Souhaitant accroître son influence dans le monde, le Qatar vient de présenter une offre audacieuse visant à déménager le siège de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) de Montréal à Doha.

Dans une présentation faite lundi devant le président du conseil de l'OACI, le Mexicain Roberto Kobeh Gonzalez, et le secrétaire général de l'organisation, le Français Raymond Benjamin, le président de la Civil Aviation Authority du Qatar, Abdul Aziz Mohammad Al-Noaimi, a fait valoir que l'organisation onusienne avait tout intérêt à déménager dans le petit émirat.

Dans un document détaillé obtenu par La Presse Affaires, le Qatar formule plusieurs reproches à l'endroit de Montréal et du Canada: l'éloignement de l'Europe et de l'Asie, l'hiver rigoureux, la difficulté d'obtenir des visas canadiens pour les membres des délégations, l'«insatisfaction significative» des diplomates à l'égard des services offerts ainsi que des taxes et des impôts élevés.

Le document précise que l'émir du Qatar, le cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, «soutient pleinement» la proposition.

Le Qatar s'engage à construire pour l'OACI un édifice ultramoderne qui «reflétera clairement le statut» de l'organisation et à couvrir la totalité de ses dépenses d'exploitation, alors que le Canada et le Québec en remboursent actuellement 80%. On promet aussi une exemption totale de taxes et d'impôts pour l'OACI et son personnel.

Depuis plusieurs années, le Qatar tente de faire sa marque sur la scène internationale. En 2010, le pays de deux millions d'habitants a damé le pion à l'Australie, au Japon, à la Corée du Sud et aux États-Unis pour obtenir la tenue de la Coupe du monde de soccer de 2022. Il met aussi en évidence le dynamisme de sa compagnie aérienne nationale, Qatar Airways, qui, ironiquement, dessert Montréal depuis juin 2011.

Les ministres s'activent

Le ministre des Affaires étrangères, John Baird, s'est saisi du dossier et a parlé à deux reprises à M. al-Thani depuis lundi.

«M. Baird est personnellement désireux et impatient de travailler avec le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal pour que l'OACI reste dans cette ville de calibre mondial», a indiqué dans un courriel un porte-parole du ministre, Joseph Lavoie.

Le ministre des Relations internationales du Québec, Jean-François Lisée, s'est également entretenu à ce sujet hier avec John Baird et a bon espoir que l'OACI demeurera à Montréal.

Pierre Jeanniot, ancien PDG d'Air Canada et de l'Association internationale du transport aérien (IATA), soutient qu'il faut prendre au sérieux l'offensive du Qatar, un pays riche et stable qui peut compter sur des alliés au Moyen-Orient et au-delà.

Selon plusieurs sources, Singapour a exprimé il y a quelques mois son souhait d'obtenir le siège de l'organisation fondée en 1947, mais s'est désisté avant de déposer un projet concret.

«On ne peut pas se permettre de perdre l'OACI», lance M. Jeanniot, soulignant que la plus importante organisation internationale présente au Canada joue un rôle vital dans l'industrie aéronautique du pays.

Le Canada doit s'assurer de préparer une «offre compétitive» pour répliquer au Qatar, croit M. Jeanniot.

Geoffray Robert, représentant de la Belgique à l'OACI, ne connaissait pas encore la position officielle de son pays sur la proposition qatarie.

«On doit quand même reconnaître qu'il y a un caractère historique de la présence de l'OACI à Montréal, a-t-il commenté. On est très satisfaits des services offerts par le Canada à l'organisation et comme plusieurs pays qui sont hôtes d'organisations internationales, on ne voit pas nécessairement d'un bon oeil le déménagement de telles organisations.»

L'avocat André Sirois, qui représente des syndicats et des fonctionnaires des Nations unies, rappelle que le Québec et le Canada se sont montrés «extrêmement généreux» pour l'OACI au fil des ans.

C'est la 38e session de l'assemblée générale de l'OACI, cet automne, qui décidera du sort de l'offre du Qatar. L'appui de 60% des 191 pays membres est requis.

Les accords actuellement en vigueur entre l'OACI, Ottawa et Québec prévoient que l'organisation demeurera à Montréal au moins jusqu'en 2016. Une prolongation jusqu'en 2036 est actuellement à l'étude.