG s'est donc tourné vers la firme d'investissement londonienne Apax Partners, qui a déjà été actionnaire de Tommy Hilfiger et qui a racheté l'éditeur Trader (AutoHebdo) de Yellow Média en 2011. Aux côtés de M. Crétier et de 17 autres dirigeants de Garda, Apax a mis la main sur l'entreprise pour 1,1 milliard à la fin de 2012.

N'étant plus cotée en Bourse, l'entreprise a pu poursuivre sa stratégie de croissance par acquisitions sans susciter la réprobation du marché, qui jugeait son taux d'endettement beaucoup trop élevé. Aujourd'hui, Garda traîne une dette de plus de 1 milliard, 60% plus élevée qu'en 2012, mais les prochaines années s'annoncent prometteuses.

Depuis la fin de 2012, Garda a dépensé plus de 200 millions pour réaliser cinq acquisitions. La plus importante est la filiale canadienne de transport de valeurs du géant suédois G4S, conclue en janvier pour 110 millions.

«En 2005, j'avais rencontré le PDG de G4S pour lui faire une offre, mais il l'avait refusée, relate Stéphan Crétier. J'ai revu les gens de G4S trois fois par la suite et la quatrième fois, j'ai réussi à les convaincre de nous vendre la division au même prix que j'avais offert en 2005.»

Avec cette transaction, Garda est désormais le plus important acteur en Amérique du Nord dans le secteur du transport d'argent et de chèques, devant les légendaires Brink's et Loomis. L'entreprise, qui a fait ses premiers pas dans cette industrie avec l'acquisition de Sécur en 2003, compte aujourd'hui 3000 véhicules blindés et 157 avions.

Au coeur de Bank of America

Mais son meilleur coup des dernières années, Garda l'a fait en décembre. L'entreprise a persuadé la deuxième banque aux États-Unis, Bank of America, de lui confier toute la gestion de son argent comptant et de ses chèques, et ce, dans les 39 États où elle est présente. La valeur du contrat de 12 ans atteint pas moins de 1,4 milliard. Dans le cadre de l'entente, Garda a acheté les 32 salles de comptage de l'institution, qui emploient 1000 personnes, pour 58 millions.

«J'ai maintenant l'infrastructure de Bank of America. Où est-ce que vous pensez que les autres banques regardent en ce moment?», lance M. Crétier, soulignant que les autres grandes institutions financières américaines, dont JPMorgan Chase et Citigroup, pourraient être les prochaines à opter pour la sous-traitance.

«Chez Bank of America, on performe mieux qu'ils le faisaient à l'interne et ça coûte 20% de moins», affirme le dirigeant. Les projets-pilotes effectués l'an dernier ont été si concluants que l'institution n'a même pas cru bon de solliciter des devis auprès des concurrents de l'entreprise québécoise.

En 2014, le chiffre d'affaires de Garda devrait franchir le seuil des 2 milliards. C'est presque deux fois plus que les revenus de 1,2 milliard enregistrés en 2011. Garda s'apprête donc à surpasser Loomis, le cinquième acteur mondial.

Pour rejoindre le peloton de tête, composé de G4S, Securitas, Prosegur et Brink's, Garda veut continuer d'étendre son offre. «Les gens cherchent plus que l'agent de sécurité, c'est de la sous-traitance de services qu'on fait», souligne Stéphan Crétier. «Dans les champs pétroliers de l'Alberta, qui sont éloignés des grandes villes, on joue le rôle de premiers répondants», illustre-t-il.

En Colombie-Britannique et en Saskatchewan, des municipalités confient à Garda la surveillance de parcs publics et la réponse aux déclenchements de systèmes d'alarme. Au Québec, Garda effectue des «patrouilles préventives» dans certaines villes et gère un service de caissières volantes pour le Mouvement Desjardins.

M. Crétier, qui vit à Dubaï, d'où il dirige les activités internationales de Garda, continue de suivre avec attention les occasions de développement dans les pays émergents. L'entreprise est très active dans des pays à haut risque comme l'Irak, le Nigeria et la Libye, mais pas seulement. Garda vient de remettre les pieds au Mexique, qu'elle avait quitté en 2009, en débauchant un directeur d'une firme concurrente.

Si tout va comme prévu, l'entreprise retournera en Bourse d'ici quelques années. «La grande question, ce sera où», glisse Stéphan Crétier, qui ne conserve pas un très bon souvenir du parquet torontois, très centré sur les matières premières. «Est-ce que New York, Londres ou Hong Kong ne seraient pas de meilleurs endroits?», demande-t-il, tout en promettant le maintien du siège social à Montréal.

> Revenus en 2013: 1,5 milliard

> Perte nette en 2013: 102 millions

> Employés: 45 000

(revenus en dollars canadiens)

> G4S (Suède): 13,6 milliards

> Securitas (Suède): 10,9 milliards

> Prosegur (Espagne): 5,5 milliards

> Brink's (États-Unis): 4,3 milliards

> Loomis (Suède): 1,9 milliard