Le gouvernement est intervenu vendredi dans le dossier d'une possible reprise du fleuron industriel français Alstom par le géant américain General Electric, le ministre de l'Économie, Arnaud Montebourg, indiquant travailler «à d'autres solutions» et affichant sa «vigilance patriotique».

Une clarification était attendue du côté d'Alstom lui-même. Son cours de Bourse a été suspendu vendredi à la demande de l'Autorité des marchés financiers (AMF), dans l'attente de la publication d'un communiqué par le groupe dirigé par Patrick Kron.

Selon deux sources proches du dossier, confirmant une information du Figaro, les «discussions» portent sur la reprise par General Electric des activités liées à l'énergie d'Alstom (équipements pour centrales thermiques, lignes à haute tension, énergies renouvelables, soit les divisions «Power» et «Grid»). Ce qui exclut la division ferroviaire avec ses métros et ses trains, dont l'emblématique TGV.

Dès les premières fuites dans la presse mercredi soir, avec la révélation par l'agence Bloomberg d'un projet de reprise, les analystes avaient souligné le caractère politiquement sensible du dossier: qu'allait dire Paris du possible passage sous pavillon américain d'un géant industriel français, présent sur les secteurs stratégiques de l'énergie et du transport?

La réponse est finalement venue vendredi du ministre de l'Économie et du Redressement productif, Arnaud Montebourg.

«Le gouvernement travaille à d'autres solutions et éventualités que celles imaginées seules et sans que le gouvernement n'en ait été informé par Alstom», a tancé le ministre chargé de l'industrie dans une déclaration au Monde.

Symbole de l'ingéniosité française

«Alstom est le symbole de notre puissance industrielle et de l'ingéniosité française. Dans ce dossier, le gouvernement exprime une préoccupation et une vigilance patriotiques», a fait valoir M. Montebourg.

Il s'est notamment inquiété du «risque sérieux de perte d'un centre de décision» et du «nombre d'emplois perdus ou créés dans de telles opérations» alors que son action vise à renforcer les industries présentes sur le territoire français.

«La France a toujours (...) construit ses outils industriels, les a défendus, les a d'ailleurs parfois engagés dans des alliances très constructives avec des partenaires qui ne sont pas Européens. Donc c'est le rôle d'un État et l'État jouera son rôle», a par ailleurs indiqué le ministre lors d'un déplacement à Bordeaux.

Sollicité par l'AFP, l'entourage du ministre n'a pas souhaité faire de commentaire sur les autres scénarios envisagés. Mais M. Montebourg a eu jeudi «une discussion franche» avec Patrick Kron et une rencontre est également prévue «prochainement» entre le premier ministre, Manuel Valls, M. Montebourg et le patron de General Electric, Jeffrey Immelt.

Selon une information de l'agence Bloomberg, non confirmée par Alstom, un conseil d'administration du groupe devait se tenir vendredi.

Les activités dans l'énergie, gros morceau d'Alstom (plus de 70 % du chiffre d'affaires, soit plus de 14 milliards d'euros) seraient valorisées quelque 10 milliards d'euros, sans «tenir compte de la trésorerie» du groupe français, a affirmé le journal Le Monde.

Pour l'État, Alstom est un sujet d'importance: s'il n'est plus actionnaire depuis 2006, il a été l'artisan de son sauvetage et de sa survie en 2003-2004, alors qu'Alstom était au bord de la faillite. Déjà à l'époque, Paris avait bataillé, avec Bruxelles principalement, pour éviter un dépeçage.

L'opération suivrait aussi le mariage avec des groupes étrangers d'autres fleurons français, comme Publicis/Omnicom dans la publicité et Lafarge/Holcim dans le ciment.

Environ la moitié des 18 000 employés d'Alstom en France travaillent pour les divisions liées à l'énergie, selon le site internet du groupe, avec de grands sites à Massy-Palaiseau, Belfort, La Courneuve, Villeurbanne ou encore Aix-Les Bains.

Dans le monde, plus des deux tiers des effectifs totaux d'Alstom (environ 93 000 personnes) sont concernés par ces activités.

Si la carte du «patriotisme économique» s'avérait décisive, General Electric peut se targuer de sa forte implantation en France, avec 11 000 employés et un siège régional à Belfort, après le rachat en 1999 d'activités à... Alstom.

L'assise industrielle et financière du géant américain permettrait également de régler les problèmes de «taille critique» d'Alstom, alors que le groupe français connaît de nouveau d'importantes difficultés.

L'activité énergie est notamment pénalisée par le manque d'investissements dans les infrastructures électriques en Europe. Ainsi que par les flux de trésorerie négatifs d'Alstom, ses «cash flow», qui inquiètent les marchés.

Quant à GE, qui se détourne de sa branche financière GE Capital, il accentuerait son virage stratégique vers l'industrie. D'autant que le groupe a un trésor de guerre colossal, notamment situé dans ses filiales hors des États-Unis.

«C'est un projet industriel qui peut avoir du sens», a commenté vendredi le commissaire européen aux Marchés intérieurs et aux Services, Michel Barnier.